Accord de pêche Rabat-Bruxelles : «Je t’aime moi non plus»
Le suspens actuel du non-renouvellement de l’Accord de pêche avec l’Union Européenne n’est pas nouveau.
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eu Mustapha Sahel, alors ministre des Pêches répétait, face à mon doute : «l’accord ne sera pas reconduit ». Interrogé plus tard, 18 fois, par des armateurs marocains à Bruxelles, le Premier ministre Abderrahman Youssoufi confirmait un tantinet énervé : «il n’y aura pas de nouvel accord». Par contre, Emma Bonino, alors Commissaire européen chargée de la pêche, me confiait à Bruxelles : «le Maroc n’aurait pas les moyens de maintenir son refus ».
Ainsi, quand le 9 novembre 1999, à minuit, à l’expiration de l’accord en cours, les 430 bateaux européens quittaient «pour toujours» notre mer patrie, l’émotion rappelait un peu le jour de l’indépendance. Le lobby très actif du secteur, qui n’avait pas toujours la pêche auprès de l’opinion publique, promettait monts et merveilles pour peu qu’on éloigne «le péril ibérique».
Le Maroc avait-il préparé «l’après accord » ? La réponse avait toujours été affirmative, pendant des années, de la part des intervenants de tous les secteurs, surtout privés qui promettaient monts et merveilles : investissements de plusieurs milliards de dirhams, création de milliers d’emplois, augmentation spectaculaire de la production …
Le départ de la flotte européenne avait un côté positif : mettre en relief les grandes lacunes du secteur. Le fait par exemple que les industries de la conserve tournent au ralenti par manque de matière première «en bon état» en raison des mauvaises performances des unités des chaînes du froid à bord des bateaux (les normes internationales et américaines exigeant que le poisson arrive à l’usine à une température précise). Au point que le retour de la flotte européenne a été conditionné à son obligation de vendre une partie du poisson pêché aux usines de l’industrie de la conserve locale.
Bref, s’agissait-il réellement d’un retour de la flotte européenne ou d’un faux départ dès le début ? En effet, que s’est-il passé, rendant possible un «retour» inconcevable pendant plusieurs années contre les affirmations de tant d’officiels, de professionnels, de journalistes … Marocains et étrangers évoqués plus haut ?
A ma question de savoir si les Européens allaient vendre toutes leurs prises à l’industrie marocaine de conserve, Mohand Laenser, alors ministre des Pêches répondait que «tout reste ouvert. On ne peut les contraindre à vendre à des clients précis. La seule obligation nouvelle est le respect du quota de 25% des prises à débarquer chez nous, et je suis sensible aux arguments des industriels de la conserve concernant la qualité et la régularité des approvisionnements».
D’ailleurs, à la veille de l’invitation de Emma Bonino par Feu SM le roi Hassan II pour venir à Rabat et débloquer la situation, Mohamed Rami, alors directeur des Pêches au ministère et généralement chef des délégations pour négocier avec l’UE, nous disait : «il n’y aura plus d’accord de même type que celui qui arrive à échéance, parce que payer des royalties pour exploiter les richesses d’un pays est une pratique appartenant au passé».
D’autant plus que, jusqu’à une date récente, on estimait que 80% des importations mondiales des produits de la mer étaient réalisés par des pays riches. Au point qu’ Emma Bonino a traité les Canadiens de pirates. Certains se demandèrent alors si ce qui est légal est toujours moral dans ce domaine, opposant le voleur et le pirate. Des ONG ont d’ailleurs accusé le Canada et l’UE d’ignorer parfois les accords internationaux quand il s’agit d’imposer leurs intérêts économiques. Quant aux prix, ils sont déterminés par les grands trusts de distribution, les pêcheurs encaissant bien moins de bénéfices.
Le secteur de la pêche, avec ses atouts majeurs que beaucoup nous envient, pourrait être un fleuron de l’économie marocaine. 3500 km de côtes, une zone de pêche d’un million de km2, supérieure à la surface terrestre ( 710 850 km2), des centaines de milliers d’emplois, des infrastructures de plusieurs milliards de dirhams.
Généralement, dans les moments de crise entre Rabat et Bruxelles, les Marocains ont souvent la pêche ; mais au profit de quelle catégorie et que représentent les 150 millions d’euros de compensation annuelle payée par l’Europe au titre de l’accord ? On ne peut même pas dire que les Marocains en profitent pour manger beaucoup de poisson ! Notre consommation étant l’une des plus faibles du monde, inférieure même à celle d’un petit pays comme le Portugal.
Accord de pêche ou pas, les armateurs européens profitent de mille façons de notre mer patrie. Par exemple, pendant de longues années, Bruxelles poussait les armateurs européens, par souci écologique, à se débarrasser de leurs vieux bateaux en finançant 80% de leur achat neuf. Nombreux sont alors les armateurs qui ont vendu leurs vieux rafiots à des armateurs marocains, encaissant ainsi un joli bonus. Mieux, (pire ?), ils se sont en plus associés aux acheteurs marocains de leurs vieux bateaux destinés à la casse. Devenant ainsi propriétaires associés à des nationaux, ils sont libres de pêcher et polluer chez nous, conservant même parfois leurs marins à bord.
