Catastrophe naturelle : la stratégie des concepts…. pas de l’action
Changements climatiques : le Maroc esquisse une politique publique
Le Maroc est sous le choc. 47 morts, des récoltes perdues, des biens et logements rasés sont le bilan des inondations qui ont frappé le Maroc pendant la dernière semaine de novembre. Les images de ce désastre donnent un sentiment d’impuissance et suscitent des interrogations, rageuses certes, mais légitimes : Y avait-il moyen d’éviter cela? Le Maroc dispose-t-il de moyens adéquats pour faire face à ce genre de catastrophe ? Qu’adviendra-t-il des victimes ? Les interrogations fusent de toutes parts et sont relayées sur les réseaux sociaux et dans les médias. Un dossier s’imposait donc pour dégager les forces et les faiblesses des politiques publiques face aux catastrophes naturelles. Le comble est que, de prime abord, le Maroc dispose d’études mettant en garde contre les risques naturelles. Les zones sensibles ou fragiles y sont répertoriées et des recommandations pertinentes y sont faites. La catastrophe a mis en exergue cette latitude qu’ont les pouvoirs publics de laisser couler la rivière sans agir pour prévenir le pire. Après coup, les ministères dévoilent leurs plans et tentent, tant bien que mal de démontrer leur degré d’implication pour que ce drame ne se répète pas. Les discours sont rodés, mais tout reste à faire, surtout sur le plan législatif et institutionnel. Le Maroc a goûté au désastre et en principe, cela devra inciter à accélérer la mise en place d’une politique globale pour que les Marocains ne vivent jamais cela, ou du moins soient rassurés en cas de catastrophes naturelles. Pour cause, ils auront la certitude et la conviction que leur nation est préparée.
Le ministère chargé de l’Eau et de l’Environnement, vient de publier un document intitulé Politique du Changement Climatique au Maroc. Compte tenu du caractère vital de la thématique, Challenge présente en exclusivité, les grandes lignes de cette nouvelle politique publique qui est en cours d’élaboration. par Salim attar
Constat et vulnérabilités du territoire national
Le changement climatique constitue aujourd’hui un défi majeur auquel est confrontée l’humanité. Quoique difficiles à cerner, les conséquences de ce phénomène sont multiples, irréversibles et dépassent la capacité de réponse des écosystèmes et des humains qui risquent d’être altérés ou définitivement détruits. Le Maroc, à l’instar de nombreux pays en développement, est fortement atteint par ce phénomène et recense d’ores et déjà maints effets au niveau national. Situé au nord du continent africain, le Maroc se distingue par quatre types de climat : humide, subhumide, semi-aride et aride. Les observations climatiques, réalisées sur les dernières décennies, indiquent que les régions qui étaient classées sous climat humide ou subhumide régressent au profit des régions à climat semi-aride à aride. Le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) prévoit pour le Maroc une baisse de 20 à 30% des précipitations et une hausse de 2,5 à 5°C des températures à l’horizon 2080. Pour sa part, la Direction de la Météorologie Nationale prévoie une augmentation des températures moyennes estivales de l’ordre de 2°C à 6°C et une régression de 20% en moyenne des précipitations d’ici la fin du siècle. Le Maroc, de par sa structure géographique, son climat, son littoral, entre autres, est fortement affecté par le changement climatique et présente une vulnérabilité de plus en plus croissante. Réchauffement moyen global sur tout le territoire estimé autour de 1°C, variabilité temporelle et spatiale des précipitations avec une baisse significative oscillant entre 3% et 30% selon les régions, accélération des phénomènes extrêmes (notamment les sécheresses et les inondations), tendance à la hausse des vagues de chaleur et à la baisse des vagues de froid, élévation du niveau de la mer, constituent les principaux phénomènes recensés au Maroc durant les dernières décennies. Cette vulnérabilité est accentuée par différents facteurs dont la structure du tissu économique, le niveau de conscience et de connaissance, le cadre légal, l’absence d’approche adaptée par territoire, etc.
