A qui profite réellement le logement social ?
La question de la relance du secteur de l’immobilier est une question de politique économique par excellence. Faut-il soutenir les promoteurs ou les acquéreurs ? par S.A.
Commençons tout d’abord par les questions liées au diagnostic du secteur. De quoi souffre réellement l’immobilier depuis le début de cette décennie? L’analyse minutieuse du secteur montre qu’un phénomène sans précédent s’est produit au début de la décennie 2000 : c’est la naissance de grands groupes immobiliers, tant privés que publics. Du côté du privé, on assiste à la formation d’une manière quasi-simultanée de grands groupes immobiliers comme Addoha, Chaâbi Liliskane, Alliances, Jamai, Berrada… Du côté du public, le ministère de l’Habitat a procédé à la fusion des sept ERAC, de l’ANHI, de la SNEC et d’Attacharouk, dans le groupe Al Omrane. Favorisés par le soutien de l’Etat sous forme d’avantages fiscaux et surtout urbanistiques, liés à la dérogation, ces groupes vont se mettre à produire à une cadence sans précédent au Maroc. Entre 2003 et 2010, des milliers d’hectares vont être ouverts à l’urbanisation et des certaines de milliers de logements vont être construits : logements sociaux, villas, immeubles de luxe, projets de golfs, stations balnéaires… C’est la période du grand boom immobilier. Plus les prix montent, plus l’appétit des groupes immobiliers se renforce et plus le secteur attire des investissements. L’Etat et les groupes privés rivalisent dans le gigantisme. Des méga-projets concurrents sont lancés sans aucune étude de marché. Tout le monde baignait dans un optimisme béat. Cette période a créé de mauvaises habitudes chez les promoteurs immobiliers. Ils veulent gagner beaucoup et très vite. Leurs marges bénéficiaires sont très élevées : 24%. Elles sont trois fois plus élevées que la moyenne européenne.
Surabondance de l’offre
Lorsque la crise immobilière internationale se déclenche en 2008, le réveil sera douloureux. On assiste d’abord au retrait des grands groupes étrangers qui ont senti le vent tourner (Emaar, Fadesa, General Contractor, le groupe indonésien Hidaya…). Ensuite, l’immobilier de luxe est le premier à subir les effets de la crise, en particulier à Tanger et à Marrakech où les prix vont connaître une chute progressive et substantielle et où de nombreux projets de golfs et de stations balnéaires sont soit gelés, soit abandonnés.
La surabondance de l’offre a conduit à une situation de méventes. Le produit immobilier est là, mais il est cher et il ne trouve pas preneur. Pour atténuer les effets de la crise et maintenir le même niveau d’activité dans le secteur, l’Etat procède en 2010 à la défiscalisation totale des investissements dans le logement social qui bénéficie par ailleurs, d’avantages urbanistiques liés à la dérogation. On assiste alors, à une nouvelle ruée des investisseurs dans le logement social. Selon les données du ministère de l’Habitat, plus d’un million d’unités sont conventionnées en trois ans, près de 180.000 unités sont mises en chantier et 140.000 achevées. Là aussi, les grands groupes immobiliers ont inondé le marché de produits concurrents, surtout à Casablanca, Marrakech et Tanger.
Pour sortir de la crise actuelle, il faut d’abord que les grands groupes immobiliers réduisent leur marge bénéficiaire d’au moins 50%, ce qui va entraîner une baisse des prix et contribuer à relancer les achats. Car, s’il y a méventes, c’est parce que le produit immobilier est devenu trop cher. Il y a eu donc un décrochage du prix de vente par rapport aux capacités moyennes de paiement du grand nombre. Enfin l’Etat, comme dans la plupart des pays européens, doit cesser de subventionner les promoteurs. Les 5 milliards de DH qui vont chaque année, depuis 2010, aux promoteurs sous forme de dégrèvement fiscaux et de rétrocessions de la TVA, doivent être versés dans un fonds pour soutenir les ménages à faibles revenus afin de les aider, soit à acquérir un logement économique, soit accéder à un logement locatif, subventionné par le produit de ce fonds.
Une politique alternative
Cette politique alternative s’impose, car les premières évaluations du ministère de l’Habitat ont révélé que les subventions des promoteurs perdent toute leur justification quand on sait que dans la plupart des cas, les acquéreurs proviennent souvent de catégories sociales relativement aisées. Il arrive souvent, que le chef de ménage achète plusieurs appartements dans le même immeuble avec des noms d’emprunts, puis les logements sont agrandis et changent de standing… L’effort consenti par l’Etat se trouve alors détourné vers des catégories sociales qui n’en ont pas besoin.
Dans le domaine de l’habitat social, tout le problème est donc de recentrer l’action de l’Etat autour de la population cible. Comment faire en sorte que l’effort public et les subventions aillent aux couches sociales défavorisées? Ces subventions sont considérables puisque l’Etat a dépensé, entre 2002 et 2014, près de 15 milliards de DH à travers le Fonds Solidarité et Habitat, pour résorber l’habitat insalubre, et près de 20 milliards de DH d’exonérations fiscales pour soutenir le logement social, sans parler des facilités urbanistiques accordées aux promoteurs sous forme de dérogations.
C’est un effort considérable qui a permis de résorber plus de 60% de l’habitat insalubre et de mettre sur le marché une abondante offre de logements de prévention. Mais le problème, c’est qu’une partie importante de cet effort financier public est capté – comme dans le cas de la Caisse de Compensation – par des couches sociales qui n’en ont pas besoin. Une partie non négligeable des lots de recasement est recyclée dans le circuit spéculatif. De même, une proportion importante du parc de logement social subventionné est détournée vers d’autres catégories sociales plus aisées.
Dans ce domaine, comme dans bien d’autres, se pose un problème de ciblage et des subventions publiques qui sont détournées par des catégories sociales plus aisées, qui se servent sur le dos des pauvres. C’est sur le ciblage de l’action de l’Etat, dans le domaine de l’habitat et le logement social, que doit porter l’action de réforme.