Aziz Akhannouch, optimiste mais réaliste
L’article 100 de la Constitution est appliqué à la lettre. C’est là un acquis démocratique qui a permis de mettre en place une interaction permanente entre les pouvoirs législatif et exécutif. En effet, le 18 avril, le Chef de gouvernement a accompli son devoir, en s’exprimant devant la Chambre des représentants, pour répondre à des questions de politique générale.
Dans son intervention à la Chambre des représentants, le Chef de l’exécutif s’est voulu rassurant, malgré un contexte mondial et national peu favorable, caractérisé notamment par des changements géostratégiques, climatiques et sanitaires. Aziz Akhannouch rappelle d’abord l’année 2020, année exceptionnelle du début de la pandémie due au Covid-19, suivie d’une année 2021 de reprise économique internationale, caractérisée par une hausse rapide de la demande mondiale, surtout des matières premières, ce qui explique la hausse des prix sur le marché international, et l’inflation dont le taux a atteint 8,5% aux Etats Unis d’Amérique, 7,5% dans la zone euro, 61% en Turquie et 11% au Brésil.
Initialement, le Fonds monétaire international (FMI) avait prévu, pour 2022, un taux de croissance de 4,4%, contre 5,9%, en 2021. Cette institution a révisé à la baisse le taux prévu, pour le fixer à 3,5%, compte tenu des récents évènements au niveau international. Dans la zone euro, principal partenaire du Maroc, avec 65% des exportations, le taux a été revu à la baisse de 3,9% à 2,7%.
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D’après Aziz Akhannouch, malgré ce contexte mondial, le Maroc a fait preuve d’une forte résilience, et ce, grâce aux réformes entamées au cours des deux dernières décennies, et appelées à être consolidées par le Nouveau modèle de développement qui a doté le Royaume d’une vision stratégique, en plaçant le citoyen au centre des politiques publiques. 2021 a été une année très positive, au niveau national. Après un déficit de 6,3%, en 2020, le taux de croissance, en 2021, pourrait atteindre 7%, avec la contribution exceptionnelle du secteur agricole qui a connu une augmentation de la valeur ajoutée (VA) de + 18%, alors que la VA non agricole a connu une hausse de 6%, contre des prévisions initiales de 3,9%. Le transfert des Marocains résidents à l’étranger (MRE) a atteint 93,3 MMDH, en 2021, soit une hausse de + 36,3%. Et, au 1er trimestre 2022, à l’exception du secteur agricole qui a souffert de la baisse des pluies, la VA non agricole a maintenu sa tendance haussière.
Ce que confirment l’accroissement des investissements et l’importation accrue des équipements, soit + 52%, à fin février 2022. De même, le Chef de l’exécutif cite l’augmentation de la vente des ciments, comme indicateur positif de reprise, soit + 5,8%, à fin février 2022. A cela, s’ajoute l’exportation des dérivés de phosphates qui a connu une hausse de + 96%, à fin février 2022. Il en est de même de l’agroalimentaire, avec + 13,8%, du textile, avec + 26%, de l’industrie aéronautique, avec +53%, de l’électronique, avec + 23% et de l’industrie automobile, avec + 4%.
La demande interne devrait connaitre la même tendance. Mais A. Akhannouch ne cite pas de chiffre à ce niveau. Le transfert des RME continue à croitre, atteignant 13,1 MMDH, à fin février 2022. Akhannouch s’attarde sur le secteur agricole, secteur qu’il semble mieux connaitre, y ayant passé plusieurs années. La Loi de finances (LF) de l’année 2022, avait prévu une récolte de 80 millions de quintaux de céréales. Cette prévision est à revoir à la baisse. Par contre, l’exportation des produits agricoles a poursuivi sa hausse, avec une moyenne de + 18%, à fin février 2022. Les produits de la pêche ont connu la même évolution, avec + 17%, en quantité, et + 44%, en valeur. Les dernières pluies des mois de mars et avril vont certainement atténuer les effets de la sécheresse, sur les cultures printanières.
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Globalement, pour A. Akhannouch, la croissance devrait être revue à un taux de 1,5% à 1,7%, en 2022, au lieu de 3,2% (LF 2022). La VA agricole serait ainsi revue à la baisse à + 11%, en 2022, contre + 18%, en 2021. Alors que le PIB non agricole connaitrait une croissance à un taux de + 3,1%. En matière d’inflation, A. Akhannouch s’appuie sur les chiffres du Haut-commissariat au plan (HCP). D’après cette institution qui a le monopole dans la fabrication des statistiques, le taux d’inflation serait de 3,6%, décomposé en un taux de 5,5% pour les produits alimentaires et de 2,5% pour les produits non alimentaires.
La « crise Russo-Ukrainienne » qui a tendance à durer, les conséquences de la 1ère année (2020) de crise sanitaire et les changements climatiques ont convaincu le gouvernement actuel quant à l’urgence de la mise en œuvre des grands axes stratégiques relatifs à l’autosuffisance énergétique et au renforcement de la sécurité alimentaire. A. Akhannouch reprend des extraits du Discours Royal prononcé par le Souverain lors de l’ouverture de la première session parlementaire au mois d’octobre 2021. Ce Discours avait notamment mis l’accent sur le concept de « souveraineté » dans ses dimensions multiples, en particulier dans les domaines de l’alimentation, de la santé et de l’énergie. La « sécurité stratégique » du pays a ainsi un nouveau sens, plus large et plus profond.