Si les tendances démographiques récentes se poursuivaient jusqu’en 2030, la proportion des personnes âgées de plus de 60 ans devrait plus que doubler en comparaison avec l’année 2004 (selon les projections réalisées par le Haut-Commissariat au Plan). Vu sa fragilité et sa faible capacité d’adaptation à la chaleur, cette tranche de population serait exposée à des problèmes de santé lors d’épisodes de canicules et de vagues de chaleur. Plusieurs secteurs seront impactés, notamment l’agriculture, en raison du stress hydrique, et l’aviculture. Le secteur de l’eau fait actuellement face à des défis liés notamment à l’accroissement de la demande, la raréfaction des ressources en eau et la surexploitation des eaux souterraines. Une situation qui risque de s’aggraver de plus en plus par le changement climatique, notamment en raison de l’accentuation des phénomènes extrêmes tels que la sécheresse et les inondations. L’économie du pays étant très dépendante des ressources en eau, de l’agriculture et du littoral, serait fortement atteinte.
Les objectifs globaux de la nouvelle politique du changement climatique
Le Maroc, pays faiblement émetteur mais vulnérable aux effets du changement climatique, a pris très tôt ses responsabilités en dessinant progressivement les contours de sa propre vision, tout en se conformant aux mesures entreprises au niveau international. A cet effet, le Maroc adhère parfaitement aux obligations prévues par le cadre international sur le changement climatique. L’adoption de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) en 1992 marque la base pour définir les moyens de stimuler un développement durable au niveau mondial. A l’issue de cette Convention et du Protocole de Kyoto, différentes initiatives et actions ont été mises en place. Ces efforts demeurent néanmoins modestes par rapport aux défis à relever. La Première et Seconde Communication Nationale témoignent de son engagement dans le cadre de la CCNUCC, un engagement confirmé et renforcé par la Troisième Communication Nationale actuellement en cours de préparation. De surcroît, le Maroc a lancé plusieurs stratégies sectorielles volontaristes d’envergure, intégrant la dimension environnementale et notamment celle du changement climatique, dans des domaines clés de l’économie nationale (énergie, transport, agriculture, tourisme, bâtiment, pêche, eau, déchets, forêt, etc.). Cet engagement marque le début d’une mutation vers une nouvelle politique climatique en cohérence avec l’évolution socio-économique du pays. Le Maroc a été l’un des premiers pays à mettre en place une Autorité Nationale Désignée pour les Mécanismes de Développement Propre, dans le cadre du Protocole de Kyoto et a également soutenu l’Accord de Copenhague en notifiant au Secrétariat de CCNUCC (en janvier 2010), une liste de Mesures d’Atténuation Appropriées au niveau National («NAMAs») qu’il compte mettre en œuvre pour atténuer ses émissions des gaz à effets de serre à l’horizon 2020. Néanmoins, la mise en œuvre des différents projets et mesures planifiés dans ce cadre demeurent confrontés à l’insuffisance des ressources financières au niveau national. L’appui de la coopération internationale et la mobilisation des ressources additionnelles sont cruciaux pour la mise en œuvre de la Politique du Changement Climatique au Maroc (PCCM).
Le Maroc a souscrit également à la déclaration politique « L’Avenir que nous voulons» adoptée en juin 2012, lors du Sommet Rio + 20. L’opérationnalisation de cette déclaration, ainsi que des orientations et mesures inhérentes à la «Charte Nationale de l’Environnement et du Développement Durable » (CNEDD) et le «Plan National de lutte contre le Réchauffement Climatique» (PNRC), sera concrétisée avec l’adoption de la future « Stratégie Nationale de Développement Durable » (SNDD), actuellement en cours d’élaboration et qui «marquera l’aboutissement au Maroc d’un engagement résolu pour le développement durable et une gouvernance rénovée ». L’adoption de la Nouvelle Constitution vient accompagner cette opérationnalisation en favorisant un développement économique durable, compatible avec la protection de l’environnement, des richesses géographiques, patrimoniales, culturelles et historiques. Le Maroc ambitionne de poursuivre ses efforts de lutte contre le changement climatique dans le cadre d’une vision globale de développement durable. L’objectif est d’assurer la transition vers un développement faiblement carboné et résilient aux impacts négatifs du changement climatique, aspirant à contribuer aux efforts globaux de lutte contre ce phénomène. La Vision Nationale place donc la lutte contre le changement climatique comme priorité nationale, contrainte utilisée comme levier pour la construction d’une économie verte au Maroc. La Vision Nationale vient guider l’action publique dans toutes ses décisions, aux niveaux transversal et sectoriel, national et local, de manière cohérente et convergente, en tenant compte de l’interaction entre ces multiples niveaux.
