Il a le style d’un père Noël et la fermeté d’un bon père de famille
La barbe grisonnante, mince et souriant, Hervé Arnone-Demoy a appris le métier d’enseignant sur le tas et a développé une pédagogie au cœur même de l’établissement dans lequel il a usé ses fonds de culotte…
C’est la fin de la classe ; une foule d’enfants « se déverse » dans les couloirs de l’École Arnone-Demoy. Ils sont joyeux, respirent l’innocence et pourtant restent calmes et disciplinés. Le directeur, Hervé Arnone, régente son petit monde avec de petites phrases sèches qui ne sont pas sans rappeler M. Bennis, lorsqu’il gérait, avec poigne, le Groupe Scolaire d’Anfa. Pour M. Arnone, l’enseignement est une « histoire de famille ». L’établissement portant son nom a été fondé par sa mère, Renée Arnone Demoy. « Au début, l’école était installée en centre ville, dans un appartement, à côté du café connu, la Chope. Ensuite, elle a déménagé dans ce lieu-ci », explique Hervé Arnone.
Nichée dans une ruelle de l’avenue du 2 Mars, l’école est une sorte de « Jadin d’Eden ». Entouré de palmiers, c’est un immeuble qui fait coin et dont rien ne laisse deviner, qu’il s’agit d’une école. Bilingue, c’est l’un des plus anciens établissements scolaires privés, de Casablanca. Mme Arnone Demoy, elle, était une française du Maroc. Elle était arrivée à Casablanca dans les années 30, dans le but de travailler dans l’enseignement. Après une première expérience d’enseignante, elle se lance dans le domaine et fonde sa propre institution. Sur le plan personnel, elle est mariée à Charles Arnone, fonctionnaire dessinateur aux Travaux Publics, un français « pied noir ». Selon la légende, cette expression maghrébine, désignait les Européens pour leurs bottines noires, qui les différenciaient des babouches jaunes traditionnelles .
Un enfant espiègle
Hervé et sa sœur Sylvaine seront les successeurs de Mme Arnone Demoy. «Mon grand père maternel est mort à la guerre, alors que ma mère était encore jeune enfant. Du coup, nous portons le nom Demoy, afin qu’il ne disparaisse pas. Mon père, lui, était simplement M. Arnone. Mais l’école est la »grande oeuvre » de ma mère », développe-t-il. Hervé est alors un jeune enfant turbulent, qui vit sous la stricte supervision de Mme la Directrice. « On ne me passait rien. Il n’était pas possible de faire l’école buissonnière, par exemple, ou de ne pas faire ses devoirs. Aux débuts, ma mère a essayé de me pousser un peu, puis finalement, elle a pris le parti de me laisser vivre ma vie ».
Hervé est déjà un collectionneur. Il se passionne pour les maquettes de trains, et en monte bon nombre. Cette passion, c’est celle de la « minutie », où l’on passe des heures avec un pinceau, un tube de colle, et de la peinture, pour, par exemple, représenter des paysages de campagnes où évoluent des trains, qui passent à toute « vitesse ». La vie est un long fleuve tranquille pour Hervé, qui, moyennant quelques accidents mineurs de parcours, achèvera son cursus secondaire, sans quitter l’école de sa mère. Il y décroche un Bac Maths, pour s’envoler ensuite pour Nice, après deux années à la Faculté de Rabat.
Retour aux sources
Nous sommes en 1972, et la France qui avait été chamboulée par Mai 68, a vu le Général De Gaulle quitter le pouvoir. Un « vent de liberté » souffle sur la société traditionnelle française et rien n’était plus comme avant : « Certes, je n’étais pas du tout un soixante huitard, mais il était évident que la France avait changé. Ce que je constatais , bien qu’ arrivé après les événements. Ensuite, je me suis inscrit pour un DUT en Génie Mécanique à Grenoble. Après deux années, je suis rentré au bercail, en l’occurence au Maroc », explique-t-il. Hervé a des « mains en or », tirées de sa passion pour les modèles de trains. Il fabrique des meubles, donne des cours particuliers, avant de s’orienter vers une vie plus « rangée ».
Il commence d’abord comme enseignant, puis surveillant de l’établissement, avant de passer à l’administratif. Ce n’est pas parce qu’il est le « fils de la patronne » qu’il a droit à un traitement privilégié. Il fait ses preuves sur le tas, apprend le métier et progresse petit à petit. C’est un peu un parcours classique dans une entreprise familiale, où l’on apprend le métier en commençant au bas de l’échelle, avant de grimper progressivement. Entre deux appels, Hervé s’exprime tantôt en darija courante, tantôt en français, mais toujours sur un ton autoritaire. M. le Directeur a gardé l’attitude de Surveillant Général, et cela se ressent. Depuis, l’école a grandi. Hervé et Sylvaine ont développé leur affaire, et se sont recentrés sur le « coeur de métier », les études primaires. La recette prend et l’école se développe : « J’ai en classe des élèves dont les parents ont été mes élèves. Cela ne me rajeunit pas, mais que voulez vous? C’est une entreprise à taille humaine. Les parents viennent me voir sans rendez-vous, sans que cela ne pose de problèmes », expose-t-il. Au final, sa philosophie se résume à « Je préfère un cancre épanoui qui arrivera à quelque chose dans sa vie, plutôt qu’un élève brillant introverti, qui aura toutes les difficultés du monde ensuite ». Et on a beau dire, il faut « laisser le temps aux enfants d’être des enfants ».
Bio Express
1947: naissance à Casablanca
1972: entrée à l’École Arnone-Demoy