Bank Al Maghrib passe à la vitesse supérieure
Alors que l’ampleur des dégâts sur l’économie nationale se précise, Bank Al Maghrib qui a tenu ce mardi 16 juin son deuxième Conseil de l’année, semble plus déterminée à déployer davantage son arsenal monétaire pour atténuer les méfaits de la crise actuelle du Covid-19 tout en tirant les leçons qui s’imposent pour ce qui est de l’accélération de la digitalisation des services bancaires. Serait-ce suffisant ? Dans un contexte d’incertitude radicale pour paraphraser Keynes, seul l’avenir peut y répondre !
Après une première salve de mesures assez timides, Bank Al Maghrib sort le grand jeu à l’issue de la deuxième réunion de l’année 2020 de son Conseil. Et il suffit de lire la quintessence du communiqué de presse publié à cet effet pour s’en convaincre. En effet, alors que d’aucuns ont considéré que la baisse timide de mars 2020 du taux directeur de 2,25% à 2% (soit juste avant la mise en place du confinement de la population) n’était qu’un cautère sur une jambe de bois face à l’ampleur de la déflagration économique causée par la crise du Covid-19 et qui ne sera, de surcroît, que peu (voire nullement) répercuté sur les taux débiteurs moyens facturés par la banque (comme l’histoire économique récente de notre pays l’a démontré à plusieurs reprises), cette fois-ci Bank Al Maghrib passe à la vitesse supérieure en ramenant son taux directeur à 1,5% (soit une baisse de 50 points de base d’un coup) tout en précisant qu’elle « veillera, plus que par le passé, à la transmission de ses décisions à l’économie réelle et fera le point régulièrement à ce sujet avec le plus haut management du système bancaire ». Une mise en garde à peine voilée à l’endroit des banques sous sa tutelle qui risqueraient de s’accaparer cette « carotte » pour bonifier leurs marges d’intermédiation en perte continue d’altitude depuis quelques années.
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Au-delà de la baisse historique du taux directeur, Bank Al Maghrib a également soulagé les liquidités des banques à hauteur de 10 milliards de dirhams par le truchement de la libération intégrale de la réserve obligatoire en en ramenant le taux à 0% (contre 2% auparavant et 8% une décennie plus tôt). Et l’étendue de la panoplie déployée ne s’arrête pas là alors que l’économie marocaine a le plus besoin d’un cordial pour éviter la syncope. Aussi, l’Institut d’émission a-t-il également prévu, un appui au refinancement des banques participatives et aux associations de microcrédit (dont la production est quasiment à l’arrêt en marge de cette crise) et, surtout, l’allègement temporaire des règles prudentielles qui ont cristallisé, ces dernières années, toutes les crispations et doléances des emprunteurs qui en ont subi, à leur corps défendant, le resserrement progressif avec l’entrée en vigueur des normes de Bâle III et, surtout, de la fameuse norme IFRS 9 (des normes qui ont obligé les établissements de crédits à muscler de façon significative les conditions d’octroi de crédits notamment au bénéfice des TPME). Plus concrètement, Abdellatif Jouahri a dévoilé, un peu plus tard dans la journée, que ce dernier assouplissement technique concerne essentiellement la prise en compte des Actifs Liquides de Haute Qualité dans le calcul du ratio de liquidité (dit LCR ratio) et le ratio de Solvabilité dont les deux paliers (Tier 1 et Tier 2) seront ramenés respectivement de 9% à 8,5% et de 12% à 11,5%. On a également appris lors de l’allocution fleuve du Wali de Bank Al Maghrib que celle-ci compte mettre les bouchées doubles pour mettre enfin en orbite le mobile banking qui peine à décoller au Maroc malgré les efforts consentis par les différents intervenants publics et privés (ayant abouti à la mise en place dès novembre 2018 de l’interopérabilité et, surtout, du M-Wallet) pour en faire un véritable vecteur de l’inclusion financière. Un décollage qui aurait nettement facilité aujourd’hui la mise en œuvre des aides publiques instaurées en faveur des populations les plus durement touchées par les mesures instaurées dans le cadre de l’Etat d’urgence sanitaire (5,4 millions de ménages bénéficiaires). Sur la même veine des enseignements à tirer de la situation actuelle, le patron de la banque des banques a laissé entendre qu’une nouvelle étape dans la digitalisation des services bancaires sera également franchie au sortir de la crise sanitaire en consentant aux banques la possibilité d’ouvrir des comptes à distance (sans le contact direct avec le client) comme cela est déjà le cas dans d’autres pays. Si cela venait à se concrétiser, c’est un sacré verrou qui saute ici sachant que cette mesure à laquelle les banques appelaient de leurs vœux depuis deux ans était systématiquement rejetée par la Commission Nationale de Contrôle de Protection des Données à Caractère Personnel (CNDP). Cette institution aurait-elle enfin mis de l’eau à son vin ?
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En somme, selon Bank Al Maghrib, ces « nouvelles décisions conjuguées aux différentes mesures d’assouplissement déjà mises en œuvre notamment l’élargissement du collatéral éligible à ses opérations de refinancement, le renforcement de ses programmes non conventionnels, devraient contribuer, avec celles prises par le Comité de Veille Economique, à atténuer l’impact de la pandémie et à soutenir la relance de l’économie et de l’emploi ». On n’en demande pas plus, mais face à l’ampleur de la déflagration à venir tant d’un point de vue macroéconomique avec une contraction du PIB à -5,2% (dans le meilleur des mondes où le redémarrage de l’économie serait en V à partir du deuxième semestre), une dette publique qui devra dépasser la barre de 90% du PIB (une dégradation de 10 points en une année !) et un déficit de la balance courante à plus de 10% du PIB (le niveau le plus haut depuis 2012) que d’un angle microéconomique avec une poussée inédite des défaillances et difficultés d’entreprises, le doute est permis notamment pour ce qui est de la capacité du secteur bancaire à traverser la crise sans coup férir alors qu’il incarne aujourd’hui le pilier des mesures mises en place pour soutenir l’Offre. Quand on sait que le taux de créances en souffrance était déjà à un pic historique de 10% chez les entreprises à fin 2019 (voire jusqu’à 20% chez certains secteurs notamment ceux qui sont aujourd’hui terrassés par la crise que traverse le monde), on peut deviner les conséquences de la vague du surendettement (perfusions de Damane Oxygène et Damane Relance obligent) et des défaillances qui pointent à l’horizon du secteur privé, sur la santé des banques marocaines. Dans un tel schéma cataclysmique, on se demande si l’assouplissement temporaire des règles prudentielles (qui revient juste à casser le thermomètre ou en suspendre l’usage) couplé à la suspension de la distribution de dividendes aux actionnaires des banques, sont à même de juguler réellement la fragilisation potentielle du système bancaire.