Banquier à Londres, consultant en investissements chinois en Afrique
Il a encore l’énergie de ses vingt ans. A 58 ans, ce banquier qui a partagé sa carrière entre Rabat et Londres se positionne comme conseiller en flux financiers internationaux vers le continent, en passant par le Maroc.
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éussir est aussi fonction de timing, et plus souvent qu’on ne l’imagine. Nombreux sont ceux que la nature a pourtant doté de qualités et que la conjoncture n’a guère favorisé. Abdallah Watik Alaoui, lui, fait partie des heureux élus, purs produits de la méritocratie. Né à l’aube de l’indépendance, il abordera le marché du travail durant les années 80. Période qui fait encore rêver, alors que pointent à l’horizon des difficultés annonciatrices de la crise. Par ailleurs, ce n’était pas encore la période de l’affirmation des droits de l’homme un peu partout de par le monde, mais déjà celle qui a façonné le monde d’aujourd’hui tant par son histoire, que par les courants de pensée, aujourd’hui acquis. On pouvait encore continuer ses études supérieures en France ou ailleurs, sans trop de difficultés. Tout comme pour les lauréats de l’Université, le problème des débouchés ne se posait guère. Abdallah Watik Alaoui aura su exploiter les chances que la vie lui a offert, et jouer les cartes que la vie lui a distribuées.
Il est né en 1956, à Casablanca dans une famille de cinq enfants dont il est l’aîné. Le père est steward à Air Atlas, la compagnie aérienne qui donnera naissance à la Royal Air Maroc. Il grandira dans le giron de sa grand-mère. “J’appelais la mère de mon père mouiy et ma propre mère Laziza. A la maison, c’est d’ailleurs ma grand-mère qui menait tout le monde à la baguette. C’était une maitresse femme comme on n’en fait plus”, se remémore-t-il, avec des accents nostalgiques. Du fait des contraintes de sa fonction, le père d’Abdallah est souvent en voyage, et les responsabilités de fils aîné et de jeune homme de la maison pèsent sur ses épaules. La maison familiale est le lieu de rencontre des amis du père, pour la plupart d’anciens camarades de classe de l’école hôtelière. Le jeune Abdallah est scolarisé à la Mission Française, qui dispense des programmes de l’enseignement français. Pour l’anecdote, il rappelle, avec un soupçon de moquerie, la fameuse formule des livres d’histoire de l’époque qui fait référence à “nos ancêtres les gaulois”.
Le monde des études au Maroc
Abdallah excelle à l’école. Ce qui lui permet de profiter de son temps et de s’adonner à des activités récréatives en parallèle. Pendant les vacances d’été et grâce aux facilités de voyages en avion dont bénéficie le père et sa famille, il peut passer des vacances en France. Il garde encore des souvenirs de ses séjours en Suisse et dans les régions avoisinantes de Haute Savoie en France et dans le nord de l’Italie. Il connaitra les plaisirs de la montagne et découvrira les activités alpestres dans un environnement verdoyant qui le dépayse, au grand bonheur de la famille. Il aura aussi le temps de se rendre dans le fin fond de la campagne marocaine, sèche et aride, notamment dans le village de Missour. C’est avec affection qu’il évoque le moment de l’arrivée à destination de la famille en automobile. Un évènement qui vient troubler la vie paisible du village. Là aussi, et dans des lieux totalement différents, on s’adonne à des plaisirs simples. On profite de ce que la nature a à offrir, et notamment de la proximité du mausolée de Sidi Boutayeb. Cette quiétude, sera hélas attristée par un drame: l’une de ses soeurs décède lors d’un accident de voiture. Elle n’était âgée que de 12 ans, et cet accident marque l’année 1971. Mais la vie continue et Abdallah décroche son bac sciences économiques et sociales en 1974. Contrairement à beaucoup de ses camarades, il entame ses études universitaires au Maroc. “En général, ceux qui avaient fait leur scolarité au Lycée Lyautey partaient pour la France. Nous, qui sommes restés dans le pays, avons connu le choc des systèmes d’enseignements. On nous demandait d’apprendre par coeur le cours polycopié. Nous n’y étions pas habitués, donc nous avons tous échoué à la première session. Ce n’est qu’à la seconde que nous avons tous réussi avec de bonnes notes”, explique-t-il, avec un rire indulgent et des pointes d’humour. N’empêche que l’Université marocaine comptait des professeurs de renom, dont le regretté Aziz Bellal, qui supervisera le mémoire de fin d’études du jeune Abdallah.
Monter à Paris pour les études
Nous sommes en 1977, quand Abdallah décroche sa licence en sciences économiques. L’Université lui propose alors une bourse d’étude en France, en contrepartie il d’un engagement dans l’enseignement supérieur au Maroc, à titre d’assistant d’abord. Ce qu’il accepte et se retrouve à Paris, préparant une maîtrise avant d’embrayer pour un doctorat. En parallèle, il s’inscrit pour approfondir ses connaissances en anglais économique et commercial. Initiative dont les bénéfices n’ont pas fini de servir sa carrière. Paris est alors une ville en pleine effervescence, véritable pépinière de futurs cadres et leaders politiques, encadrés par des mouvements étudiants maghrébins, fort actifs. Pour les marocains, la Maison du Maroc à la Cité Universitaire, est le théâtre d’affrontements d’idées homériques entre marxistes, anarchistes et autres militants de différentes chapelles. “Nous observions cela de loin. En ce qui me concerne, mon temps me suffisait à peine à mener de front, mes études et le travail rémunéré, pour joindre les deux bouts”, justifie-t-il dans un élan de ferveur. C’est qu’à l’instar de beaucoup d’étudiants, il loge dans une chambre de bonne au dernier étage d’un immeuble, et travaille les soirs.
