Abdellatif Jouahri : « tant que c’est pour le financement sain de l’économie, je financerai toutes les demandes du secteur bancaire »
Incertitudes : c’est le mot qui caractérise le mieux les hypothèses de travail de Bank Al Maghrib. Après l’avoir ramené à 1,5% en juin dernier, à la suite de son conseil trimestriel, le taux directeur de Bank Al Maghrib restera inchangé, du moins pour les prochains mois. C’est ce qu’a décidé le conseil de ce mardi 22 septembre après réévaluation de la situation économique et sanitaire du pays. L’économie, quant à elle, devrait se contracter de 6,3%.
Le gouverneur de la banque centrale préfère parler de « scénarios », car les incertitudes entourant le reste de cette année et l’année prochaine rendent difficiles des prévisions comme on en avait l’habitude. Et la reprise prévue en juin dernier, au vu de la maîtrise de la pandémie par le Maroc durant les premiers mois, n’est aujourd’hui qu’un lointain souvenir. Le reprise sera plus lente que prévue et toutes les hypothèses précédemment émises ne tiennent plus. Malgré cela, la banque centrale n’a pas jugé nécessaire de revoir à la baisse son taux directeur. « Sur la base de ces évaluations (situation de l’économie et plans), le Conseil a jugé que les conditions de financement de l’économie restent adéquates et a décidé de maintenir le taux directeur inchangé à 1,5%, tout en continuant de suivre de très près l’ensemble de ces évolutions », explique le communiqué de Bank Al Magrhib. D’ailleurs, Jouahri a répété lors du point de presse qu’« une actualisation mensuelle sera faite pour suivre l’évolution de l’économie et des indicateurs ».
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Aussi, le Wali de Bank Al Maghrib s’est catégoriquement opposé à une politique de la planche à billets. « Tant que j’aurai cette responsabilité, je n’accepterai pas qu’on cède à des solutions simples », déclarait-il avec force, citant l’exemple de pays comme le Vénézuela ou l’Argentine et la situation dans laquelle se trouvent ces pays. « Il ne faut pas précipiter le pays dans une situation d’insolvabilité ; cela va pénaliser en premier lieu que les couches les plus faibles de notre pays », a-t-il ajouté. À l’inverse, Abdellatif Jouahri s’est montré très volontariste pour ouvrir les vannes du financement aux banques, à condition que ce soit pour du financement « sain » de l’économie. « Je financerai toutes les demandes du système bancaire si c’est pour un financement sain de l’économie », a martelé le Wali. Pourtant, celui-ci a reconnu qu’il y avait un problème de financement lorsque les crédits Damane Oxygène ont reçu pour 20 milliards de dirhams d’accord auprès des banques mais que 2 milliards de décaissements effectifs. Les raisons sont nombreuses selon les remontées, notamment celles des banques qui avancent soit la réserve de certaines entreprises ou des dossiers ne pouvant être financés, lorsque des entreprises rapportent des exigences de garanties allant même sur des bien privés.
Enfin, le Wali a reconnu la tâche difficile qui est aujourd’hui dévolue aux autorités dont les prises de décision sont de plus en plus décriées. « Une crise a sa propre dynamique. Cette crise est multiforme et a atteint le monde entier. C’est une crise sanitaire et la vie des gens est prioritaire. Si on fait le choix de sauver l’économie, on comptera les morts et la population s’offusquera du peu d’intérêt pour la vie des gens. Et si on met l’accent sur le fait de sauver des vies, l’économie risque de tomber. C’est donc une question d’équilibre entre les deux facteurs. Et les équilibres sont toujours difficiles dans une situation de crise pareille. Les décisions ne sont pas si simples que cela », a expliqué Abdellatif Jouahri.
Pour le reste, la banque centrale a noté la hausse de l’indice des prix en août, conséquemment à un relèvement des prix des produits alimentaires à prix volatils, après une stagnation au deuxième trimestre, et une légère baisse en glissement annuel en juillet. « Sa progression moyenne sur les huit premiers mois de l’année est ressortie ainsi à 0,7%. Dans un contexte marqué par de faibles pressions émanant de la demande, l’inflation continuerait d’évoluer à des niveaux bas, ressortant à 0,4% en moyenne en 2020 avant de s’accélérer modérément à 1% en 2021 », détaille le communiqué.
Pour ce qui concerne le PIB, la croissance devrait chuter de 6,3%, « avec des reculs de 5,3% de la valeur ajoutée agricole et de 6,3% de celle des secteurs non agricoles », précise le communiqué. En 2021, le PIB devrait par contre rebondir de 4,7%, porté par une hausse de 12,6% de la valeur ajoutée agricole, « sous l’hypothèse d’une récolte céréalière de 75 millions de quintaux, et par une amélioration de 3,7% de celle non agricole. Ces perspectives qui restent entourées d’un niveau exceptionnellement élevé d’incertitudes liées notamment à l’évolution de la pandémie, à l’ampleur de ses retombées ainsi qu’au rythme de la reprise, vont devoir être régulièrement actualisées ». En effet, après des récoltes en 2020 “catastrophiques“ (32 millions de quintaux), Bank Al Maghrib table sur 75 millions de quintaux en 2021 (pourquoi ?) dans ses “scénarios“ de reprise.
Enfin, l’inflation continuera quant à elle d’être à des niveaux faibles, à 0,4% en moyenne sur l’année 2020. Selon les prévisions de Bank Al Maghrib, elle devrait s’accélérer modérément à 1% en 2021.