BREXIT : les impacts juridiques sur les contrats commerciaux au Maroc
La Grande Bretagne a annoncé son divorce avec l’Europe. Celle-ci s’en presse de l’activer. Une situation qui laisse le monde économique dans la confusion. Le Maroc, partenaire économique de premier choix de l’UE est indirectement concerné par la décision du Brexit. Qu’en est-il de l’impact juridique du Brexit ? Analyse in-extenso du cabinet britannique DLA Piper, via son bureau à Casablanca, sur les principaux impacts juridiques du Brexit sur les contrats commerciaux au Maroc.
A ce jour, les analystes financiers demeurent incertains quant à l’ampleur des effets de la future sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne (« Brexit ») sur l’économie mondiale. Un constat indéniable cependant, l’annonce du vendredi 24 juin 2016 a plongé certaines places financières à des niveaux jusqu’alors jamais atteints depuis le 11 septembre.
Ce Brexit suscite légitimement bon nombre d’interrogations et de craintes de la part des principaux partenaires économiques du Royaume-Uni au rang desquels figure le Royaume du Maroc.
Septième client du Royaume-Uni et son quinzième fournisseur, les politiques et économistes marocains paraissent pour le moment réagir avec pragmatisme et perçoivent dans le Brexit une opportunité de développer des liens commerciaux directs plus étroits et personnalisés avec la Grande-Bretagne sans l’intermédiation de l’Union Européenne. L’impact du Brexit sur l’économie Marocaine serait faible selon le communiqué de presse du Gouverneur de Bank Al Maghrib du 24 juin 2016.
En matière réglementaire, cette séparation avec l’Union-Européenne ne devrait pas être trop brutale ni dans sa mise en place effective (la phase de négociation de sortie durera 2 ans, ce qui semble difficilement tenable en pratique pour négocier un accord de sortie d’une telle envergure), ni dans son champ d’application compte tenu de l’imbrication des textes du Royaume-Uni avec ceux de l’Union-Européenne.
Plusieurs directives européennes continueront à être appliquées ou retranscrites par le Royaume-Uni. Par ailleurs, le Royaume-Uni pourra s’inspirer de schémas existants tels que les modèles Norvégien (entrée dans l’Espace Economique Européen lui permettant de bénéficier de la libre circulation des personnes), Suisse (accords bilatéraux de libre-échange), ou Turc (nouvelle union douanière).
Faute d’accord de ce type et dénuée d’une part importante de son ordonnancement juridique actuel, c’est le régime de l’Organisation Mondiale du Commerce avec la mise en place (rétablissement) de barrières douanières et tarifaires qui s’appliquerait, scenarii dans lequel le Royaume-Uni devrait renégocier des accords commerciaux au cas par cas (avec chacun des pays tiers) dans le cadre des accords globaux de l’OMC.
Qu’en est-il de l’impact juridique du Brexit ? Le cabinet DLA Piper Casablanca vous propose un aperçu des principaux impacts juridiques du Brexit sur les contrats commerciaux au Maroc.
Soulignons à titre préliminaire que le Brexit ne sera effectif qu’à l’issue d’une période de négociations de deux ans prévue par l’article 50 du Traité de Lisbonne susceptible de prorogation par le Conseil Européen. Certaines clauses usuellement présentes dans bon nombre de contrats commerciaux, d’accords de partenariat d’investissements transnationaux (particulièrement ceux soumis au droit anglais et/ou impliquant des parties ou actifs anglais) seront à revoir avec attention et rédiger avec soin à l’aune du Brexit que les praticiens vont sans nul doute définir avec précision dans les contrats pour ne laisser aucune marge d’interprétation tant ses effets sur le contrat pourront être importants (sortie d’un partenaire, fin anticipée d’un contrat, renégociation, suspension).
Les clauses dites de Material Adverse Change ou Material Adverse Effect (les « MAC ou MAE clauses »):
Elles permettent à l’une ou toutes les parties de sortir d’un contrat durant la période intercalaire entre la date de sa signature et la date de réalisation de la transaction envisagée (subordonnée à la satisfaction d’un certain nombre de conditions suspensives tels l’obtention d’autorisations réglementaires ou d’un financement). Ce droit de sortie est exerçable dès lors qu’un événement politique, financier ou juridique majeur défavorable survient ou est susceptible d’intervenir compromettant la réalisation de la transaction. Les récentes crises financières ont vu le regain de telles clauses dans les opérations de fusion-acquisition et mises en place de financement. Elles sont âprement négociées. La survenance du Brexit sur les contrats en cours et ses conséquences sur les contrats à conclure (tels que les changements de taux d’intérêt, les fluctuations monétaires significatives) peuvent présenter toutes les caractéristiques d’un événement politique et financier défavorable pour une partie. Il conviendra à notre sens de préciser expressément dans les MAC clauses les conséquences du Brexit qui constituent pour les parties un événement MAC.
