Affaire Ynna Holding/Fives FCB : Chaâbi s’explique
Le mardi 8 septembre, au Tribunal de commerce de Casablanca, la 4 ème tentative de vente aux enchères des 3,5 millions d’actions de la chaîne de supermarchés Aswak Essalam, filiale d’Ynna Holding, n’a pas plus réussi que les précédentes. Se terrant depuis le début de l’affaire dans un certain mutisme, le management du Groupe Chaabi est sorti de son silence le 16 septembre pour donner sa version des faits sur le litige qui l’oppose au groupe français Fives FCB. par Adama Sylla
Le Groupe Chaâbi est enfin sorti de son mutisme depuis l’éclatement de ce qui est devenu l’affaire Ynna Holding-Fives FCB, cela un peu plus d’une semaine après la quatrième tentative de vente judiciaire des actions de la chaîne de supermarchés Aswak Assalam au profit du groupe français Fives. Encore raté. En effet, ce mardi 8 septembre, au Tribunal de commerce de Casablanca, un seul acheteur, en l’occurrence la femme d’affaires Laïla Laraqui, a opté pour l’acquisition de 40 000 actions à 76 DH l’unité. On est très loin des millions d’euros attendus par l’industriel français en règlement d’un litige avec le groupe Ynna, propriétaire d’Aswak Assalam. « Une entreprise comme Aswak Assalam ne s’achète pas comme ça, parce que ce qui paraît comme une bonne affaire peut vite devenir un cauchemar. Chaque entreprise a sa particularité. Alors celui qui va racheter Aswak Assalam dans ces conditions, comment va-t-il s’y prendre pour faire adhérer 1600 employés à sa vision. C’est pour cela que je pense que dans le monde entier, personne ne peut acheter Aswak Assalam», justifie Faouzi Chaâbi, vice-président d’Ynna holding.
La cimenterie, objet du litige
Il faut dire que ce 16 septembre, ce dernier et son frère Omar Chaâbi, vice-président exécutif d’Ynna Holding, ont décidé de sortir de leur silence devant la presse pour donner leur version des faits. Pourquoi alors aujourd’hui ? «Notre groupe a pour tradition de ne pas se prononcer dans pareille situation. Mais, cette fois-ci, nous sommes obligés d’apporter des éclaircissements puisque beaucoup de choses ont été dites, même si dans tout ce qui s’est dit, il y a du vrai mais beaucoup de faux », explique Omar Chaâbi. Comment en est-on arrivé là ? Selon le management du Groupe Chaâbi, tout a commencé en 2007 avec la création de sa filiale, Ynna Asment, une société anonyme de droit marocain à conseil d’administration, dotée d’un capital de 110 millions de DH pour l’exploitation de son activité. Un projet de cimenterie qui devait voir le jour début 2011 et créer près de 500 emplois directs.
En décembre 2007, Ynna Asment lance un appel d’offre à l’échelle internationale pour la réalisation d’une cimenterie clé en main dotée d’une capacité de production de 2 millions de tonnes de ciment par an et une ligne de 5 000 tonnes de clinker par jour. La même année, Ynna Asment signe une convention d’investissement avec l’Etat Marocain, et en 2008, choisit le fournisseur français Fives FCB pour la réalisation de la cimenterie, signant un contrat en juillet 2008 intitulé «Cimenterie de Guisser » dans lequel Ynna Asment apparait comme le client et Fives FCB comme le fournisseur principal. « Je tiens à souligner que lors de cette phase préliminaire, la filiale marocaine de Fives FCB, CPC Maroc, qui devait réaliser le projet de cimenterie, n’existait pas et ne sera créée qu’en novembre 2008 avec un capital de 100 000 DH pour gérer ce projet ! Aujourd’hui, c’est cette même CPC Maroc qui nous réclame un dédommagement de plus de 19 487 200 euros avec intérêts à 5% à compter du 31 juillet 2009 jusqu’au paiement complet », précise Faouzi Chaâbi qui indique que Fives FCB en charge du volet financement, n’a jamais pu leur présenter des propositions de financement valables.