Pour faire face à l’urgence, des mesures prioritaires ont été prises pour protéger le pouvoir d’achat des ménages. Le prix du baril de pétrole a atteint 133 dollars sur le marché international. Le prix du gaz a atteint 1090 dollars la tonne, avec une moyenne de 890 dollars au cours du 1er trimestre 2022. Le prix du sucre a atteint 463 dollars la tonne. D’où la mobilisation de ressources financières exceptionnelles. Ainsi, déjà, en 2021, les charges de la Caisse de compensation (CC) ont atteint 21,1 MMDH, au lieu des 12,5 MMDH initialement prévues. En 2022, les prévisions ont été chiffrées dans la LF, à 17 MMDH, mais un supplément d’au moins 15 MMDH, est à prévoir.
D’après le Chef de l’exécutif, plusieurs actions de coordination ont été engagées avec les professionnels de divers secteurs pour veiller à la stabilité des prix. A. Akhannouch promet de sévir sévèrement contre toute activité spéculative à caractère frauduleux. Le contrôle des prix a été renforcé. Les professionnels du transport, soit 180.000 véhicules, ont bénéficié d’une aide exceptionnelle pour amortir de choc de la hausse des prix des produits pétroliers.
Et malgré le contexte de crise, plusieurs programmes sociaux ont été menés par le gouvernement. C’est notamment le cas d’Awrach et de Forsa, ainsi que la mise en œuvre du « registre social », sans oublier l’augmentation de la masse salariale, avec un montant global de 8 MMDH, affecté à la régularisation des fonctionnaires, après plus de 2 ans de stagnation. Les dépenses de remboursement de TVA d’un montant global de 13 MMDH devraient permettre aux entreprises concernées de renflouer leurs trésoreries. (A fin mars 2022, le bulletin trimestriel de la TGR indique un montant de 3,6 MMDH, en matière de « Remboursement, dégrèvements et restitution fiscaux »). Ce qui devrait impacter positivement le pouvoir d’achat des ménages et la solvabilité des entreprises. 2 MMDH ont été mobilisés pour le secteur du tourisme qui a le plus souffert de la crise sanitaire. Le plan d’urgence anti-sécheresse a mobilisé une enveloppe globale de 10 MMDH.
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Le dialogue social a été entamé pour créer un espace de propositions et de solutions. Les engagements sociaux à caractère structurel ont été maintenus, malgré le contexte de crise. C’est notamment le cas de la généralisation de la protection sociale, avec l’adoption de 20 décrets d’application concernant les professionnels, les travailleurs indépendants et les non-salariés dont le nombre est estimé à plus de 3,5 millions d’adhérents potentiels, soit 11 millions d’ayant droits. Au début d’avril, le nombre de nouveaux adhérents à la CNSS a atteint 1,7 million. L’enveloppe globale prévue est d’un montant de 13,4 MMDH.
La réforme du système national de santé est indissociable de ce chantier stratégique. L’autre axe stratégique est afférent à la réforme du système d’éducation, à travers notamment la réhabilitation de l’école publique, pour en faire un espace de transmission du savoir et d’ascension sociale. L’encouragement de l’initiative entrepreneuriale, surtout en faveur des petites entreprises, a aussi une place stratégique dans le programme gouvernemental.
La réforme du système de la commande publique s’inscrit dans cette optique. Pour le programme « Forsa », des prêts sans intérêts sont prévus, avec un accompagnement en termes d’orientation et de formation. Un budget de 1,25 MMDH est dédié à ce programme. Le programme « Awrach » devra permettre la création d’une dynamique socio-économique, avec la mobilisation d’une enveloppe globale de 2,25 MMDH. L’emploi est un objectif prioritaire. La charte d’investissement devrait bientôt être adoptée pour contribuer à une amélioration de l’environnement des affaires et à la croissance des investissements. Le Fonds Mohammed VI a une place stratégique dans cette dynamique de croissance. Sans oublier les politiques sectorielles entamées telles que la « Generation Green », la transformation industrielle, les infrastructures, le tourisme, l’artisanat et l’économie sociale.
Tout cela nécessite une mobilisation innovatrice et dynamique des ressources budgétaires et une meilleure rationalisation des dépenses publiques. Ainsi, déjà, à fin 2021, le déficit budgétaire a pu être réduit de 1,6%, soit 7,6%, en 2020 et 6%, en 2021. La dette du Trésor a aussi connu une baisse de 1,5 point, soit 76,4% du PIB, en 2020, et 74,9%, en 2021. Et début 2022, les recettes fiscales ont connu une hausse de 26%, à fin mars 2022. Cette évolution permet à A. Akhannouch d’être plus optimiste, et d’écarter l’éventualité d’une loi de finances rectificative. Le dernier classement du Maroc par « Standard & Poor’s », en termes de stabilité des équilibres financiers, semble confirmer cet optimisme du Chef de l’exécutif.