Pour lui, ce sera à la fameuse salle Playel, véritable temple de la musique classique et accessoirement de la musique du Jazz. Une véritable opportunité pour l’étudiant méritant qui prend au sérieux cette activité parallèle. Il assume les responsabilités qu’on lui confie, jusqu’à être promu à la fonction d’assistant régisseur et par la suite, se voit proposer un emploi fixe. Sa situation lui permet de disposer d’invitations gratuites qu’il dispense généreusement à ses amis. Mais son objectif prioritaire est de réussir son doctorat. Ce sera chose faite.
Après quoi, il rentre au Maroc en 1984 où un contrat le lie à l’Université pour une durée de 8 années. Mais Abdallah est délié de son engagement, faute de poste budgétaire… Il a le choix entre “conseiller économique” au Ministère des Affaires Etrangères ou une carrière bancaire. C’est cette dernière option qui aura sa préférence et le voilà intégré à la Société Générale Marocaine des Banques (SGMB). Il apprend le métier de banquier sur le tas. Il aura alors à participer à la fondation de la direction développement. A ce titre, fait le tour des agences de la banque, pour interviewer le personnel et connaître leurs suggestions d’amélioration des procédures. Il ne tardera pas à devenir responsable de ladite direction et contribue à différentes formations. Ce qui enrichit son champ d’expertise dans la banque.
Une carrière de banquier en Grande-Bretagne
Arrive 1997, BMCE Bank recherche un banquier anglophone, pour piloter l’ouverture de sa filiale londonienne. Il se trouve que Abdallah qui maitrise la langue anglaise est “the right man at the right place”. Ce passage d’une banque à une autre banque concurrente suscite quelques frictions entre les deux entreprises. Il est donc affecté à Londres pour trois années. Mais la mission s’étendra sur pas moins de dix sept années ! “la Grande Bretagne est devenue ma seconde patrie. Lorsqu’on est marocain, on reste focalisé sur la France, mais Londres a bien plus d’intérêt que Paris. En Grande Bretagne, la méritocratie est la qualité cardinale qui permet de réussir, quelle que soit la couleur de la peau, la religion ou l’origine. En outre, la société anglaise est bien plus policée, avec un profond respect pour la dignité humaine”, se plait-t-il à rappeler, avec une pointe d’admiration et de regret. Comme si, après avoir connu la France et la Grande Bretagne, il a une échelle de comparaison entre les deux pays. Il n’y a pas de doute sur sa préférence…
Au départ, la BMCE Bank est installée dans les locaux de la Barclays Bank de Londres pour un certain temps. C’est après qu’elle s’établira dans ses propres locaux à la hauteur de son standing. C’est également lors de cette période faste qu’il rencontre celle qui deviendra son épouse: Souad Talsi. Une figure de la communauté marocaine en Grande Bretagne, intéressante à plus d’un titre et qui aura le privilège d’être la seule à recevoir un titre de la Reine Elisabeth II. Le couple qui se complète, vit une vie harmonieuse et équilibrée, où le sport, le jazz, la méditation et le yoga sont le pendant d’une activité professionnelle intense. Il a une fille unique, Rita, qui passe son bac cette année et opte pour une formation juridique. Elle aspire à embrasser la carrière de juge, au service des valeurs qui lui ont été inculquées et pour un noble idéal. Lorsque Abdallah Watik Alaoui parle de sa fille et de ses talents de pianiste, on ne peut s’empêcher de relever la fierté du père.
Professionnellement, le banquier veut élargir son périmètre et fait tout pour y arriver. La BMCE Bank le charge de la mission de prospecter le grand marché chinois. Ce qui lui permet, par la même, de développer son expertise. Mais la vie est parfois cruelle: Souad, son épouse tombe malade. La vie et la carrière se trouvent chamboulées. Pour lui, le soutien à sa compagne est primordial, même si cela lui coûte la poursuite d’une carrière prometteuse. Il prend congé de sa banque, réoriente et adapte ses activités. Abdallah est aux côtés de sa femme et l’assiste à reprendre le dessus quand elle lance, tour à tour, deux initiatives sociales. En ce qui le concerne, Abdallah Watik Alaoui décide alors de lancer son propre cabinet de conseil. Capitalisant sur son expertise, il anime des séminaires, et conseille les investisseurs en Afrique qui proviennent de Chine, d’Europe, des pays du Golfe, mais avec la particularité de donner au Maroc sa place stratégique et géographique de porte vers l’ensemble du continent africain. Décidément, il reste notre homme à Londres.