Tribune et Débats

À qui profite le conflit russo-ukrainien ? [Par Mohamed Jaouad Malzi]

La crise russo-ukrainienne, tournant de l’histoire moderne, a bouleversé le secteur de l’énergie, un secteur hautement sensible et un maillon fondamental de l’économie, engendrant un véritable désordre géopolitique et économique. La forte dépendance énergétique a soulevé plusieurs points d’interrogation sur la souveraineté de l’UE face à la Russie et ouvre la voie à de nouveaux partenariats qui positionne le Maroc comme partenaire fiable de l’UE.

La carte énergie, facteur clé du conflit, a démontré à quel point l’Union Européenne (UE) se trouve dans une position d’inconfort, comment la stratégie de ses membres a été impactée lors du traitement de la crise et pourquoi leurs choix stratégiques ont été limités, cédant ainsi un avantage stratégique au Kremlin qui devient le maitre du jeu face à une posture complètement défensive de l’Europe.

Les sanctions de l’Europe contre la Russie, ont touché à tous les volets économiques et financiers susceptibles d’affaiblir l’économie russe sans procéder à un embargo sur les importations en énergie. Une ligne rouge que l’UE n’a pas osé franchir malgré les multiples menaces de l’ours russe. Franchir cette ligne exposerait certainement les pays de l’Europe à une crise économique sans précédent, au moins à court et moyen termes.

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Il faut rappeler, que la Russie est le principal fournisseur de gaz pour l’Europe à travers son géant énergétique Gazprom. Rien qu’en 2021, 40% de la consommation totale en gaz de l’UE provenait de la Russie. Cette forte dépendance énergétique a soulevé plusieurs points d’interrogation sur la souveraineté de l’UE face à la Russie qui, elle, considère le gaz et le pétrole comme des armes diplomatiques fatales pour faire plier l’Europe.

Compte tenu de cette situation contraignante et très provocante, différents scénarios ont été étudiés pour changer la donne et redresser la barre. Dans ce sens, l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) a proposé aux pays européens un plan d’urgence en 10 actions pour sortir de cette dépendance, en insistant particulièrement sur l’urgence d’arrêter les nouveaux contrats de fourniture d’énergie avec la Russie, d’explorer des sources alternatives d’énergie et de chercher de nouveaux partenaires énergétiques.

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Le Maroc comme partenaire fiable de l’UE ?

La crise ukrainienne a révélé l’erreur de l’Europe de compter majoritairement sur un seul partenaire pour satisfaire ses besoins en énergie. Consciente de cette dépendance et ses multiples enjeux, l’UE a récemment réorienté sa boussole vers l’Afrique du Nord dans le but de développer des partenariats stratégiques verts, capables de garantir sa sécurité énergétique tout en atteignant ses objectifs de transition énergétique et de neutralité carbone d’ici 2050.

Dans cette perspective de diversification de sources d’approvisionnement pour réduire la dépendance vis-vis des exportations russes et compte tenu des réserves algériennes et égyptiennes insuffisantes en gaz et des tensions politiques entre l’Algérie et le Maroc ayant conduit au non renouvellement du contrat du gazoduc qui relie l’Afrique du Nord à l’Europe, les sources énergétiques vertes du Maroc devraient être considérées comme une alternative viable et durable pour les pays de l’Europe.

De ce point de vue, la déclaration de Frans Timmermans, Vice-Président de la Commission Européenne, en Juin 2021, incitant à renforcer le partenariat vert avec le Maroc pour partager les meilleures pratiques et développer des projets communs dans l’énergie propre, notamment les renouvelables et l’hydrogène vert, ne fait que confirmer la volonté de l’UE de se repositionner et de frapper à la porte de l’Afrique en matière d’énergie.

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Les États-Unis, seuls gagnants de cette crise

Comme les analyses des crises et guerres précédentes montrent qu’il y a toujours des perdants et des gagnants dans chaque conflit, la position des États-Unis semble plus confortable dans le conflit actuel. Considéré comme un acteur principal dans le déclenchement de la crise, Biden a pu faire d’une pierre plusieurs coups. Il a réussi à diviser l’Europe, essouffler son ennemi et adversaire historique russe et revitaliser l’économie américaine sans adopter une politique interventionniste et participer à une nouvelle guerre qui pourrait compliquer la situation économique du pays et affaiblir davantage ses forces armées et ses moyens militaires, à l’instar de la guerre en Afghanistan et de l’invasion de l’Irak.

Pour atténuer l’influence de la Russie et limiter son pouvoir sur le marché énergétique européen, Joe Biden s’engage à garantir l’approvisionnement en énergie à l’Europe par l’acheminement du gaz naturel, notamment via le Gaz Naturel Liquéfié (GNL). L’engagement de l’UE et des États-Unis pour la sécurité énergétique de l’Europe n’est que le premier exploit et atout stratégique de Biden qui ambitionne de s’imposer sur le marché européen.

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La Chine vers une domination mondiale ?

L’annonce de la Chine d’autoriser les importations de blé en provenance de la Russie juste après l’invasion est considérée, sans aucun doute, comme un signal fort de vouloir soutenir Moscou contre les sanctions économiques imposées par l’occident. En effet, la Chine est devenue la bouée de sauvetage économique de la Russie, puisqu’elle envisage, dans cette invasion, une préparation favorable du terrain et du contexte pour lancer une attaque militaire tant attendue contre Taïwan. De plus, la Russie est le plus grand exportateur d’énergie vers la Chine qui reste, à son tour, le plus grand partenaire commercial de la Russie.

Il faut dire, par ailleurs, que l’économie chinoise est encore largement dépendante du commerce international et que Pékin a été également touchée par la flambée des prix des matières premières. Dans cette optique, le choix stratégique de la Chine reste de soutenir indirectement l’invasion de la Russie par une assistance économique discrète tout en soutenant les efforts de paix et de médiation. Cette politique d’équilibre lui permettrait d’éviter les effets de potentielles sanctions économiques et surtout de perdre les liens financiers internationaux pouvant fragiliser ou même faire chuter l’économie du géant asiatique.

Ce ne serait donc nullement une erreur d’appréciation de dire que la Chine serait le grand gagnant stratégique si, comme cela semble probable, la crise devenait une longue épreuve de force entre la Russie et le monde occidental conjuguée à une implication militaire éventuelle de Washington. D’ailleurs, affaiblir l’occident, notamment les États-Unis considérés comme la première et véritable menace chinoise, ne ferait que préparer le champ pour une domination mondiale accrue. Finalement, l’Europe ne semble-t-elle pas être le seul perdant de la guerre ?

Mohamed Jaouad Malzi, Enseignant chercheur, Expert économiste.

 
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