Ahmed Herzenni reçu par l’Académie du Royaume du Maroc
Dans le cadre du cycle préparatoire de sa 45ème session, prévue du 24 au 26 avril 2018 sur le thème « L’Amérique Latine comme horizon de pensée », l’Académie du Royaume du Maroc a reçu, le mercredi 24 janvier, Ahmed Herzenni, ambassadeur itinérant de SM le roi qui a donné une conférence sous le thème : « La contribution de l’Amérique Latine dans la pensée de Libération mondiale ».
Cette rencontre a été l’occasion de présenter les travaux de penseurs latino-américains de renom sur des questions tels les défis de l’économie mondiale, la transition démocratique ou encore la transmodernité. Au début de son intervention Ahmed Herzenni a rappelé la première vague de libération des pays d’Amérique entre 1814 et 1825 soulignant que, dans la conception de ses dirigeants de l’époque, la lutte pour l’indépendance était en même temps une lutte pour l’unité continentale. L’indépendance fut acquise mais pas l’unité. Et même l’indépendance s’avéra vite bien relative, a-t-il fait remarquer.
En effet, la doctrine Monroe, formulée dès 1823, plaçait de fait l’Amérique Latine sous protectorat des États-Unis qui ainsi se transformèrent d’exemple en tuteur. « À l’ombre de ce protectorat, donc, prospéra une classe de compradores protégée par des oligarques qui réussirent à survivre à mainte révolte agraire, jusqu’à ce que la crise mondiale et non seulement américaine de 1929 vînt ébranler cet édifice archaïque », a-t-il dit.
Une bourgeoisie plus entreprenante entra alors sur la scène et une certaine modernisation prit son essor, a-t-il poursuivi faisant observer toutefois que « les intérêts des différents acteurs étaient tellement divergents qu’au bout du compte s’imposèrent des régimes autoritaires que défiaient seulement des courants populistes qui au fond n’étaient pas moins autoritaires ». Il était temps que vienne alors une seconde vague de libération, a poursuivi Ahmed Herzenni mettant l’accent sur les apports des intellectuels à cette époque, particulièrement José Marti, « dont l’œuvre éclaire peu ou prou tous les apports de la seconde vague de libération ». Le plus connu de ces apports est certainement la théorie de la dépendance, a dit Ahmed Herzenni ajoutant que celle-ci n’est sûrement pas exclusivement latino-américaine, mais elle a été effectivement initiée par des Latino-Américains notamment Raul Prebish et son équipe de la Commission des Nations Unies pour l’Amérique Latine. Elle part, a-t-il expliqué, du constat que malgré les quelques politiques d’industrialisation qui ont été menées dans des pays d’Amérique latine après la crise de 1929, la pauvreté et le sous-développement, au lieu de se réduire, n’ont fait que s’amplifier et s’approfondir. Chose que cette théorie explique par « les termes, inégaux, de l’échange entre pays développés et pays sous-développés ».
Pour le conférencier, cette théorie est discutable dans ses différentes versions or, sa simple formulation a représenté une irruption salutaire du Tiers-Monde dans le champ de la théorie sociale qui semblait jusqu’alors réservé à l’Europe et à l’Amérique du Nord. Ce manque sur le plan théorique avait atteint son maximum de béance dans les années 60, 70 et 80 du siècle dernier, lorsque quasiment tous les pays du sous-continent étaient gouvernés par des dictatures militaires. « Cette nuit a été suivi d’un printemps communément appelé transition démocratique », a-t-il expliqué, ajoutant que quand bien même cette transition ne s’est pas achevée, du moins elle a donné lieu à des réflexions théoriques d’une haute tenue. La plus riche et la plus stimulante de ces réflexions, a-t-il indiqué, est très probablement celle que mena Feu Guillermo O’Donnell à savoir, l’autoritarisme bureaucratique.
Par la suite, Ahmed Herzenni a mis l’accent sur « un courant de pensée qui s’est voulu une sorte de synthèse de toutes les composantes de la seconde vague de libération et qui a donné à celle-ci une expression philosophique ». Il s’agit de la philosophie (et subsidiairement de la théologie) de la libération, portée, en particulier, par le groupe « Modernité/Colonialité ».
La philosophie de la libération, a-t-il dit, commence par s’insurger contre le système de domination mondial, qu’elle considère totalitaire dans la mesure où il est occidentalo-centré et, philosophiquement, helléno-centré. « Il s’agit finalement, de construire un projet civilisationnel alternatif qui se nourrisse des apports de toutes les cultures des pauvres actuels, mais sans nécessairement rejeter toutes les contributions des cultures postmodernes, modernes ou pré-modernes. C’est ce que Dussel appelle passer à la transmodernité. » Et Ahmed Herzenni de conclure en déplorant un « angle mort » dans la pensée latino- américaine contemporaine : les cultures de l’Amérique Latine d’avant les conquêtes. « Il est vrai que ces conquêtes ont été, directement ou indirectement, si éradicatrices qu’il reste peu de témoignages de ces cultures. Pourtant, ce peu suggère que leur apport serait d’un grand secours en ces temps de désarroi, notamment devant les torts causés à l’environnement de la Terre. », a-t-il dit à la fin de son intervention.