Un poisson militant
Le Maroc n’a pas hésité parfois à jeter quelques poissons sur la table des négociations avec l’Europe, demandant qu’on équilibre la balance des échanges établissant une forme de réciprocité. Surtout pour ses produits agricoles, victimes de protectionnisme sous la pression des pays du sud, l’Espagne, voire la France. Qui veut le poulpe, le merlan et autres sardines, devrait prendre tomates, poivrons et quelques carottes. Sans oublier nos jeans et nos babouches. .. Car le poisson lui, contrairement à l’adage, tout le monde est prêt à nous l’acheter même quand il est encore au fond de l’océan. Cela n’a pas manqué, évidemment, de provoquer quelques tiraillements et de pauvres tomates piétinées, mais a fini par payer.
A quelque chose malheur est bon. Le refus de renouveler l’accord de pêche par Rabat et l’institution de périodes de repos biologique ont stimulé le questionnement : que faire du poisson non pêché et qui, au terme de son cycle de vie limité meurt de mort naturelle ? Développer la chaîne du froid constituerait donc la solution. A condition de ne pas tomber dans l’excès inverse avec la multiplication de grands frigos d’une surcapacité très coûteuse de surcroît, en argent et en énergie. Devant mon admiration pour leur chaîne du froid à Las Palmas, des armateurs asiatiques de gros calibre, m’avaient démontré, calcul à l’appui, l’important impact que cela entraîne sur le prix final du poisson ainsi conservé, le poulpe en particulier, dans ce cas précis. En frais d’amortissement d’investissements, de coûts d’entretien, de main-d’œuvre, d’énergie, d’agio, etc. … Surtout que dans notre Sahara, il fait bien plus chaud qu’à Las Palmas !
Souveraineté d’occasion et à crédit
Bref, en dehors des gros moyens financiers, il faut avoir aussi la fibre écolo ! Pas celle des Verts du Parlement Européen, eux qui, manipulés par le Polisario et nos frères algériens, bloquent le renouvellement de l’Accord de pêche Rabat-Bruxelles. Cela rappelle le voyageur monté dans un train bondé et qui voulait s’asseoir sur un sac en toile, demandait au proprio qui le lui déconseillait, s’il contenait des œufs ? «Non, mais des barbelés» !!
Contrairement au voyageur du train, François Hollande a remercié publiquement l’« anonyme officiel marocain» d’avoir enrichi « sa boite à outils » par l’adage du Maréchal Lyautey «qu’au Maroc, gouverner c’est pleuvoir». Cette fibre écolo enseignée aux Marocains par feu Hassan II, qui a fait surgir des villes en plein désert, avec des infrastructures nécessitant des budgets colossaux par rapport auxquels la compensation financière de l’Accord de pêche ne représente même pas un seul grain de sable dans ce vaste désert. Sans parler de la différence des conditions de vie dans nos provinces du Sud et la misère dans les camps de Tindouf sous l’œil visigilant d’un chef « réélu »sans arrêt à vie, menant un train de vie luxueux comme le rapportait récemment un grand journal américain.
Quant à la question de la souveraineté, elle a été expliquée par SM le Roi Mohammed VI, alors prince héritier dans son livre La Coopération entre l’Union Européenne et les pays du Maghreb (Nathan 1994). Précisant que les richesses halieutiques ont bien servi au Maroc de moyen de pression pour parachever son intégrité territoriale et que le premier accord de pêche ne fut signé en 1988 que lorsque Bruxelles accepta son application « dans les eaux sous souveraineté ou sous juridiction marocaine … ce qui équivaut à une reconnaissance de facto et de jure de la souveraineté marocaine sur l’ensemble des eaux de Tanger à Lgouira». De toutes les façons, les écolos européens ont surtout tendance à louper la lune qu’on leur indique en regardant plutôt le doigt. C’est peut être le soleil de notre Sahara qui les a rendus plus arabes que les Arabes, qui se sont mis d’accord sur une seule chose : «ne jamais être d’accord ». Même en Allemagne, où ils sont plus nombreux et structurés, avec des participations aux gouvernements fédéral et local à des postes importants. On aurait pourtant tout pour leur plaire avec nos choix stratégiques en matière d’énergies renouvelables. Et ce n’est pas du vent !
Et au risque de déplaire à Emma Bonino, nommée ministre des Affaires étrangères dans le tout récent gouvernement italien et amie de notre pays, c’est peut-être l’Europe qui, cette fois, n’aura pas les moyens de persister dans son refus de ratifier l’Accord de pêche par le Parlement Européen.