Abdelmoujib Mrabet : « Une orientation précoce, active et efficace … une priorité pour réussir la réforme du système éducatif marocain »
L’orientation est désormais partie intégrante du processus d’éducation et de formation. Son objectif est d’accompagner et de faciliter la maturation vocationnelle, les choix éducatifs et professionnels des apprenants. C’est pourquoi le Ministère de l’Education Nationale, de la Formation Professionnelle, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique vient d’élaborer une nouvelle vision d’orientation scolaire, professionnelle et universitaire, basée sur l’accompagnement précoce des apprenants, tous cycles confondus. Pour mieux cerner ce sujet combien important, nous avons choisi de nous entretenir avec M. Abdelmoujib Mrabet, chef du projet d’amélioration du système d’orientation scolaire et professionnelle.
Challenge : Quel rôle central et fondamental joue l’orientation scolaire, professionnelle et universitaire dans le système éducatif ?
A.M : Votre question est d’une grande importance. Lorsque nous parlons du système d’éducation et de formation et des fonctions de l’école, nous trouvons un certain nombre de fonctions, dont la mission éducative de l’école qui est censée inculquer aux apprenants des connaissances et des compétences ; la mission culturelle qui consiste dans le transfert de l’identité marocaine tout en renforçant l’ouverture sur d’autres cultures et celle de socialisation dont la responsabilité est partagée avec les familles à travers un ensemble de compétences de vie et de valeurs.
En plus de toutes ces fonctions, celle de l’orientation reste primordiale qui se traduit par la préparation des apprenants à s’intégrer facilement dans la vie professionnelle en les dotant d’aptitudes et de compétences qui prennent en considération leurs choix, leurs capacités et leurs aspirations et qui doivent s’inscrire dans leurs projets personnels. Par conséquent, le système d’orientation repose sur le suivi individualisé de l’apprenant et son accompagnement afin qu’il soit en mesure de faire des choix pertinents compte tenu de son potentiel, de ses qualifications et de ses ambitions. Dans ce sens, l’une des finalités du système éducatif est d’accompagner les élèves tout au long de leur cursus scolaire de manière efficace pour faciliter leur intégration dans la vie active.
Challenge : La loi-cadre 51.17 prévoit la modernisation du système d’orientation scolaire et professionnelle, quels en sont les grandes lignes ?
A.M : L’article 34 de la loi-cadre 51-17 stipule qu’une révision du système d’orientation scolaire, professionnelle et universitaire s’impose. Une refonte, dans ce sens, signifie qu’un ensemble de dimensions de ce système devraient être réexaminées, notamment la nature transversale de l’orientation et qui devrait être prise en compte dans toutes ses composantes. C’est pourquoi, la loi-cadre parle d’un système d’orientation globale, et non pas de systèmes d’orientation au pluriel. Il s’agit donc d’un système intégré et unique d’orientation scolaire, professionnelle et universitaire et c’est l’une des nouveautés majeures de cette révision globale.
Challenge : Quels sont les mécanismes permettant de mettre en œuvre ce projet sur le terrain, en particulier l’aspect lié à l’activation de l’accompagnement pédagogique et au principe de « l’enseignant principal » ainsi qu’à la mise en place de l’acte collectif d’orientation dans les établissements scolaires ?
A.M : Tout d’abord, le concept de « l’enseignant principal » doit être clarifié. Il ne faut surtout pas croire que cet enseignant dispose d’une position hiérarchique vis-à-vis de ses collègues, mais il s’agit d’une mission qui consiste, d’une part, à superviser une classe jusqu’à quatre classes afin d’aider les apprenants à identifier et à surmonter leurs difficultés scolaires, à mieux s’intégrer dans la vie scolaire, et d’autre part, assurer le suivi de leurs projets personnels, en veillant à ce que les apprenants acquièrent des connaissances et des compétences qui leur permettront de construire leurs choix et de fixer leurs objectifs futurs avec facilité et clarté. Ce sont là les objectifs de la mission qui incombe à « l’enseignant principal » dans le cadre de ce que nous appelons l’accompagnement pédagogique et éducatif sans toutefois empiéter le rôle du conseiller en orientation éducative.
Ainsi, pour opérationnaliser ce mécanisme de « l’enseignant principal », nous avons procédé cette année à la formation de plus de 34 200 professeurs principaux, et ce, dans l’objectif de les doter de connaissances qui portent principalement sur la façon d’accompagner les élèves. Un cadre méthodologique a été élaboré dans ce sens, ayant permis, jusqu’à ce jour, à près de 10 000 enseignants principaux de bénéficier d’une formation sur des sujets divers liés à l’accompagnement pédagogique et éducatif. Ce dernier constitue, en effet, un cadre contractuel entre l’enseignant et l’apprenant qui intègre les activités qui doivent être menées par l’élève sous la supervision de l’enseignant.
En plus de cette formation, « l’enseignant principal », disposera d’une mallette pédagogique qui est en cours d’élaboration avec l’appui du Bureau de l’UNICEF à Rabat. Il s’agit de ressources qui lui permettront de mener différentes activités avec les apprenants. Cette mallette, devrait être prête et mise à la disposition des différents établissements scolaires probablement à la prochaine rentrée scolaire.
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Challenge : Quelles sont les étapes franchies pour établir un système viable d’orientation précoce scolaire, professionnelle et universitaire ?
