Assises fiscales : place au grand toilettage
L’initiation à l’écoute et à la concertation a commencé en 1999, dans un contexte d’ouverture et de réconciliation nationale. Aujourd’hui, une nouvelle étape a été annoncée avec le débat national sur le «nouveau modèle de développement».
Les 3èmes Assises nationales sur la fiscalité s’inscrivent pleinement et nécessairement dans ce débat. Ce dossier tente de présenter les différentes positions exprimées au cours de la réflexion entamée depuis le début de l’année, y compris celles qui ont de faibles moyens pour se faire entendre.
Ecoute et concertation constituent les objectifs immédiats des 3èmes assises fiscales. L’«équité fiscale» a été le premier titre mis en avant dans la présentation de cet évènement. Mais impossible d’organiser des Assises fiscales sans les contextualiser. Et le contexte actuel, c’est celui du débat sur le «modèle de développement économique», déclenché par un discours Royal. Mais l’équité fiscale, inséparable de la pauvreté qui, loin d’être une fatalité, résulte des inégalités sociales, peut être l’une des principales réponses aux attentes, voire aux exigences citoyennes croissantes en justice sociale et en respect de la dignité humaine.
Les 3èmes Assises fiscales se veulent être l’occasion d’une «réflexion collective», pour briser l’habitude du «monologue», en vue de définir les contours d’un «nouveau système fiscal national, plus équitable, performant, compétitif, orienté développement et intégrant les principes universels de bonne gouvernance».
L’objectif est bien annoncé : élaborer un «projet de loi-cadre sur la fiscalité», avec une programmation de la déclinaison, étalée sur 5 ans, dès 2020.
La nécessité d’un nouveau système fiscal national est basée sur la prise de conscience des «inefficiences et des iniquités» qui font obstacle à la réalisation des objectifs d’incitation et de redistribution.
Le système fiscal doit accompagner les objectifs stratégiques définis à travers les politiques publiques nationales et sectorielles, notamment la lutte contre la pauvreté et la précarité, par l’encouragement des activités créatrices d’emplois durables. La fiscalité doit appuyer la croissance à travers notamment une optimisation des dépenses fiscales, en priorisant l’incitation de la productivité, le développement de la compétitivité, l’investissement, l’innovation et la recherche-développement.
La DGI rejoint le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE), en prônant une fiscalité défavorable à la rente et à la reproduction des inégalités sociales. Traduction technique d’une nouvelle volonté politique en émergence.
Les «principes-directeurs» annoncés dès le début, sont la neutralité de la TVA, la lutte contre la fraude fiscale, la prise en compte des facultés contributives, la répartition équitable de l’impôt entre le facteur capital et le facteur travail, la promotion de l’épargne durable au détriment des activités foncières et financières spéculatives.
Il est bien souligné, par la DGI, que les réformes envisageables dépendent étroitement de la bonne gouvernance, de la qualité des ressources humaines, du système d’information et du civisme fiscal, en tant qu’objectif stratégique et permanent.
A mi-chemin, entre l’Etat et le Capital, l’ordre des experts comptables
La position des experts comptables n’est pas exclusivement d’ordre technique. Ainsi, les professionnels de la comptabilité et du conseil prônent un examen critique des dérogations fiscales à l’aune de la pertinence économique et sociale. C’est notamment le cas du secteur agricole pour lequel le seuil d’exonération devrait être revu dans un souci d’équité par rapport aux autres catégories de revenus, mais aussi pour éviter un effet d’éviction des capitaux. Les exonérations en faveur de l’immobilier devraient être remplacées par des aides directes ciblées.
Enfin, les propositions de l’ordre des «spécialistes du chiffre» vont surtout dans le sens de la généralisation de la comptabilité et donc de la transparence. La comptabilité est aussi un instrument pédagogique de développement de la culture d’entreprise et de la rationalité. Avec l’ensemble des parties consultées au cours de la préparation des prochaines Assises fiscales, les experts comptables sont aussi favorables à la création d’un «Conseil des Impôts», en tant qu’organe de consultation et principal acteur institutionnel de concertation dans le domaine fiscal.
Au tournant, l’inévitable «fatwa» du Conseil Economique, Social et Environnemental
Pour le CESE, malgré les réformes qui se sont succédées, depuis les années 1980, avec certes des progrès significatifs, le système fiscal marocain continue de présenter des limites et des difficultés dues au «manque de cohérence et de visibilité», ce qui explique la modestie des résultats atteints, comparativement au potentiel fiscal réel du Maroc.
Le CESE, dès le début, établit un lien direct et nécessaire avec la réflexion nationale entamée actuellement sur la construction d’un nouveau modèle de développement. Pour cela, cette instance constitutionnelle prône un «changement de paradigme profond» dans le mode d’appréhension de la matière fiscale, aussi bien au niveau de la conception de la politique fiscale et de sa gouvernance que dans sa mise en œuvre. Cela veut dire que le nouveau système fiscal à mettre en place est appelé à jouer un «rôle plus stratégique», en répondant à un impératif de cohérence, de visibilité, d’équité, d’efficience et d’appui à l’élargissement de l’activité et de la production de valeur ajoutée nationale, de manière pérenne. Loin d’être «neutre», le système fiscal est appelé à contribuer au renforcement des liens de solidarité, à la réduction des inégalités et à la cohésion sociale.
