500 milliards de DH à payer durant les cinq prochaines années
La dette du Trésor fait partie de la dette publique. Celle-ci s’approche d’un volume pouvant dépasser les 730 milliards de DH au terme de 2014. Le seuil des 80% du PIB tant craint par les économistes et les décideurs est près d’être atteint. La dette du Trésor, qui n’inclut pas la dette garantie, est en train de dépasser le cap des 65% du PIB.
Les échéances de la dette du Trésor ont imposé un effort budgétaire depuis plusieurs années. Le PLF 2015 prévoit 68 milliards pour son service. Les prochaines années pourraient nous conduire à faire face à des échéances qui dépasseront 100 milliards de DH par an. Le ministre de l’Economie et des finances a parlé devant les parlementaires d’une hémorragie à arrêter. C’est vrai…il reste à savoir comment.
1- La question brûlante : payer 68 milliards de DH en 2015
Toujours brûlante, encore énorme et probablement insoutenable dans les prochaines années, la dette publique est ce mal encore nécessaire sans lequel on ne peut financer nos investissements. A force de s’endetter, la structure de notre budget change d’une année sur l’autre et le poste de dépense qui vient juste derrière les dépenses du personnel, est celui des charges liées au paiement des intérêts et des échéances du principal. Cette année, le PLF 2015 prévoit un montant de 68 milliards de DH pour honorer nos engagements à l’égard de nos créanciers de l’intérieur et de l’extérieur. Ce montant dépasse celui qui doit être affecté à l’investissement au titre des crédits de paiement de 14 milliards de DH. Il représente, par ailleurs, l’équivalent des budgets des ministères de l’Education nationale et de la formation professionnelle (46 milliards de DH), du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique (9 milliards de DH) et du ministère de la Santé (13 milliards de DH). Ces budgets sectoriels comprennent aussi bien le fonctionnement, que l’équipement. Les cinq prochaines années seront cruciales dans l’affectation des ressources pour payer le coût de la dette et rembourser ses échéances d’amortissement. La durée de vie moyenne de la dette intérieure du Trésor est de 5 années et 5 mois, alors que celle contractée auprès de l’extérieur est de 8 années et 10 mois. Une simple opération de division « approximative » nous présente une facture annuelle d’environ 82 milliards de DH pour la dette intérieure et 15 milliards pour la dette extérieure, soit un total d’environ 97 milliards de DH.
Et oui, le ministre Boussaid a parlé d’hémorragie
Le ministre de l’Economie et des finances, Mohamed Boussaid, a évoqué, à juste titre, l’impact de la dette sur les équilibres budgétaires et macroéconomiques. Il a exprimé la volonté du gouvernement de continuer sur sa lancée de retrouver les équilibres. « Après avoir pu arrêter durant les derniers mois de l’année dernière l’hémorragie du déficit budgétaire et le renforcement de ce processus durant cette année, nous sommes déterminés à arrêter l’ hémorragie se rapportant à l’augmentation de l’endettement à partir de cette année (2015). Il est prévu que celui-ci se stabilisera à un niveau représentant moins de 64% du PIB». C’est une déclaration pleine de signification et surtout véhiculant un jugement clair sur la non soutenabilité de notre dette. Au-delà des lectures « nuancées » présentées dans le rapport sur la dette qui accompagne le PLF 2015 et qui nous montrent que les charges d’intérêts ne reprennent que 11,4% des recettes ordinaires et que les charges liées à la dette extérieure publique ne représentent que 5,8 % des recettes courantes de la balance des paiements, les flux liés aux amortissements et aux intérêts sont à prendre avec le plus grand sérieux. Les cinq prochaines années enregistreront des dépenses au titre de la dette qui s’élèveront à environ 500 milliards de DH. Ce chiffre est tiré d’une interprétation arithmétique simple des maturités de la dette. Les remboursements réels, comprenant les maturités inferieures à cinq ans sont plus grands.
