Allongement des délais de paiement : et si le problème était ailleurs ?
La résolution de la problématique des délais de paiement tarde à intervenir et ce, malgré le forcing exercé par les pouvoirs publics. Ceci laisse conclure que ses causes sont profondes et ne sont pas purement financières, mais aussi d’ordre culturel, politique et même moral.
L’allongement des délais de paiement est l’un des sujets qui ont fait couler beaucoup d’encre au cours des dernières années. Et ce n’est pas terminé vu que la problématique reste posée dans toute sa dimension et ce, en dépit des actions entreprises par les pouvoirs publics. Certes, un énorme travail a été réalisé depuis 2011, année de l’insertion dans le Code de commerce d’un dispositif traitant du délai de paiement. Ledit dispositif n’a pas tardé à être amendé dès 2016 dans le but de l’améliorer, avec notamment la création de l’Observatoire des délais de paiement.
Mais il faut dire que c’est le discours Royal prononcé au mois d’août 2018, à l’occasion du 65ème anniversaire de la révolution du Roi et du Peuple, qui a placé la problématique du délai de paiement au centre des préoccupations du gouvernement. Les deux départements ministériels les plus concernés par cette question, à savoir l’Intérieur et les Finances, n’ont pas cessé depuis cette date d’enchaîner des mesures dans le but de réduire les délais de paiement. Parmi les actions menées, citons la création de commissions de suivi des délais de paiement au niveau à la fois national et régional, la dématérialisation du dépôt des factures et la mise en place d’une plateforme électronique pour le dépôt des plaintes des fournisseurs des entreprises et établissements publics.
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Toutes ces mesures et tant d’autres, n’ont pas donné les résultats escomptés, même si certains chiffres font état de la réduction du délai de paiement dans le secteur public. Mais en attendant les chiffres officiels de l’Observatoire des délais de paiement, il est incontestable que les délais de paiement demeurent très élevés comme le font ressortir les rapports de certains organismes spécialisés comme Coface et Euler Hermes. C’est ce qui explique la dernière sortie du ministre des Finances qui a fait du dossier des délais de paiement une de ses priorités depuis sa nomination au gouvernement le 20 août 2018.
Dans une lettre-circulaire datée du 21 juin 2019, destinée à l’ensemble des responsables des établissements et entreprises publics, il admet que les mesures prises depuis septembre 2018 n’ont permis «qu’une amélioration relative des délais de paiement». Il reconnait même que certains établissements et entreprises publics « n’ont pas pris de mesures concrètes en vue d’améliorer les modalités et les délais de traitement des dossiers relatifs au paiement des sommes dues à leurs fournisseurs ».
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Et comme une reconnaissance de l’efficacité limitée des mesures prises jusqu’à présent, il annonce deux nouvelles actions qui visent à faire de la transparence un moyen de pression sur les établissements et entreprises publics pour les pousser à payer leurs fournisseurs dans les délais. Dans ce cadre, ces organismes publics seront amenés à compter du premier juillet 2019, à communiquer leurs données mensuelles à travers le système d’information de la DEPP (MASSAR). Et à partir du 1er octobre de la même année, ces données seront portées à la connaissance du public par le biais de leur publication sur le site de l’Observatoire des délais de paiement. C’est une manière en quelque sorte de dénoncer les mauvais payeurs. Mais est-ce suffisant ?
Il est indéniable que les autorités publiques ont déployé des efforts sans précédent et sans relâche depuis plusieurs années. Mais la modicité des résultats atteints malgré la multiplication des actions sur les plans législatif, réglementaire, et organisationnel, soulève la question de savoir si la pression exercée par le gouvernement est à même de solutionner la problématique des délais de paiement. De notre point de vue, la réponse est non. Tout simplement parce que la pression ne peut pas être maintenue longtemps. Ceci, tout simplement parce que les priorités gouvernementales changent avec l’évolution de la conjoncture et ce qui est prioritaire maintenant, risque de ne pas l’être demain.
L’allongement des délais de paiement n’est pas un phénomène purement administratif ou financier, il est le produit de tout l’environnement dans lequel opèrent l’administration publique, les entreprises publiques et les entreprises privées. De même, l’aspect culturel ne doit pas être ignoré ou passé sous silence. Le retard de paiement n’est pas toujours dû à des difficultés financières ou à l’absence de crédits budgétaires. Parfois, il revêt un caractère purement culturel, en ce sens que le fait de payer ses dettes en retard ou de ne pas les payer du tout est devenu un phénomène normal, qui ne choque qu’une petite minorité d’opérateurs.
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