Les principaux axes transversaux de la nouvelle politique du changement climatique
Le manque de coordination entre les politiques sectorielles appelle au développement de mesures transversales pour les secteurs concernés par le changement climatique. Fort de ce constat, la Vision Nationale du Maroc a été développée en se basant sur six axes stratégiques transversaux, présentés ci-dessous:
1. Renforcement du cadre légal et institutionnel : Le cadre institutionnel existant, construit de manière progressive pour répondre aux exigences de la CCNUCC et du Protocole de Kyoto, n’est ni suffisant ni adapté pour une mise en œuvre effective de la PCCM (peu favorable à la coordination et l’arbitrage des politiques publiques). Il en est de même pour le cadre légal actuel. Il est donc nécessaire de renforcer le Cadre Institutionnel National du Changement Climatique par des mesures légales et réglementaires concrètes, notamment dans le cadre de la future loi-cadre de l’environnement et du développement durable.
2. Amélioration de la connaissance et de l’observation : Les nombreuses études réalisées à date confirment l’importance des lacunes en matière d’acquisition, de gestion et de consolidation des données (risques climatiques et vulnérabilité, sources et niveaux d’émissions, potentiel et opportunités de réduction de celles-ci, etc.). Il est donc nécessaire de développer davantage les connaissances sur le changement climatique et la science du climat et de renforcer les systèmes d’observation, de suivi et de prévision des impacts du changement climatique.
3. Déclinaison territoriale : La prise en considération des spécificités territoriales et l’engagement actif des collectivités sont deux éléments primordiaux dans l’adaptation au changement climatique et l’atténuation de ses effets. Dans un contexte de régionalisation, il conviendrait de décliner les objectifs nationaux en Plans Territoriaux de lutte contre le Réchauffement Climatique (PTRC).
4. Prévention et Réduction des risques climatiques : Le Maroc s’est fermement engagé dans des actions d’adaptation, pour de nombreux secteurs et domaines d’activités (Plan National de Protection Contre les Inondations, Plan National de Lutte contre la Désertification, Plan Directeur de Reboisement…). De telles initiatives sont à consolider, certains aspects sont à approfondir ou à améliorer (vulnérabilité des infrastructures et des écosystèmes, connaissance des risques climatiques,…).
5. Sensibilisation, Responsabilisation des acteurs et Renforcement des capacités : La lutte contre le changement climatique dépend de tous : individus, collectivités, groupes d’intérêt, entreprises publiques et privées, décideurs locaux et nationaux. De ce fait, il est nécessaire d’intensifier les efforts de sensibilisation en facilitant l’accès à l’information, en organisant des ateliers de formation, en déployant une campagne de communication à grande échelle (médias de masse ou médias sociaux), entre autres, et de renforcer les capacités des différents acteurs pour asseoir les compétences nécessaires à une meilleure adaptation au changement climatique et une atténuation plus efficace de ses impacts.
6. Promotion de la recherche, de l’innovation et du transfert technologique: Au niveau national, différents établissements mènent des travaux de recherche en relation avec les thèmes du changement climatique. Toutefois, pour une meilleure caractérisation des risques, des éventuels bénéfices associés à ce phénomène et de la vulnérabilité des différentes composantes, la recherche et l’innovation doivent être soutenues et renforcées. En outre, il conviendrait de promouvoir les partenariats et la coopération Nord-Sud et Sud-Sud en vue de la diffusion et du transfert des technologies qui constitue une pierre angulaire pour lutter efficacement contre le changement climatique.
