« Il n’y a rien de nouveau dans le PLF 2017 »
Le projet de Loi de Finances (PLF) est-il une première traduction du programme du nouveau gouvernement ? Rien ne le laisse penser, puisque celle-ci ne va régir que quelques mois de cette année et de ce fait, se présente comme la continuité des programmes précédents. En tous cas, c’est ce qui ressort de l’interview qui nous a été accordée en exclusivité par Ali Belhaj, lors d’une première sortie de l’opposition au sujet de ce PLF 2017.
Challenge : Les indicateurs macro-économiques figurant dans le PLF 2017 : un taux de croissance de 4,5%, un déficit budgétaire de 3% du PIB et une inflation limitée à 1,7%, ne dénotent-ils pas d’un certain « sérieux budgétaire » du gouvernement ? Ces hypothèses vous paraissent-elles réalisables ?
Ali Belhaj : La problématique à l’heure d’aujourd’hui ce n’est pas le sérieux budgétaire. Le sérieux budgétaire existe depuis des années au Maroc, ce n’est pas une nouveauté! C’est même inhérent à la politique budgétaire du Maroc. La véritable problématique, c’est que nous sommes dans des années de faible croissance et dans une situation de morosité économique : nous avions besoin de signes beaucoup plus forts de la part de ce gouvernement, que le sérieux budgétaire. Nous avions besoin de véritables signes pour inciter à l’investissement, quitte à passer d’un déficit budgétaire de 3% du PIB à 3.5% et consacrer ce supplément à l’encouragement de l’investissement. Ce n’est pas gênant du moment que cela est cohérent et que cela s’inscrit dans une vraie politique de l’offre.
Les hypothèses du PLF 2017 peuvent être réalisables mais ce n’est pas suffisant, la question n’est pas là. La véritable question est de savoir si on va réaliser ces équilibres mais « mourir en bonne santé », comme on dit ! Nous sommes face à une perte de confiance, le véritable défi aujourd’hui est de relancer l’investissement et la confiance, et non pas l’obsession de l’orthodoxie budgétaire.
Quelle articulation faites-vous entre le programme gouvernemental et l’architecture des dépenses et recettes retenue dans ce PLF ?
Soyons sérieux : ce budget a été réalisé avant la présentation du programme gouvernemental. Le programme gouvernemental a été présenté par le Chef du Gouvernement mercredi 19 avril, or le PLF 2017 était prêt bien avant la déclaration gouvernementale. S’ils se ressemblent c’est soit un hasard, soit que ce gouvernement a fait du « copié collé » par rapport au précédent. Que l’on soit clair : il n’y a rien de nouveau dans le PLF 2017. La cohérence, la logique et la décence auraient voulu que le gouvernement propose un PLF rectificatif, ou alors qu’il se déclare comme étant dans la continuité du précédent et qu’il l’assume devant l’opinion publique. De toute façon, j’estime que nous sommes déjà dans le prochain débat pour le PLF 2018, puisque le PLF 2017 est déjà largement entamé.
Le gouvernement entend poursuivre « la réforme » du régime des retraites et de la compensation selon la même vision que son prédécesseur. Quelle est votre vision sur ces deux grands chantiers et comment comptez-vous agir pour faire prévaloir votre point de vue ?
La réforme du régime des retraites et celle de la compensation sont des réformes essentielles à faire. Ceci dit nous avons constaté, avec l’ancien gouvernement, une absence de véritables concertations, avec l’ensemble des partenaires sociaux lors de la réforme du régime des retraites. Une réforme de cette importance doit se faire dans un dialogue continu avec les partenaires sociaux, ainsi qu’avec les partis de l’opposition parlementaire. Nous avons vu toutes les frustrations engendrées par le gouvernement et qui sont dues à l’insuffisance du dialogue social.
En ce qui concerne la compensation, ce qui a fait la « réussite » du gouvernement sur ce sujet, c’est une conjoncture d’événements heureux, comme la baisse du prix du baril du pétrole. La conjoncture internationale ne sera pas aussi favorable au gouvernement actuel.
Il faudra donc être très vigilant pour que ces réformes importantes, si elles sont mal faites, n’engendrent pas de troubles sociaux dont notre pays n’a pas besoin.
Plusieurs mesures sont prévues dans ce PLF pour la promotion de l’investissement privé, dont notamment les exonérations fiscales. Est-ce suffisant? Quelles sont vos propositions à ce sujet ?
La promotion de l’investissement privé devait être le point clé de la politique gouvernementale, ça ne devrait pas être un point accessoire ou un gadget, mais bel et bien le point principal de son action publique. D’ailleurs, j’aimerais faire référence au dernier Mémorandum de la Banque Mondiale sur le Maroc, qui précise que notre pays a beaucoup investi dans les infrastructures, mais que si le secteur privé ne prend pas le relais pour rentabiliser ces investissements publics il n’y aura pas de véritable croissance. Il faut sortir de l’obsession pour la dépense et l’investissement public pour aller vers ce qui distingue un pays émergent du reste: l’investissement privé ! Seule la promotion de l’investissement privé pourra nous apporter les points de croissance qui nous manquent cruellement aujourd’hui.
Les quelques mesures présentes dans le PLF 2017 sont insuffisantes, il en faudrait bien plus ! Et il faudrait une concertation plus forte avec les partenaires privés, dont la CGEM. Nous aurions voulu avoir un signe fort, et entendre le gouvernement ériger l’investissement privé en priorité numéro un. Cela n’apparaît malheureusement pas dans la déclaration gouvernementale, ni dans le PLF 2017.
S’agissant, enfin, du secteur de l’emploi, le PLF 2017 prévoit d’une part, la création de 23 768 nouveaux postes budgétaires et d’autre part, des mesures d’appui à l’emploi dans le secteur privé, dont notamment le développement de l’auto-entreprenariat, les exonérations de l’IR pour les stagiaires dans les entreprises à hauteur de 6000 DH, et le soutien du Fonds créé en faveur des startups pour un budget de 500 MDH. Toutes ces mesures ont prouvé jusqu’à présent leurs limites. Quelles alternatives d’après-vous ?
Il faut se rendre à l’évidence et être clair une fois pour toutes : l’Etat n’a pas vocation, par le recrutement, à résoudre la problématique du chômage. A l’heure d’aujourd’hui, la masse salariale étatique nous coûte, à peu près, 120 milliards de dirhams, alors que les recettes fiscales s’élèvent à 150 milliards de dirhams ! Il y a donc un véritable problème. En termes de marge de manœuvre budgétaire, le budget de fonctionnement et la masse salariale de l’Etat représentent une proportion trop grande du budget global de l’Etat. Le recrutement annuel de dizaines de milliers de fonctionnaires ne fait qu’accentuer ce problème, nous en payons le prix chaque année. Il faut entamer une réflexion profonde pour trouver de nouvelles marges de manœuvre budgétaires, comme cela fut le cas sous le gouvernement de Driss Jettou avec les départs volontaires définitifs. Une solution similaire pourrait être remise sur la table. Quoi qu’il en soit, il faut arrêter de recruter, ou ne recruter que sur les départs en retraite, voire moins. Car ce n’est pas ainsi que nous résoudrons la problématique de l’emploi, l’emploi ça ne se décrète pas !
En ce qui concerne les mesures citées, nous sommes plutôt face à des « mesurettes », un traitement technique du chômage. Cela n’apporte rien de réellement significatif. Il faudrait une véritable politique de l’Etat en faveur du secteur privé pour rétablir, à travers des signes forts, la confiance et encourager l’investissement privé, à travers des mesures globales, cohérentes et concertées.