Société

100.000 personnes atteintes abandonnées par l’Etat

Aucune statistique n’existe sur la maladie d’Alzheimer au Maroc, mais cette dégénérescence cognitive qui atteint au bas mot plus de 100.000 personnes au Maroc est vécue comme un drame social et familial par leurs proches. Sans soutien de l’Etat et de la société, les familles se battent seules pour la dignité de leurs proches et doivent faire face à l’inéluctable. 

Mohammed est dévoré par ses pulsions. Cette jeune fille qui déambule dans son appartement est belle, séduisante. Il ressent une forte  attirance. Mais ce qu’il ne sait pas, c’est que c’est sa fille. Il ne le sait pas parce qu’il est atteint de la maladie d’Alzheimer.  Dans son état, où il perd mémoire et  repères, il est seul, et inconscient de l’homme qu’il a été un jour. Mais cette épreuve, ce n’est pas seulement la sienne, mais celle de toute sa famille qui se bat jour après jour pour garder sa dignité. Ce qui blesse, c’est le regard des gens dans la rue, les chuchotements de voisins qui ne peuvent s’empêcher de rire du malheur des autres. C’est que souvent, on associe la maladie d’Alzheimer à la folie, à un retour en enfance. “La maladie d’Alzheimer est une maladie dégénérative. C’est une mort neuronale précoce. Elle se manifeste par une atteinte cognitive. On perd la mémoire, puis on a des troubles du langage, ensuite la maladie évolue, pour atteindre les facultés de jugement et de programmation,” explique le Pr Bouchra Moutawakkil, du Centre Hospitalier Universitaire de Casablanca. Au stade actuel de la médecine, on ne guérit pas de la maladie d’Alzheimer. Une fois que le mal se déclare, c’est une longue marche vers la mort, ponctuée d’une perte progressive des dernières parcelles de dignité qui restent aux malades. 

L’AMAMA se bat pour la dignité des malades 

“Lorsqu’on sait que l’un de ses proches est malade, on attend plus que la mort. C’est un processus long qui dure parfois plus de dix années. Mais on se bat pour maintenir la dignité des malades”, explique Mohammed Ouadii, président de l’Association Marocaine de la Maladie d’Alzheimer et Maladies Apparentées (AMAMA). Avoir un proche atteint de cette dégénérescence du cerveau est souvent un calvaire pour la famille des malades, qui ne peuvent que compter sur eux-mêmes. Un premier combat, puisque celui de la rémission de la maladie est perdu d’avance en l’état actuel de la médecine: celui de garder la dignité des malades. “Pour nous, cela passe par la propreté et par la prise en charge. Il suffit de peu: une formation courte en soins et accompagnement de malades dispensée par l’OFPPT, et autant que possible, la fourniture de couches pour les plus démunis,” poursuit le président de l’AMAMA. Pour lui, les malades ont droit à une prise en charge, mais là encore, dans le contexte marocain, les familles sont livrées à elles mêmes. Les structures familiales sont éclatées entre les différentes régions du pays et parfois même à l’étranger. Difficile dans ces conditions pour un foyer moyen de prendre en charge son malade. Alors on se rabat sur les aides domestiques. Mais rapidement, ces solutions s’avèrent ingérables, aussi bien pour les familles que pour le personnel lui même. Alors, et comme souvent, l’un des enfants se sacrifie pour sa famille et abandonne son emploi, son standing de vie et même son lien avec le monde extérieur, pour se consacrer, par piété filiale, à son parent malade. 

Sans prise en charge, la solution reste la “bonne” ou les enfants 

“Ce n’est pas une solution, car un quotidien face à la maladie d’Alzheimer est lourd à gérer. Les enfants qui s’occupent de leur parent malades finissent souvent par faire une dépression, en l’absence de structures d’aide appropriées”, analyse le Pr Moutawakkil. “Et encore, lorsqu’un enfant se sacrifie pour être béni par ses parents, on sait qu’il ne fait qu’attendre l’inéluctable. Lorsque le malade n’est plus, il perd sa raison de vivre et doit faire face à la dépression, dans la grande majorité des cas,” ajoute M. Ouadii. La maladie d’Alzheimer est un drame familial du vivant du malade. Sans repères, il ne reconnaît plus ses proches. Ces derniers se déchirent souvent, se rejettent la responsabilité. Dans le meilleur des cas, ils cotisent pour recruter une aide à domicile. Une garde malade, à rechercher à grands frais via les agences qui fleurissent sur le net. Mais là encore, c’est une maladie où le statut social discrimine la prise en charge. Les plus riches pourront s’offrir les services d’une infirmière, les plus pauvres, eux, se sacrifient souvent pour ceux qui leur ont donné la vie. D’autres problèmes se posent puisque les malades ont perdu leur jugement. Il est facile de détourner leurs biens, et lorsqu’ils décèdent, les enfants se déchirent à nouveau pour le partage de l’héritage. C’est une maladie dure qui ne laisse personne indemne. “Dans les réunions à coeur ouvert, les cafés Alzheimer de notre association, lorsque nous sommes entre famille de malades, il n’est pas une seule personne qui ne fonde en larmes. C’est que tant que l’on n’a pas un parent atteint de la maladie, on ne peut comprendre la situation”, explique Mohammed Ouadii, sans jamais cacher cette grande  mélancolie dans le regard, de quelqu’un, lui-même fils et petit fils de malade l’Alzheimer. C’est  d’ailleurs pour mener ce combat, qu’il est revenu de France,  et prendre soin de sa mère et de sa grand-mère. 

La mort au bout du chemin, mais à quel prix

Mais concrètement, il n’y a que peu de choses à faire lorsqu’un parent est atteint de la maladie. le Pr Bouchra Moutawakkil explique, qu’heureusement, la maladie n’est que rarement héréditaire. Des médicaments existent, et on peut prévenir le mal  par un régime alimentaire sain, méditerranéen. Au final, les traitements sont chers et ne soignent rien.

Lorsqu’on se sait atteint, on sait que l’on est condamné. Apprendre sa maladie est en elle-même une épreuve. Il arrive même que dès le départ, le malade sombre dans la dépression. Il arrive aussi que la famille refuse de faire face à la réalité de la maladie du parent, mais Alzheimer n’est pas une réalité qu’on peut fuir. Les plus braves font face, mais c’est une guerre de tranchées qu’on ne peut remporter. Au bout du chemin, on finit usé par l’expérience, le combat de tous les jours à prendre soin d’un malade qui ne peut plus se prendre en charge lui-même, qui déambule dans sa chambre, car ne trouve pas le sommeil. L’erreur commune est d’avoir recours au psychiatre pour calmer les agitations. Mais les camisoles chimiques ne font qu’empirer l’état du malade. L’Etat a véritablement une responsabilité devant les familles des malades : “Nous connaissons tous l’opinion des marocains contre les centres de prise en charges. Mais un hôpital de jour, sur le modèle de ce qui se fait en France pourrait permettre aux familles des malades de travailler pendant qu’on prend soin de leurs parents,” propose le président de l’AMAMA. Bouchra Moutawakkil  renchérit : “c’est tout de même scandaleux que des Marocains qui ont payé des impôts toute leur vie ne puissent pas profiter d’un minimum de leur contribution à la société.” Alzheimer est une maladie qui ne laisse personne indifférent.  

 
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