Les principaux axes sectoriels d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques
Conscient de sa vulnérabilité et de l’urgence d’agir, le Maroc a affiché très tôt son engagement en matière de lutte contre le CC à travers l’instauration des piliers d’une politique volontariste dans différents secteurs. Sa politique climatique vise l’atténuation des émissions des GES, la réduction de la vulnérabilité, l’anticipation des risques, l’adaptation de la population, des secteurs économiques et des milieux naturels…Outre les axes transversaux proposés pour accompagner la concrétisation de la Vision Nationale, la PCCM, en tant qu’instrument de coordination, vient capitaliser sur les divers programmes et stratégies mis en œuvre pour affronter les contraintes climatiques et devrait assurer une actualisation continue des objectifs fixés en fonction de l’évolution réalisée. Un processus d’identification et de coordination des politiques et mesures sectorielles sera mis en place afin d’assurer un dispositif d’action complet pour réaliser la Vision Nationale. Il est prévu d’élaborer l’axe stratégique d’atténuation comme une Stratégie de développement à faibles émissions de carbone (Low Emission Development Strategy – LEDS) à l’horizon 2015, qui prendra en compte les Mesures d’atténuation appropriées au niveau national (Nationally Appropriate Mitigation Actions – NAMAs) couvrant la majorité des secteurs économiques émetteurs de GES. Le volet adaptation sera quant à lui accompagné du développement de Programme d’Action National d’Adaptation (National Adaptation Programmes of Action – NAPA) visant à identifier les activités prioritaires pour répondre aux besoins urgents et immédiats d’adaptation aux changements climatiques.
Dans le secteur du transport
La stratégie Nationale de Développement de la Compétitivité Logistique vise aussi la participation au développement durable du pays à travers la réduction des émissions de CO2 de l’ordre de 35% à l’horizon 2020 et la baisse du nombre de tonnes transportées/km parcourus de 30% à l’horizon 2020.
Dans le secteur des déchets Différentes mesures d’atténuation des émissions de gaz à effets de serre sont planifiées dans le secteur des déchets. Ces mesures concernent principalement les déchets solides avec un potentiel d’atténuation de 3 791 kteCO2/an et les eaux usées avec un potentiel de réduction de 336 kteCO2/an.
Dans le domaine forestier
Quatre stratégies reflètent les efforts déployés en vue de renforcer la préservation et la gestion durable des ressources génétiques forestières et d’assurer une atténuation des émissions de GES.
Dans le domaine de l’Eau
Le changement climatique impacte significativement la disponibilité des ressources en eau. Pour répondre aux besoins de sa population et éviter les défaillances pouvant s’accentuer lors des prochaines décennies, le Maroc a mis en place sa Stratégie Nationale de l’Eau, établie à l’horizon 2030, avec pour principaux objectifs : la gestion de la demande et la valorisation de l’eau ; la gestion et le développement de l’offre; la préservation et la protection des ressources en eau, du milieu naturel et des zones fragiles ; la réduction de la vulnérabilité liée aux inondations et aux sécheresses.
Dans le domaine de l’Agriculture
L’agriculture constitue un levier stratégique pour le développement socio-économique au Maroc. Le secteur reste très dépendant des précipitations et donc des aléas climatiques. Des programmes et des plans ont été lancés en vue d’améliorer la résistance du secteur face aux dérives climatiques, il s’agit :
Dans le domaine de la Biodiversité
Le Maroc est caractérisé par une grande diversité écologique qui est à l’origine de la beauté et la richesse de ses paysages et milieux naturels. C’est en effet, l’un des piliers sur lesquels repose son développement économique et social. La protection de cette diversité biologique constitue une priorité du pays traduite par la Stratégie Nationale de la Conservation et de l’Utilisation Durable de la Diversité Biologique, lancée en 2004, dans l’objectif de concilier entre réalités économiques et sociales et besoins écologiques. La sensibilisation et l’éducation à travers l’élaboration de programmes spécifiques destinés pour des populations-cibles.