Cette vision réformiste s’inscrit dans la durée et se veut progressive. Car les mauvaises habitudes (incivisme), bien ancrées dans notre société, seront certainement difficiles à changer.
Il est d’abord question de «sortir de la logique d’équilibre entre les intérêts sectoriels et catégoriels, sans cohérence ni synergie, à la racine des constats et limites relevés, pour être plus en phase avec un cadre favorable à la convergence d’intérêts partagés par le plus grand nombre». Car les carences, soulignées par le CESE, sont d’ordre structurel. Il s’agit de la «prédominance de l’économie de rente» et du «recours fréquent à des avantages et privilèges», encourageant ainsi des activités économiques inefficientes, à faible valeur ajoutée et favorisant la persistance des inégalités sociales et territoriales.
C’est là un regard critique et objectif sur les principaux obstacles structurels aux réformes visant à s’attaquer aux causes profondes de la pauvreté qui sont les inégalités injustes et les politiques publiques qui contribuent à leur reproduction, dont la politique fiscale.
A cela s’ajoutent la «forte concentration économique», avec des investissements publics faiblement productifs de valeur ajoutée, la persistance des inégalités, l’instabilité du système fiscal, l’incivilité fiscale et la complexité du système fiscal, en particulier la fiscalité locale.
Le CESE, face à cette réalité froidement décrite et analysée, préconise la construction d’un «nouveau système fiscal qui s’articule avec force, avec les autres politiques publiques», pour contribuer à la création de la valeur ajoutée nationale et d’emplois qualifiés durables, et pour assurer l’inclusion sociale et la visibilité. Dans cette optique, le «système fiscal cible» devrait constituer un «pilier fondamental pour le nouveau modèle de développement».
Ce dernier doit assurer «la transparence et l’effectivité de l’application des règles à tous; réorienter le système de création de valeur vers l’économie productive ; favoriser l’innovation et la montée en charge dans la chaine de valeur ; réduire les équilibres sociaux et territoriaux, densifier le tissu économique, libérer les énergies et favoriser l’émergence d’une nouvelle génération d’acteurs socio-économiques». Autrement dit, il est temps de dépasser les tâtonnements et les bricolages. Le point de départ réside dans la mise en œuvre des principes constitutionnels et l’effectivité de l’Etat de droit qui en garantit le respect.
Aussi, le CESE recommande : la mise en place d’un système intégré où, globalement, les prélèvements fiscaux et sociaux sont indissociables des principes de redistribution et de solidarité ; la définition d’un «pacte fiscal de confiance» basé sur l’adhésion et consacrant la lisibilité, l’accessibilité et l’acceptabilité du «système fiscal cible». Le contrôle fiscal qui en constitue le «cœur», doit être impartial ; l’élargissement de l’assiette par une déclinaison effective du principe d’équité fiscale ; l’application d’un traitement fiscal favorable et inclusif aux activités à faibles revenus, avec une approche évolutive et intégrationniste ; le «renforcement du pouvoir d’achat de la classe moyenne», classe sociale bien connue pour son rôle moteur dans le développement économique et social.
En dernière instance, l’élargissement de l’assiette doit avoir un large impact et aboutir au partage des fruits en profitant aussi bien au maintien des équilibres macro-économiques qu’au financement des politiques publiques répondant aux besoins fondamentaux et prioritaires des populations exposées à la précarité.
Le CESE rejoint certaines voix exprimant une vision moderniste voyant dans la fiscalité une «locomotive» capable de tirer l’ensemble de l’économie et de la société dans la bonne direction, celle du progrès durable et solidaire.
Pour cela, la «sortie de la prédominance de la rente» est un préalable incontournable. La rente est le premier obstacle structurel à la mise en place d’un nouveau modèle de développement équitable, durable et solidaire.
Les incitations devraient, dorénavant, privilégier l’innovation et la Recherche et Développement, à travers notamment l’instauration d’un «Crédit Impôt Recherche». Les avantages devraient être conditionnés, dans une démarche contractuelle, par la création de valeur et d’emplois durables, projetés et mesurables, en évitant l’encouragement d’activités préjudiciables à une réelle dynamique de développement.
L’une des premières cibles du nouveau système fiscal devrait être le «patrimoine non productif», sur la base d’un recensement exhaustif des biens fonciers, avec une extension aux biens de luxe et la mise en place d’un impôt sur la succession par héritage.
Par ailleurs, le mécanisme de la progressivité permettant de décliner concrètement le principe d’équité fiscale, est appelé à être généralisé à toutes les catégories de revenus, imposables en matière d’IR, mais aussi au niveau des autres impôts, chaque fois que cela est possible.
Enfin, la dimension locale/régionale, actuellement inscrite dans les priorités stratégiques de la réforme de l’Etat, est appelée à être accompagnée par une refonte radicale de la fiscalité locale dans le sens d’un renforcement des ressources propres pour garantir une autonomie effective des acteurs locaux, corollaire de la reddition des comptes.
La gouvernance du nouveau système fiscal à mettre en place est à asseoir à travers la définition claire et précise du cadre légal, en le rendant lisible et responsable, aussi bien au niveau national qu’au niveau local. A cet égard, la loi-cadre de programmation devrait sanctuariser la réforme fiscale et devenir une «boussole», avec des engagements précis, planifiés et mesurables pour consacrer pleinement le principe de responsabilité politique, condition sine qua non à une dynamique sociétale, génératrice de la citoyenneté.
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