Interview

Abdellah Mouttaqi : « La transition énergétique doit être considérée comme une orientation stratégique majeure qui s’inscrit désormais dans la durabilité »

Entre ambitions, objectifs et exécution, la mise en œuvre de la stratégie énergétique du Maroc a connu de belles avancées, mais il y a également quelques améliorations à apporter. De l’analyse du CESE qui a évalué ce travail, il devient urgent de mettre le citoyen au centre de cette stratégie pour qu’elle connaisse une vraie réussite. Abdellah Mouttaqi, membre du conseil économique, social et environnemental (CESE), nous livre ses analyses.

Challenge: Pouvez-vous nous faire un rappel des points essentiels de la stratégie des énergies renouvelables de 2009 adoptée par le Maroc?

Abdellah Mouttaqi : Adoptée en 2009 sous les Hautes Orientations de Sa Majesté le Roi, Que Dieu L’Assiste, la stratégie énergétique concilie le développement économique et la lutte contre le changement climatique. Cette stratégie, qui vise à porter la part des énergies renouvelables dans la puissance installée à 42% en 2020 et à 52% en 2030,s’appuyait d’une part sur cinq orientations stratégiques : (i) un mix diversifié et optimisé autour de choix technologiques fiables et compétitifs, (ii) la mobilisation des ressources nationales par la montée en puissance des énergies renouvelables, (iii) l’efficacité énergétique érigée en priorité nationale, (iv) le renforcement de l’intégration régionale, et (v) le développement durable. Et,  d’autre part sur quatre objectifs fondamentaux : (i) la généralisation de l’accès à l’énergie à des prix compétitifs, (ii) la sécurité d’approvisionnement et la disponibilité de l’énergie, (iii) la maitrise de la demande, et (iv) la préservation de l’environnement.

Il est important de rappeler que cette stratégie se base sur la spécificité du potentiel marocain d’énergie verte dont la diversité de sources offre une grande disponibilité tout au long de l’année. C’est un potentiel exceptionnel sur le plan quantitatif, qui s’évalue à environ 500 TWh/an réparti entre l’éolien onshore (350 TWh) avec un taux de charge moyen de 5 000 heures et le solaire photovoltaïque PV (150 TWh) avec un taux de charge conservateur minimal de 2 500 heures. Un même potentiel au moins équivalent est disponible autour de l’éolien offshore.

Lire aussi | Le Maroc peut profiter de la guerre géopolitique du Gaz européen

Challenge: Où en est aujourd’hui le Maroc dans l’exécution de cette stratégie ? Quels sont les succès et manquements qu’on peut aujourd’hui relever dans cette stratégie ?

Abdellah Mouttaqi: En soulignant toute la pertinence de la vision de la stratégie de 2009 et l’inflexion qu’elle a engendrée, les auditions réalisées par le CESE avec les différentes parties prenantes (63 spécialistes du secteur et institutions nationales et internationales concernées) ont permis de circonscrire de nombreux acquis et quelques insuffisances en matière d’implémentation de ladite stratégie.

En plaçant le Maroc définitivement sur une trajectoire de croissance verte, la stratégie énergétique de 2009 a permis de dépasser les problèmes d’approvisionnement que le Maroc a pu connaître; elle a permis également de sécuriser l’approvisionnement, d’initier la libéralisation du marché de l’électricité et de positionner le Maroc à l’avant-garde de l’agenda climatique. À fin 2019, le Maroc dispose d’une puissance électrique installée de 10 938 MW, dont 34% en énergies renouvelables et d’un taux d’électrification de 99,7%. Le lancement des premiers grands projets dans les énergies renouvelables à partir de 2016 a constitué une grande inflexion dans la trajectoire énergétique de notre pays. Le Complexe « Noor Ouarzazate », le premier plus grand ensemble multi-technologies à l’échelle internationale avec une capacité installée de 580 MW, réparti en 4 tranches, a été mis en service en 2018. La même année, le projet de Laayoune a été déployé avec une puissance installée de 85 MW. Deux autres grands projets sont en cours de réalisation : la centrale solaire Noor Midelt I d’une puissance totale de 800 MW, comprenant 605 MW de PV et 190 MW CSP et Noor Tafilalt de 120 MW de PV.

