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A-t-on tous droit au compte bancaire ?

Avoir un compte bancaire devient une nécessité dans notre société. La loi bancaire en fait un droit devant profiter à chaque citoyen. par C.A.H.

Dans un monde où les nouvelles technologies nous épatent chaque jour avec des innovations dans tous les domaines, cette question peut paraître totalement dépassée. Malheureusement, ce n’est pas le cas comme le montrent les chiffres relatifs à l’inclusion financière au Maroc et dans les autres pays du monde. Selon une étude publiée par la Banque Mondiale, l’accès aux services financiers demeure limité ; plus de la moitié de la population adulte mondiale (2,5 milliards de personnes) ne bénéficie pas des services bancaires (Global Financial Dévelopment Report 2014 : Financial inclusion). Pour remédier à cette situation, la Banque Mondiale, a annoncé le lancement d’une initiative visant d’ici 2020 à assurer l’accès universel aux services financiers à tous les adultes, « en tirant parti des innovations technologiques» telles que le portefeuille et le compte bancaire technologiques. Quid de notre pays ?
Au Maroc, si la loi bancaire reconnaît le droit au compte,  le compte bancaire n’est pas encore généralisé ; une partie de la population reste en dehors des circuits bancaires. Certes, le taux de bancarisation a connu une nette  amélioration ces dernières années, mais il est toujours loin des meilleurs standards internationaux. Bien  qu’il soit en tête de peloton sur le continent africain avec un taux de bancarisation d’environ 60%, le Maroc est toujours classé parmi les pays à faible taux d’inclusion financière.
Tel qu’il est défini, le droit au compte prévu par la loi bancaire ne donne pas assez de garantie au citoyen qui reste à la merci du pouvoir d’appréciation conféré par la loi aux banques. Pour faciliter l’accès des citoyens aux services financiers, la  loi bancaire marocaine de 2006, toujours en vigueur en attendant l’aboutissement du processus de sa refonte,  reconnaît à chaque citoyen le droit au compte. Son article 112 prévoit que «  toute personne ne disposant pas d’un compte à vue et qui s’est vue refuser, par une ou plusieurs banques, l’ouverture d’un tel compte après l’avoir demandé par lettre recommandée avec accusé de réception, peut demander à Bank Al Maghrib de désigner un établissement de crédit auprès duquel elle pourra se faire ouvrir un tel compte. Lorsqu’elle estime que le refus n’est pas fondé, Bank Al Maghrib désigne l’établissement de crédit auprès duquel le compte sera ouvert ; Ce dernier peut limiter les services liés à l’ouverture du compte aux opérations de caisse ».
Tel qu’il est défini, le droit au compte prévu par la loi bancaire ne donne pas assez de garantie au citoyen qui reste à la merci du pouvoir d’appréciation conféré par la loi aux banques et à Bank Al Maghrib. La loi donne à l’établissement bancaire la possibilité de refuser l’ouverture d’un compte sans avoir à justifier sa décision ; il n’est même pas tenu de notifier par écrit au demandeur son refus d’ouverture de compte. De son côté, la Banque Centrale dispose d’une grande marge de manœuvre quand le citoyen s’adresse à elle pour désigner un établissement bancaire auprès duquel il pourra se faire ouvrir un compte. Bank Al Maghrib n’est tenue d’agir que « lorsqu’elle estime que le refus n’est pas fondé ». Mais dans quels cas, un refus d’ouverture de compte peut être jugé fondé ou pas ? La loi est muette, ce qui ne permet pas de connaître clairement les conditions qui doivent être réunies pour prétendre à un compte bancaire. Le citoyen qui ne dispose d’aucun compte bancaire ne doit pas en principe  se voir imposer des conditions pour l’exercice de son droit au compte. De nos jours, priver une personne  de son droit au compte, revient à la condamner à vivre en marge de la société ; le compte devient un outil indispensable aux besoins de la vie quotidienne (domiciliation des revenus, prélèvements, virements nationaux et internationaux…).
Lorsque la Banque Centrale estime que le refus «  n’est pas fondé », elle désigne l’établissement auprès duquel le compte sera ouvert. Dans ce cas, ce dernier se trouve contraint d’ouvrir le compte mais la loi lui donne toujours la possibilité de limiter les services aux opérations  de caisse (dépôts, retraits d’espèces au guichet ou avec une carte de retrait..).A notre point de vue, cette limitation des opérations n’est pas fondée, à partir du moment où la Banque centrale estime que rien ne justifie le refus d’ouverture  du compte.
