Banques participatives : comment vont-elles gérer les dépôts d’investissement ?
L’édifice de la banque participative se construit brique par brique. Après la publication de la loi bancaire au mois de janvier 2015, la sélection des banques autorisées à exercer ladite activité en 2016, les textes d’application commencent à tomber. Et ceci sans parler des « adaptations » d’ordre législatif et réglementaire qui ont porté sur la fiscalité et les droits de Conservation foncière, durant les deux dernières années. Cette manière de procéder est perçue différemment ; si pour certains, elle traduit un souci de prudence de la part de la banque centrale qui préfère avancer à petits pas ; pour d’autres, elle traduit par contre l’absence d’une vision globale et claire en la matière, ce qui va retarder le démarrage effectif des banques participatives.
Avec la publication des deux premières directives du Wali de Bank Al-Maghrib (BAM), portant sur la banque participative, l’un des aspects qui commence à prendre forme est celui des dépôts d’investissement que les banques participatives seront autorisées à collecter. Mais il faut dire que leur schéma n’est pas encore totalement clair ; il ne le sera qu’avec la publication des « circulaires techniques » comme il est précisé par lesdites directives.
Rappelons que les banques participatives sont autorisées à recevoir du public des dépôts d’investissement « dont la rémunération est liée au produit des investissements convenus avec la clientèle ». Les dépôts d’investissement sont définis comme étant les fonds recueillis auprès des clients «en vue de leur placement dans des projets d’investissement». Pour les clients des banques conventionnelles, le schéma est totalement « déroutant » du fait que la rémunération des dépôts est tributaire du résultat de l’investissement et même leur restitution n’est pas garantie. Il s’agit là de l’application de l’un des principes phares de la finance islamique, à savoir que l’argent n’a pas une valeur intrinsèque ; sa rémunération dépend du rendement de l’actif sous-jacent. C’est en fait une logique qui diffère totalement de celle qui gouverne la gestion des dépôts dans le cadre de la banque conventionnelle. C’est pourquoi la meilleure manière d’assimiler la banque participative est de se départir de la logique de la banque conventionnelle dont le soubassement n’est pas inspiré de considérations d’ordre moral ou religieux.
En effet, la collecte des dépôts d’investissement est foncièrement marquée par l’obligation de la conformité aux principes de la Charia. Ainsi, il est prévu qu’avant toute présentation de contrat, relatif à ce type de dépôt, le modèle dudit contrat doit être, au préalable déclaré conforme aux principes de la charia par le « Comité charia de la banque participative » relevant du Conseil Supérieur des Oulémas du Maroc. De même, chaque contrat de dépôt d’investissement doit porter la mention suivante : « Le présent contrat et les documents annexés ont été élaborés en conformité avec l’avis du comité chariâ de la banque participative ».
Les conditions de placement des dépôts d’investissement sont arrêtées d’un commun accord entre la banque et son client. Dans ce cadre, la réglementation BAM fait la distinction entre deux types de dépôts, les « dépôts affectés » et les « dépôts libres ». Les dépôts sont classés dans la première catégorie lorsque la banque est tenue de placer les fonds selon les conditions convenues avec le client. Ces dernières peuvent porter sur les activités concernées par l’investissement, le secteur d’activité et même la région de réalisation de l’investissement. Concernant la seconde catégorie, la banque est libre dans l’affectation des fonds reçus. Dans les deux situations, le projet est constitué d’un ensemble d’actifs, appelé selon la réglementation BAM, « portefeuille d’investissement ».
En conformité avec les préceptes de la charia, la rémunération des dépôts ne peut pas prendre la forme d’un montant préalablement arrêté, elle dépend uniquement du résultat de l’investissement. De même, il est interdit à la banque de recourir à l’octroi d’avantages ou à toute autre formule en vue de faire bénéficier les déposants d’une rémunération de leurs fonds ou d’une compensation des pertes. Toutefois, la réglementation BAM permet à la banque de révéler le rendement escompté des dépôts, « sous réserve d’informer d’une manière claire, les clients que le taux de rendement n’est pas garanti ». Par ailleurs, la banque est tenue d’informer les clients, par tout moyen de son choix, et avant la conclusion de tout contrat de dépôt, de sa stratégie d’investissement des dépôts et de la nature des risques liés aux différents portefeuilles d’investissement. La transparence est la règle dans la relation avec les clients, la preuve en est l’obligation pour la banque de mentionner dans le contrat de dépôt toutes les données relatives au portefeuille d’investissement.