A.M : Dès la promulgation de la loi-cadre 51.17 qui prévoit la révision du système d’orientation scolaire dans sa globalité, le Ministère a entamé une réflexion approfondie sur ce chantier prioritaire, réflexion qui a abouti à l’élaboration du projet 13 qui consiste à mettre en place un système efficace, précoce et actif d’orientation scolaire, professionnelle et universitaire.
Rappelons, en outre, que plusieurs projets de réforme de ce système ont eu lieu depuis la Charte nationale de l’éducation et de la formation, en passant par le programme d’urgence, les mesures prioritaires pour arriver aux projets de mise en œuvre des dispositions de la loi-cadre 51-17 que menons actuellement.
Tout au long de ce processus de réforme, bon nombre de mesures ont été mises en œuvre, dont l’adoption du mécanisme d’«enseignant principal », demeure la plus importante. En effet, pour la première fois dans l’histoire de notre système éducatif, les enseignants sont impliqués institutionnellement dans le soutien des projets personnels des apprenants selon les principes déjà explicités. En outre, afin d’assurer une meilleure qualité du service d’orientation proposé aux élèves au niveau des établissements scolaires, nous avons augmenté à 350 le nombre de conseillers en orientation scolaire en formation cette année, un record pour la première fois dans l’histoire de notre système éducatif, et il est prévu de former 1 400 conseillers supplémentaires à l’horizon 2025, ce qui permettra de combler le déficit enregistré et de couvrir l’ensemble des régions et provinces.
Challenge : Le corps professoral et l’administration pédagogique jouent un rôle central dans le processus d’orientation. Quel est le rôle des familles ? Existe-t-il une stratégie de communication et de mobilisation en ce sens ?
A.M : Avant de parler des familles, il est nécessaire de souligner les rôles de toutes les parties prenantes impliquées dans le processus d’orientation. En effet, l’importance du système d’orientation dans sa globalité réside dans la multiplicité et la diversité des personnes et des instances impliquées. L’orientation était considérée comme la responsabilité du conseiller pédagogique, métaphoriquement appelée « Orientateur», dans les établissements scolaires du secondaire collégial et du secondaire qualifiant.
Toutefois, ce conseiller n’est pas le seul responsable, et c’est là l’une des nouveautés du système d’orientation actuel. Nous parlons de multiples dimensions du système d’orientation scolaire, professionnelle et universitaire : une dimension pédagogique qui relève de la responsabilité du corps enseignant dont la mission est de rendre l’apprenant capable de construire un projet personnel qui lui permet de fixer des objectifs et des choix et des dimensions réglementaires, administratives et techniques qui relèvent de la responsabilité de l’administration pédagogique appelée à favoriser le climat, les conditions et les activités qui aideront les apprenants à choisir leurs orientations en matière de cursus scolaire, de formation et de professions.
Challenge : Et la famille dans tout cela ?
A.M : La famille vient naturellement s’ajouter à tous les autres acteurs de l’institution scolaire, en tant que première institution d’éducation et de socialisation qui accueille, soutient et influence les choix des apprenants. Ainsi, le rôle de la famille est essentiel et central, dans la mesure où nous pouvons dire aujourd’hui que les familles interfèrent souvent dans les choix de leurs enfants, que ce soit négativement ou positivement. Nous constatons également que beaucoup de parents choisissent à la place de leurs enfants, cela peut affecter négativement les parcours des apprenants. Toutefois, les familles peuvent également influencer positivement les choix de leurs enfants quand ils accompagnent de manière continue et efficace et c’est ce à quoi nous aspirons afin que cet accompagnement puisse constituer un appui aux projets personnels construits avec le soutien des différents acteurs éducatifs.
Sur le plan de la stratégie de communication avec les familles, nous œuvrons pour institutionnaliser la relation des établissements scolaires avec les familles pour toutes les questions liées à leur participation à la gestion des projets personnels de leurs enfants. Nos efforts visent à renforcer les mécanismes et les canaux de communication par le biais d’activités de sensibilisation, via notamment les associations des parents d’élèves, d’associations de la société civile ou encore de campagnes de communication mass-média.
Sur le plan institutionnel, il est prévu de mettre en place un mécanisme permettant aux familles de rester en contact permanent avec la scolarité de leurs enfants et avec les établissements scolaires. De plus, aujourd’hui, les applications Massar Mobilerécemment adoptées par le Ministère offrent de multiples services grâce auxquels les familles peuvent communiquer efficacement avec les établissements scolaires (administration et corps enseignant) au sujet de toutes les questions qui concernent la scolarité de leurs enfants, y compris l’orientation.
Challenge : Quelles sont vos aspirations pour ce projet à l’horizon 2025 ?
A.M : Contrairement à d’autres projets de la loi-cadre dont la mise en œuvre s’étend jusqu’en 2030, le nouveau système d’orientation auquel nous aspirons sera opérationnel d’ici 2025. Nous espérons durant la période qui nous sépare de cette échéance, pouvoir généraliser le mécanisme de « l’enseignant principal », améliorer la qualité du travail accompli par les conseillers en orientation éducative ainsi que la performance des différents acteurs éducatifs grâce à leur implication efficace et positive dans la mise en œuvre de ce projet.
De même, les projets d’établissements doivent intégrer tous les changements escomptés de la réforme du système d’orientation. Enfin, nous espérons d’ici là pouvoir renforcer l’implication des familles dans l’orientation de leurs enfants grâce notamment à diverses activités éducatives, de sensibilisation et de mobilisation.