Comme il ressort clairement de l’analyse de l’article 112 de la loi bancaire relatif au droit au compte, les conditions de son exercice ne facilitent pas réellement l’accès du citoyen au compte bancaire qui mérite d’être érigé en service universel dont peuvent bénéficier tous les citoyens. La banque n’est pas une activité commerciale comme les autres ; les établissements bancaires ont une mission qui peut être qualifiée de « service public». Le refus de l’ouverture d’un compte à un citoyen ne doit plus être toléré dans notre société moderne et ce, quel que soit le niveau de ses revenus. Maintenir les citoyens de condition modeste et des groupes vulnérables en dehors des circuits financiers, revient à priver une partie de la population de la possibilité d’accéder aux moyens de paiement modernes et d’intégrer les circuits financiers.
Consciente de l’importance de l’inclusion financière et des limites du droit au compte prévu par la loi bancaire, la Banque Centrale a pris des mesures réglementaires pour faciliter l’accès des citoyens aux services bancaires. C’est ainsi que le Gouverneur de Bank Al Maghrib a pris une Directive en 2010, imposant aux banques d’ouvrir des comptes au profit des personnes ne disposant pas de comptes bancaires et ce, sans que cette ouverture ne soit conditionnée par un versement préalable de fonds. Au cours de la même année, la Banque centrale a institué, toujours dans le but de favoriser l’accès aux services bancaires, la gratuité de certains services rendus par les banques (ouverture du compte, délivrance du chéquier, délivrance du livret d’épargne etc.).
Le Maroc qui a l’ambition, toute légitime,  d’intégrer le groupe des pays émergents, ne peut se contenter d’un taux de bancarisation qui le classe parmi les pays à faible taux d’inclusion financière.
Pour améliorer l’inclusion financière, des adaptations législatives et réglementaires sont nécessaires ; l’exercice du droit au compte mérite d’être amélioré ; l’accès aux services bancaires doit être garanti à tous les citoyens ; c’est un préalable à toute politique d’inclusion des populations à faible revenu et au passage des citoyens du secteur informel, au secteur formel. L’inclusion financière est une préoccupation des dirigeants à travers le monde, car il est établi qu’il y a une corrélation directe entre le taux de bancarisation et le rythme du développement. Bank Al Maghrib en fait un axe stratégique de son plan de développement 2013-2015. Même dans les pays développés, ce sujet est toujours d’actualité ; leurs dirigeants cherchent à améliorer le niveau de bancarisation de leurs populations. En Europe, le Parlement Européen a adopté au mois d’avril dernier une directive instituant le droit à un compte bancaire  pour tous. Le texte prévoit que chaque personne résidant sur le territoire de l’Union Européenne aura le droit d’ouvrir un compte bancaire de base et que personne ne peut se voir refuser ce droit, abstraction faite de sa situation financière, de sa nationalité et de son pays de résidence. Un défi de taille quand on sait que 58 millions d’européens ne disposent pas de compte bancaire. Un chiffre toutefois, qui cache une grande disparité entre les pays membres ; le taux de bancarisation est de 99% en France, mais il est très faible chez les nouveaux arrivants comme la Bulgarie et la Roumanie.
Le Maroc qui a l’ambition, toute légitime,  d’intégrer le groupe des pays émergents, ne peut se contenter d’un taux de bancarisation qui le classe parmi les pays à faible taux d’inclusion bancaire. Des actions et des adaptations légales et réglementaires méritent d’être entreprises, afin d’intégrer dans les circuits financiers tous les citoyens marocains. Certes, la nouvelle loi bancaire qui ne tardera pas à entrer  en vigueur, introduit deux nouveaux acteurs qui sont appelés à jouer un rôle important dans l’amélioration du niveau de la bancarisation ; les « banques participatives » (banques islamiques) qui agiront surtout auprès des personnes qui, jusqu’à présent étaient réticentes à entrer en relation avec les banques traditionnelles et les « établissements de paiement » qui, grâce à une forte utilisation des nouvelles technologies, toucheront les populations à revenu modeste et les habitants des zones rurales où  les banques classiques n’ouvrent pas de succursales. C’est important mais c’est insuffisant ; d’autres mesures doivent être prises à courte échéance en matière de transparence, de mobilité et de maîtrise des frais et des commissions.

 
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