Le rendement des investissements correspond « aux bénéfices réalisés » après déduction des « charges directes » de l’investissement, calculées conformément aux termes de l’accord entre la banque et ses clients. Les bénéfices sont répartis entre les clients en fonction des dépôts apportés et de leur durée. Quant à la part de la banque, elle peut être soit sous la forme d’une « commission fixe » soit sous la forme d’un pourcentage des bénéfices. Toutefois, lorsque la banque participe avec ses fonds propres dans le portefeuille d’investissement, il ne lui est pas permis de recevoir une commission fixe.
Un principe clé : le partage des pertes et des profits
Lorsque le résultat de l’investissement se solde par une perte, les clients les supportent au prorata de leurs parts dans le portefeuille d’investissement. De son côté, la banque prend en charge toutes les pertes occasionnées par sa négligence, sa mauvaise gestion ou tout acte pris en violation des lois et des clauses des contrats conclus avec ses clients. Il en ressort clairement que le client, prend un risque en effectuant des dépôts d’investissement auprès d’une banque participative. C’est pourquoi cette dernière n’est pas autorisée à garantir à ses clients la restitution du montant total du dépôt. En cas de perte, elle restitue le montant des dépôts diminué des pertes. Mais en cas de résultat positif, elle est tenue de restituer le montant principal du dépôt, augmenté des bénéfices.
Sachant que les fonds d’investissement ne bénéficient pas de la couverture du « Fonds de garantie des dépôts des banques participatives », la banque centrale autorise les banques participatives à constituer pour chaque portefeuille d’investissement des provisions destinées à couvrir les risques liés au placement des dépôts. A cet effet, deux catégories de provisions sont prévues. La première est appelée « provisions de la balance des bénéfices », elles sont constituées par des prélèvements sur les bénéfices réalisés au niveau de chaque portefeuille. Leur montant est destiné à être redistribué en faveur des participants au portefeuille d’investissement en cas de baisse des bénéfices. La seconde est appelée « provisions pour risque d’investissement », elles sont constituées par des prélèvements sur les bénéfices et elles sont destinées à couvrir ou à atténuer les pertes sur le montant des dépôts. La propriété de ces deux catégories de provisions revient aux déposants au prorata de leur participation au portefeuille d’investissement. Ainsi, en cas de liquidation du portefeuille d’investissent, le montant des provisions est restitué aux déposants.
Par ailleurs, la banque centrale impose aux banques participatives d’instituer un système de suivi de chaque portefeuille d’investissement. Selon la périodicité fixée dans le contrat de dépôt, il doit permettre de déterminer les éléments suivants : le montant investi par chaque déposant et sa quote-part dans le portefeuille, les bénéfices et les pertes enregistrés, la part des bénéfices revenant à la banque et celles revenant aux déposants et enfin les montants prélevés pour la constitution des provisions.
Les mentions obligatoires du contrat de dépôt d’investissement
Le contrat de dépôt d’investissement doit obligatoirement mentionner que :
– la rémunération du dépôt est liée au résultat de l’investissement,
– la banque participative ne garantit pas la restitution du dépôt d’investissement qui n’est pas par ailleurs couvert par le « Fonds de garantie des dépôts des banques participatives »,
– et que les clients qui effectuent des dépôts d’investissement supportent, le cas échéant, les pertes enregistrées au prorata (et dans la limite) de leur participation dans le portefeuille d’investissement.
Il doit préciser en outre :
– la nature des dépôts (libres ou affectés),
– les modalités de détermination des produits et charges de chaque portefeuille d’investissement ainsi que les modalités de détermination des bénéfices et de la prise en charge des pertes,
– les modalités de répartition des bénéfices et leur périodicité,
– la date d’exigibilité du dépôt et les conditions de son retrait avant terme,
– les conditions de constitution des provisions couvrant les risques liés à l’investissement,
– les modalités de liquidation du portefeuille d’investissement,
– et enfin, les modalités et conditions de résiliation du contrat de dépôt et de restitution des contributions aux provisions.