La gestion de la dette a connu des améliorations
S’il est vrai que la gestion de ce grand volet de la finance publique a connu une évolution et un professionnalisme certains, il reste que les marges de manoeuvre en matière d’allègement des coûts et de gestion active de la dette sont étroites. Le problème n’est pas dans la comptabilisation judicieuse et la maitrise des calendriers, il est dans le déficit budgétaire et son financement et il est aussi dans la maitrise de l’objet pour lequel on engage la responsabilité du Maroc et sa crédibilité à l’égard de ses partenaires financiers. Le rapport ne donne, malheureusement pas, les tirages sur les prêts accompagnés par le calendrier prévisionnel de l’exécution des projets ou programmes financés. Le législateur doit aussi pouvoir lire des données sur les divers objets pour lesquels on s’endette. Les programmes de réformes ou de gouvernance ne sont pas tous en relation avec l’investissement. Le fonctionnement et notamment, les rétributions très généreuses des experts «internationaux» gonflent les composantes des projets.
Il est vrai qu’une évolution positive a été enregistrée en matière d’une maitrise du recours à l’endettement extérieur, dont les effets sont importants en matière d’étranglement de nos réserves en devises. Les tirages ont commencé à faire des sauts qualitatifs par rapport au paiement du service de la dette (intérêts et amortissements). Après avoir enregistré des flux négatifs avant 2001, les tirages ont commencé à dépasser les charges annuelles. De 22,3 milliards de DH de tirages contre 20,1 milliards de DH de charges en 2007, les tirages sont passés à 41,1 milliards de DH contre 21,8 milliards de DH en 2013. Les six premiers mois de 2014 confirment la tendance haussière des tirages par rapport aux charges de la dette extérieure. Ces dernières se sont situées à 10,6 milliards de DH contre des tirages ayant atteint 31,7 milliards de DH.
(Voir graphique 1)
2-La dette garantie
L’accès au financement n’est pas toujours permis à certaines entités relevant de l’Etat et notamment, auprès de pays ou d’institutions financières régionales ou internationales. L’acte de garantir un prêt d’un établissement ou entreprise publique peut donner lieu à une prise en charge directe par le budget de l’Etat des échéances non honorées en cas d’insolvabilité de l’organisme garanti. Dans la structure de la dette au Maroc, on distingue entre dette du Trésor intérieure et extérieure et dette publique totale englobant la dette garantie par le Trésor.
La dette interne garantie
L’encours de cette dette s’est établi à 19,6 milliards de DH en 2013 contre 18,1 milliards de DH en 2012. Cette augmentation de 8% provient essentiellement de deux emprunts obligataires dont ont bénéficié Autoroute du Maroc (1,2 milliard de DH) et Tanger MED (1 milliard de DH). Ces deux organismes constituent les principaux bénéficiaires de la garantie de l’Etat avec 81 % du total dont 68% pour Autoroute du Maroc. Cette dette est essentiellement à long terme et ne constitue que 4,4% de la dette intérieure publique, dont l’encours s’est situé à 444 ,1 milliards de DH en 2013.Son coût moyen s’est fixé à 5,11% contre 5,13% en 2012.
La dette extérieure garantie
L’encours de cette dette s’est établi à 119,8 milliards de DH au terme du premier semestre 2014, soit 45,7 % de l’encours total de la dette extérieure publique. Les bénéficiaires de cette garantie sont, pour l’essentiel, des établissements publics. Les banques et les collectivités territoriales ne représentent qu’une partie modeste dans la structure de la garantie offerte par l’Etat. Les tirages opérés sur les prêts contractés au profit des établissements publics sont en constante évolution. D’un montant de 7,2 milliards de DH en 2005, ces tirages ont atteint 18,2 milliards en 2013 soit une progression de 152% en 9 ans. Cette évolution dénote d’une capacité plus grande d’absorption des financements et la cadence d’exécution des grands projets d’équipement du pays. Les principaux établissements publics qui se répartissent l’encours de la dette extérieure publique aux cotés du Trésor sont l’ONEE avec 36,5%, ADM avec 22,6%, L’ONCF avec 8,3% et l’OCP avec 7,7%.Le graphique suivant permet de lire la carte de la distribution des tirages entre les établissements publics. (Voir graphique 2)
3-La dette extérieure du Maroc et l’arbitrage
Notre histoire avec la dette extérieure est traumatisante sur le plan historique. Sans revenir aux épisodes de la période ayant précédé la colonisation du Maroc et qui ont fait du remboursement des dettes un prétexte pour porter atteinte à la souveraineté du pays, nous ne pouvons ne pas faire allusion aux années quatre-vingt-dix. En 1985, l’encours de notre endettement extérieur avait atteint 102,54 % de notre PIB et ce, après avoir enregistré seulement 26,61% une décennie auparavant. L’encours de la dette est passé de 2,37 milliards de DH en 1975 à 15,8 milliards de dollars en 1985. C’était la période qui avait ouvert la porte de l’ajustement structurel et de ses effets, dont certains sont encore présents aujourd’hui et notamment, dans les secteurs sociaux et celui de l’emploi public. Entre 2004 et 2010, le Maroc allait connaitre une période de croissance moyenne soutenue d’environ 5%.