À fin 2019, la puissance installée en énergies renouvelables a atteint 3 701 MW, soit 34% de la puissance totale : 1 220 MW pour l’éolien, 711 MW pour le solaire et 1 770 MW pour l’hydraulique. Sur le plan de la stabilité, il est à noter qu’au cours des 10 dernières années, aucun incident de délestage n’a été signalé, ce qui traduit la bonne maitrise technique des équipes de l’ONEE. La stratégie énergétique a également permis de renforcer la production concessionnelle par le développement des partenariats publics privés (PPP) et d’engager une importante réforme du cadre légal et règlementaire notamment par la loi 13-09 relative aux énergies renouvelables et la loi 54-14 de l’autoproduction de l’électricité. Le Maroc, grâce à la convergence de l’ensemble de ces réalisations, a acquis un positionnement notable et une reconnaissance mondiale dans l’agenda climatique.

Les insuffisances soulignées lors des différentes auditions se rapportent à certains choix technologiques initiaux et au faible taux de l’intégration industrielle locale, à la faiblesse de réalisation des objectifs de l’efficacité énergétique et au poids du transport sur la facture énergétique du pays.

Lire aussi| Hydrogène : Comment le Maroc peut devenir le premier fournisseur de l’Union Européenne 

Challenge : Quelle appréciation faites-vous de la vision du CESE par rapport à la transition énergétique entamée par le Maroc depuis plus de 10 ans ? Le CESE propose de revisiter la stratégie 2009 et d’adopter une approche rénovée de la stratégie énergétique. Comment ? Et est-ce une démarche classique par lesquels d’autres pays sont passés ?

Abdellah Mouttaqi: Dans sa vision, à la fois participative et prospective, le CESE considère l’énergie comme le déclencheur d’une nouvelle émergence verte du Maroc dans le cadre d’une transition énergétique qui devrait :

– Être socialement juste, équitable et inclusive, responsable sur le plan environnemental et soutenable sur le plan financier.

– Être planifiée de manière holistique et s’articuler autour de l’augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique, de la maitrise de la demande par la promotion de l’efficacité énergétique et de la production décentralisée, l’émergence et le développement de filières du futur autour du « Power to X », le soutien de l’innovation et de l’appropriation technologique au service de l’intégration industrielle.

– S’accompagner d’une reconfiguration des politiques publiques qui touchent à l’énergie en traitant de manière coordonnée et intégrée, plusieurs politiques connexes.

– Reposer sur l’implication des citoyens et des territoires pour lier la transition énergétique aux enjeux du développement local.

Le CESE a également abordé cette question de manière prospective en construisant trois scenarii, avec une ambition croissante à horizon 2030, 2040 et 2050. La modélisation prospective a démontré que la transition énergétique accélérée pourrait créer de nombreux bénéfices pour les citoyens, les entreprises et les finances publiques selon les estimations chiffrées suivantes :

– La dépendance énergétique et la dépendance spécifique aux produits pétroliers pourraient baisser jusqu’ à 17% en 2050.

-La part de renouvelable pourrait atteindre 96% de la puissance installée du mix électrique à l’horizon 2050.

-La facture énergétique pourrait se réduire de 12% alors que l’énergie consommée serait multipliée par 3.

-Le déficit de la balance des paiements serait allégé de 74 MMDH en 2050.

-Le coût de revient moyen du kWh électrique sur le réseau pourrait baisser de près de 39%.

-La filière énergétique pourrait créer 300 000 emplois permanents.