Les clauses dites de Hardship:
Elles se distinguent des clauses MAC qui ne couvrent que la période jusqu’à l’octroi d’un financement et/ou le transfert de l’actif sous-jacent. Elles s’appliquent durant toute la période d’exécution du contrat. Les clauses de Hardship sont présentes dans des accords commerciaux ou partenariats dont l’exécution s’échelonne sur une longue période. Elles permettent aux parties signataires d’exiger que s’ouvre une nouvelle négociation lorsqu’un événement de nature économique ou technologique survient bouleversant l’équilibre initial du contrat. Il faut toutefois préciser que ces clauses ont un effet plus limité qu’une clause MAC puisqu’elles ne mettent en œuvre qu’une obligation de renégociation qui lorsqu’elle n’est pas respectée se résout en dommages et intérêts sans aucun droit de sortie de la partie subissant le déséquilibre économique. Les fluctuations imprévisibles de devises engendrées par la chute de la livre sterling rendent selon nous éligible le Brexit à de telles clauses. Il en va de même de l’impact du Brexit sur les accords de libre-échange sur lesquels l’équilibre économique de nombreux contrats reposent. Certes, les accords qui prendront fin seront inévitablement suppléés par des accords directs, le flux des échanges commerciaux ne pouvant cesser. Une incertitude demeure toutefois quant à l’entrée en vigueur de tels accords. Peut-on redouter une période durant laquelle aucun accord équivalent ne viendra couvrir les échanges et des différences significatives entre les nouveaux accords commerciaux et leurs prédécesseurs européens? Le recours aux clauses de Hardship sera un moyen d’adapter les contrats à de nouvelles contraintes règlementaires jusqu’à présent imprévisibles et irrésistibles.
Les clauses de force majeure :
Nos commentaires ci-dessus sur les MAC clauses et clauses de Hardship sont valables également pour toutes les clauses ayant vocation à gérer les effets de la survenance d’évènements imprévisibles et indépendants de la volonté des parties sur l’exécution de leurs obligations (suspension, retard, exonération). La survenance du Brexit pourrait-il constituer un événement de force majeure pour des contrats en cours ? Son caractère imprévisible pourrait être sérieusement discuté tant l’issue d’un référendum est binaire. Pour les contrats futurs, les parties qui considèrent que certaines conséquences du Brexit peuvent constituer à leur égard des événements de force majeure (d’ordre économique et politique) devront clairement le préciser dans le contrat afin d’éviter toute contestation sur ses effets juridiques lors de leur survenance.
La rédaction des clauses de force majeure (y compris les MAC clauses et clauses de Hardship qui n’en sont qu’une déclinaison) devra spécifier la partie qui supportera les coûts financiers liés à leur mise en œuvre et, le cas échéant, à la renégociation du contrat ou la suspension ou résolution qu’elles impliquent.
Les clauses dites de Change of Law :
Ces clauses très courantes dans la documentation de financement, de projets d’envergure, de partenariats public-privé et plus généralement d’opérations transnationales permettent aux parties de s’exonérer de certaines obligations de garantie de passif, de paiement voire de renégocier certaines clauses du contrat lorsqu’un changement du cadre législatif intervient pendant la vie du contrat qui modifie la portée initiale de leur engagement. Afin de tempérer les effets du Brexit, il pourra être judicieux d’insérer ces clauses afin de préciser les engagements qui continueront de s’appliquer entre les parties quand bien même un changement de loi résultant du Brexit interviendrait pendant l’exécution du contrat.
Les clauses relatives aux risques de change :
Ces clauses doivent être également revues avec la plus grande attention. Les fluctuations de la livre sterling sont à anticiper et la mise en place d’un instrument de couverture du risque de change devra être systématiquement mise à l’ordre du jour des réflexions avant d’aller plus en avant dans une opération dont le paiement serait influencé directement ou indirectement par le cours de la livre sterling.
Les clauses relatives au droit applicable :
Concernant le choix du droit anglais comme loi régissant l’exécution et l’interprétation d’un contrat, il y a lieu de s’interroger sur (i) sa potentielle remise en question devant les juridictions au motif que les parties en contractant avaient choisi le droit anglais pour sa complète intégration dans le droit européen, (ii) sur la pertinence de son choix en amont de projets devant l’éventuelle insécurité juridique qu’il peut susciter pendant cette période transitoire d’incertitude jusqu’à l’entrée en vigueur du Brexit. Les acteurs économiques auront-ils pour autant le choix tant le droit anglais est omniprésent dans le cadre des projets et financements internationaux et imposé par les grandes institutions financières (dont certaines basées à Londres risquent néanmoins de perdre leur précieux « passeport européen » avec le Brexit).
Les clauses d’arbitrage :
Concernant l’applicabilité au Maroc des sentences arbitrales rendues au Royaume-Uni et vice-versa, le Brexit n’aura aucun impact majeur du fait que les deux Royaumes sont parties à la convention de New-York du 7 juin 1959 prévoyant l’exequatur des sentences entre les pays signataires. Toutefois, pour les raisons évoquées ci-dessus, il n’est pas à exclure que des parties chercheront à remettre en cause le droit anglais applicable devant une cour arbitrale de Londres. Le facteur d’insécurité juridique concerne les clauses attribuant une compétence aux
tribunaux Britanniques en première instance dont les jugements jusqu’alors susceptibles de recours dans certains cas devant la Cour Européenne de Justice ne seront désormais plus possibles. Les clauses d’arbitrage devant la Chambre de Commerce Internationale devraient connaître un second souffle.
Enfin, toutes les clauses faisant référence à l’Union Européenne comme territoire de référence dans les accords de franchise, de distribution, des engagements de non concurrence ou d’exclusivité devront être révisées pour tenir compte du Brexit afin d’y inclure le Royaume Uni.
—-
Analyse proposée par : le cabinet britannique DLA Piper, bureau de Casablanca.