L’évolution vers l’endettement intérieur : un choix judicieux !
Le Maroc a fait un choix qu’on peut qualifier de stratégique vers la fin des années 2000. Il a préféré renoncer progressivement aux financements extérieurs et réduire la part de ceux de son endettement. La part de la composante extérieure dans l’encours de la dette du Maroc est actuellement d’environ 23%. Lors de la dernière décennie, cette structure s’est maintenue. Certaines années ont même enregistré des dépassements du seuil des 80% par la dette intérieure.
La gestion de la dette et notamment, en matière d’arbitrage entre les financements internes et les financements externes tient compte d’un certain nombre de critères qualitatifs liés au financement externe comme l’assistance technique, l’expertise et l’obtention de référence sur le marché international, mais donne une importance primordiale aux considérations macroéconomiques liées à la situation fragile de la balance des paiements qui ne peut pas supporter des services importants de la dette, à la situation des avoirs extérieurs nets qui doivent d’abord couvrir nos besoins en importations et à la situation des liquidités sur le marché intérieur. Cet arbitrage s’avère parfois contraignant pour les autres acteurs économiques. La structure de la dette extérieure montre une certaine diversité de ses composantes, mais reste dominée par les institutions multilatérales (Banque mondiale, BAD, BEI, FADES…) avec 45,6%. Les créanciers bilatéraux sont essentiellement des pays de l’Union Européenne avec 20,5% et à leur tête la France, avec un encours de 35 milliards de DH. Le Japon représente le deuxième pays au niveau du bilatéral avec un encours de 9,5 milliards de DH. Les pays arabes représentent 2,4% dans cette structure. Cette part est largement compensée au niveau des dons et notamment ceux décidés par les pays membres du Conseil de coopération du Golfe.
Est-ce un retour vers l’endettement extérieur ?
L’évolution de la dette extérieure durant les quatre dernières années annonce une consolidation du trend haussier de sa part dans le volume de la dette.
En 2013, cette tendance s’est accentuée avec une évolution de 10,3% de l’encours par rapport à 2012, soit plus de 22 milliards de DH. Cette évolution est expliquée, selon les termes du rapport sur la dette, par le caractère concessionnel des conditions financières dans un contexte marqué par le déficit budgétaire et par celui du compte courant de la balance des paiements.
(Voir tableau 1)
4- La préférence des investisseurs pour les BT et l’effet d’éviction !
L’effet d’éviction peut rendre le marché plus étroit pour ceux qui recherchent des financements à leurs projets. Cet effet d’éviction est souvent avancé par ceux qui ne veulent pas une implication plus grande de l’Etat dans le domaine de l’investissement. Au Maroc, les ressources des investisseurs dépassent les besoins du Trésor. Le rapport sur la dette nous informe que le taux de couverture est passé de 210% en 2012 à 2040% en 2013. Ainsi, pour un montant total des émissions de175, 2 milliards de DH en 2013 les soumissions ont été de 412,9 milliards de DH. Les principaux détenteurs des bons de Trésor par adjudication sont les compagnies d’assurance et les caisses de retraite pour 35%, les banques pour 29%, les OPCVM pour 25% et les autres détenteurs pour 11%.