Le financement, autre objet du litige
En effet, selon le management d’Ynna Holding, en octobre 2008 et dans le respect de ses obligations contractuelles, Ynna Asment règle la somme globale de 13 181 500 euros, soit 144 073 795 DH, à la société Fives FCB à titre d’avance pour la réalisation du projet. Cette somme a été versée contre remise d’une garantie de restitution d’acompte destinée à être restituée à Ynna Asment en cas d’inexécution du projet par Fives FCB. Aux termes du contrat signé en 2007, Fives FCB se charge de trouver un financement adapté au projet et acceptable par Ynna Asment. En novembre 2008, un organisme bancaire européen donne son accord à Fives FCB pour le financement du projet, mais avec une série de conditions et de garanties inacceptables. En effet, l’organisme bancaire réclame la garantie conjointe et solidaire de Ynna Holding et de SNEP, sociétés juridiquement autonomes non liées au projet. « Cette proposition trop restrictive a naturellement été rejetée par Ynna Holding », fait constater Omar Chaâbi. Face au retard enregistré depuis par Fives FCB dans l’obtention d’un financement acceptable, Ynna Asment accepte, à la demande de Fives FCB de prolonger le délai de l’entrée en vigueur du contrat par un avenant conclu en janvier 2009. Le groupe français, toujours en charge du financement du projet, revient avec une nouvelle offre en mars 2009, cette offre remplaçant la garantie de SNEP et Ynna Holding par la garantie d’autres filiales du groupe.
« Face à l’incapacité de Fives FCB à présenter des propositions de financement valables, et ainsi dans l’impossibilité de réaliser le projet, nous avons fait appel de la garantie de restitution d’acompte afin de récupérer les avances versées à Fives FCB et exprimé notre mécontentement quant au retard enregistré relatif au financement. En juillet 2009, Fives FCB adresse une mise en demeure à Ynna Asment et à Ynna Holding réclamant 10 millions d’euros, soit 109 300 000 DH, pour solde de tout compte. Ce montant est manifestement exorbitant dans la mesure où le carnet de commande de Fives FCB n’a jamais pris en considération le projet de la cimenterie de Guisser, le projet étant resté figé au stade de l’élaboration du dossier de financement. Evidemment, nous avons répondu et rappelé à Fives FCB son engagement à proposer un financement pour la réalisation du projet », détaille Faouzi Chaâbi.
L’affaire débarque en Suisse
Mais le Groupe français ne va pas en rester là, puisqu’il va solliciter l’arbitrage en Suisse en saisissant en décembre 2009 la Cour Internationale d’Arbitrage de la CCI de Genève, avec application du droit suisse et en engageant son action à l’encontre d’Ynna Asment et d’Ynna Holding. « Nous avons refusé et contesté cette procédure, dès lors qu’elle n’est pas signataire du contrat conclu avec Fives FCB en juillet 2008 et qu’elle a expressément refusé de se porter caution d’Ynna Asment, et par conséquent, ne devrait pas être concernée par la clause d’arbitrage », relate Faouzi Chaâbi.
Malgré tout, en septembre 2011, le Tribunal Arbitral de Genève rend sa sentence en faveur de Fives FCB et condamne Ynna Asment et Ynna Holding à payer solidairement un dédommagement de plus de 19 487 200 euros avec intérêts à 5% à compter du 31 juillet 2009 jusqu’au paiement complet.
Le feuilleton casablancais
Mais toujours selon le management du Groupe Chaâbi, lors de l’exequatur au Maroc, le Tribunal de Commerce de Casablanca rend son ordonnance et juge que la condamnation ne doit pas être étendue à Ynna Holding, limitant l’exécution de la sentence arbitrale à Ynna Asment, seule signataire du contrat. « Contre toute attente, en mi-janvier 2015, la Cour d’Appel de Casablanca rend son ordonnance en faveur de Fives FCB », regrette le management du Groupe Chaâbi qui précise avoir réussi à arrêter la procédure de mise en vente des actions SNEP détenues par Ynna Holding en faisant valoir les moyens de droit qui s’imposaient. Et d’ajouter : « immédiatement après et toujours avec la même étrange rapidité pour une affaire de cette importance, Fives FCB a orienté son processus de vente des actions détenues par Ynna Holding au sein de son autre filiale Aswak Assalam. Il va sans dire que SNEP et Aswak Assalam n’ont aucun lien capitalistique direct avec Ynna Asment et n’ont, à aucun moment, garanti ou cautionné les engagements d’Ynna Asment à quelque titre que ce soit ».
Pour autant, la famille Chaâbi ne compte pas baisser les bras. « Ynna Holding et Ynna Asment, chacune en ce qui la concerne, se sont pourvues en cassation en février 2015 de sorte que la Cour suprême tranchera sur l’opportunité, en droit et dans le respect de l’ordre public marocain », tient-elle à rappeler.