-L’introduction des énergies renouvelables réduirait fortement les émissions de gaz à effet de serre de 30 % et les rejets de particules d’environ 50%, améliorant ainsi la santé de la population et renforçant l’atténuation face aux changements climatiques.

Pour le Conseil Economique Social et Environnemental, il est apparu clairement que la révision de la stratégie énergétique, onze ans après sa mise en place, en capitalisant sur les acquis et en adoptant une démarche rénovée et prospective qui met le citoyen au centre, est un acte tout à fait naturel.

Lire aussi | Autoproduction de l’électricité : l’avant-projet de loi divise

Challenge: Avec la crise sanitaire, la stratégie énergétique du Maroc et la vision du CESE sont-elles toujours d’actualité ?

Abdellah Mouttaqi: La transition énergétique doit être considérée comme une orientation stratégique majeure qui s’inscrit désormais dans la durabilité pour cadrer l’action de l’Etat autour du secteur de l’énergie. Les objectifs et les fondamentaux de la transition énergétique tels qu’ils sont présentés par le Conseil Economique, Social et Environnemental sont alignés avec les actions engagées par notre pays pour faire face à la pandémie de la covid-19. Ces objectifs et ces fondamentaux sont et resteront d’actualité. En effet, avec l’exploitation de son potentiel exceptionnel en énergies vertes dans le cadre d’une vision intégrée qui met le citoyen au cœur, le Maroc va renforcer sa souveraineté et sécurité énergétiques, réduire la dépendance aux importations des énergies fossiles et améliorer sa performance environnementale, notamment en termes de qualité de l’air pour le bien-être des populations. L’approche du CESE permettra également de consolider l’inclusion sociale et la réduction des inégalités en créant de nombreux bénéfices pour les citoyens et les entreprises, notamment en ce qui concerne le pouvoir d’achat, la création d’emplois et l’amélioration du cadre de vie en minimisant les impacts négatifs liés à la pollution de l’air.

Challenge: Une des recommandations phare du CESE est de mettre le citoyen au centre de la stratégie énergétique. Quels sont les leviers à mettre en œuvre pour impliquer concrètement le citoyen dans la nouvelle stratégie des énergies renouvelables ?

Abdellah Mouttaqi : Conscient du lien entre la transition énergétique et les enjeux du développement local, le CESE appelle à une adhésion citoyenne élargie avec l’implication des citoyens et des territoires. Ceci passe, bien entendu, par une bonne compréhension de la transition énergétique et de ses enjeux et l’intégration du citoyen qui constitue in fine le maillon ultime de la chaine de valeur, qu’il soit en entreprise, dans une activité génératrice de revenu ou dans les ménages.

Les conseils régionaux ont un rôle central dans ce cadre notamment lors de la préparation des plans de développement régionaux (PDR). Ils devraient s’appuyer, selon une démarche participative, sur les capacités de sensibilisation et de mobilisation de la société civile en faveur des pratiques responsables. La démarche participative lors de l’élaboration des PDR permet de préparer, en amont, l’acceptabilité sociale des projets en aval dans le cadre des études d’impact sur l’environnement. Pour lui permettre de jouer pleinement son rôle comme contributeur dans l’élaboration, le suivi et l’évaluation des programmes, la société civile devra être appuyée notamment sur les plans humain et financier et avoir la garantie pour accéder à des campagnes de sensibilisation selon les meilleurs standards.

Pour faire converger l’ensemble des points cités ci-dessus, le CESE recommande de retranscrire les engagements des différentes parties prenantes, conformément à la substance du message de SM le Roi Mohammed VI aux participants des Assises Nationales de l’Energie en mars 2009, au sein d’une Charte Nationale de la Transition Energétique, qui devra être construite à travers une large consultation.

 
Article précédent

Formule E : Nissan poursuit son aventure jusqu’en 2026

Article suivant

Replay. L’émission « Ach Waqe3 » du jeudi 25 mars 2021