A quoi sert une loi si elle n’est pas appliquée ?
Depuis quelques années, on assiste à une avalanche de lois portant sur tous les domaines: banque, assurance, marché des capitaux, justice, environnement, santé, retraite, presse, organisation territoriale etc. A ce stade de développement du Maroc, c’est un bon signe ; il traduit la volonté de notre classe politique d’engager les réformes nécessaires au développement économique et social du pays et à la construction d’un Etat de droit capable de protéger les droits et les libertés des citoyens. La question : avons-nous les ressources humaines et financières qu’il faut pour mettre en œuvre toutes ces lois ? par ABDELHAFID CHENTOUF
Que deviennent les lois une fois votées, promulguées et publiées au Bulletin Officiel ? La réponse peut paraître évidente, car une loi n’est faite que pour être appliquée. Paradoxalement, ce n’est pas toujours le cas. Beaucoup de lois ne sont jamais appliquées ou ne le sont qu’en partie ou appliquées avec beaucoup de retard. Même s’il n’est pas propre au Maroc, ce phénomène est inquiétant et doit interpeller nos hommes politiques, car il constitue une menace pour la démocratie. Les lois ne sont pas de simples textes juridiques préparés par des techniciens de tout bord, elles sont l’expression de la volonté du peuple à travers ses représentants démocratiquement élus. Elles sont souvent le support de réformes figurant dans les programmes électoraux des partis politiques portés au pouvoir par le biais d’élections libres et démocratiques (réforme de la justice, de la retraite, de la presse…).
Nombreuses sont les lois qui ne sont pas appliquées ou appliquées avec retard
Ce phénomène est d’autant plus grave, que l’élaboration d’une loi coûte trop cher à la collectivité nationale. En effet, la «confection» des projets de loi, nécessite la mobilisation de ressources humaines importantes, l’accompagnement d’experts nationaux et internationaux et parfois la réalisation d’études payées au prix fort. Une fois élaborés par des commissions techniques, les projets de loi sont examinés en Conseil du gouvernement et le cas échéant, en Conseil des ministres et soumis pour approbation au parlement avec ses deux Chambres. Dans certains cas, les lois votées par le parlement font même un passage par le Conseil Constitutionnel pour le contrôle de leur conformité avec la constitution.
Pourquoi les lois ne sont pas immédiatement appliquées ? Tout simplement, parce que notre régime constitutionnel fait une séparation entre la matière législative, qui est du domaine de la loi et la matière réglementaire, qui est du domaine des règlements (décrets et arrêtés). Généralement, l’application des lois est suspendue à l’adoption de textes réglementaires (textes d’application). Ainsi, la loi sur l’exploitation des carrières publiée au mois de juillet 2015, prévoit l’adoption par le Gouvernement de dix neuf textes réglementaires. Après une année, ces textes ne sont pas encore publiés ; le risque est de voir cette loi enterrée, à l’instar de la loi de 2002 qui, en l’absence de textes d’application, n’est jamais entrée en vigueur.
Il est urgent de mettre en place un dispositif parlementaire de contrôle de l’application des lois
Un autre exemple, la loi bancaire entrée en vigueur en janvier 2015, prévoit pour l’application d’une bonne partie de ses dispositions, l’adoption par le gouverneur de la Banque centrale de plus de trente directives. Parmi les dispositions dont l’entrée en vigueur est toujours en suspens, figurent celles qui ont trait à la banque «participative». Ce retard n’a pas manqué de provoquer la réaction d’une partie de la classe politique qui y voit une volonté d’enterrer ce projet, ou du moins le retarder.
Est-il urgent de réagir ? La réponse ne peut être que par l’affirmative, car le défi est de taille ; c’est la démocratie qui est en jeu et c’est la volonté de réformer le pays qui est remise en cause. Si plusieurs pistes sont envisageables pour s’attaquer à cette problématique, il est clair que la plus efficace est l’institution au niveau du Parlement d’un mécanisme de contrôle de l’application des lois. Nos parlementaires peuvent s’inspirer de l’expérience de certains pays voisins qui ont réagi à ce phénomène depuis de nombreuses années. Il est temps que les deux Chambres du parlement commencent à s’intéresser au sort réservé aux lois qu’elles votent.