Au cœur de DerbGhallef
Si la visite de la métropole Casablancaise devait se résumer en trois lieux, la mosquée Hassan II y serait sans doute aux côtés du Morocco Mall … et le marché de Derbghallef. Ce dernier qui, malgré son nom peu glamour, reste l’un des endroits les plus prisés pour faire des affaires. « L’expérience DerbGhallef » ne promet certainement pas la sécurité du e-commerce, encore moins le confort de ces centres commerciaux qui ont fleuri soudainement. En revanche c’est une expérience humaine enrichissante où l’on apprend à évoluer dans l’absurdité de situations ahurissantes, mais surtout une expérience commerciale qui devrait un jour permettre de décrocher un diplôme prestigieux de commerce.
Tout se vend à la « Jotya » : Des produits électroniques, des contrefaçons, des technologies dernier cri, et des fois même, des technologies avant-gardistes. Je ne parle pas ici forcément de la Dreambox, cette boite à merveilles permettant d’avoir accès à toutes les chaînes cryptées du monde, mais de produits beaucoup plus inhabituels qui laisseraient perplexes les plus initiés aux avancées technologiques. Par des procédés que les informaticiens de la planète ignorent encore, on est arrivé à mettre au point un CD Youtube regroupant toutes les vidéos du célèbre hébergeur. Je n’ai pas pu demander plus d’informations à ce vendeur ambulant dont la forme de la charrette me paraissait anodine pour quelqu’un qui vient de faire avancer l’informatique d’un pas.
« DerbGhallef » permet aussi de développer ses techniques de négociations. Par exemple, pour un produit quelconque dont la valeur réelle ne dépasse pas les 20 dirhams, le vendeur analyse méticuleusement le client, son style vestimentaire et se permet même des fois de jeter un coup d’œil sur son téléphone portable ou son portefeuille pour en déduire son pouvoir d’achat avant de lancer un prix. Ainsi pour un jeune homme portant des babouches et armé du célèbre Nokia 3310, les négociations commencent aux alentours de 25 dirhams. Pour une jeune femme avec son sac Louis Vuitton (qui a été fouillé une dizaine de fois à son insu) , le prix peut facilement atteindre les 50 dirhams. Enfin, pour un étranger brandissant fièrement son IPhone 5, les prix seront en euros et par un nombre de 3 chiffres minimum.
A la « Jotya » tout s’achète aussi. Ne froncez pas les sourcils quand des inconnus vous accostent en vous demandant si vous voulez vendre, sans indiquer la nature du bien ou du service dont il est question. Il ne faut pas s’y méprendre, ils ne sont pas en train d’insinuer que vous êtes des pratiquants de ce métier très ancien mais peu honorable. Pour les novices qui trouveraient que ces gens sont fort sympathiques, sachez que malgré leur ton d’homme d’affaire aguerri, ils ne sont que des intermédiaires qui conduisent le client vers un ou plusieurs acheteurs qui seraient intéressés par le produit. Une fois la transaction terminée, ces braves hommes réclament un modeste pourcentage du prix de la vente pouvant avoisiner les 50%. Et si vous n’êtes pas satisfaits, sachez que la conclusion de la vente a un effet remarquable sur leur voix et leur éloquence. Le ton monte et les phrases qu’ils prononcent deviennent bizarrement des interrogations sur l’état de santé mentale de l’interlocuteur, ainsi que sa capacité à comprendre sans oublier de demander sa prédisposition à chercher des problèmes.
Avant de mettre fin à cet article je tiens à faire quelques recommandations. D’abord je conseille vivement à ceux qui veulent faire réparer leurs ordinateurs ou téléphones portables à Derbghallef de prendre des photos souvenirs de leurs appareils. Pour ceux qui comptent visiter le marché pendant le Ramadan, il est intéressant de signaler que pendant le mois sacré une poussée involontaire est une déclaration de guerre. Et pour finir, à moins que vous ayez envie d’attirer tous les intermédiaires du marché, il ne faut jamais poser le pied à la « Jotya » en portant un sac à dos. Armés de ces conseils, vous pouvez maintenant vous aventurer dans « L’expérience DerbGhallef » à vos risques et périls !