Interview

“ Certaines décisions ne plairont pas à tout le monde ”

Il s’avère judicieux et plus réaliste de fédérer les efforts de tous les acteurs dans le cadre d’une politique nationale de santé, qui soit globale, cohérente, concertée et intégrée.

Challenge. Quels sont les apports du nouveau projet de loi sur l’exercice de la médecine?

EL Houssain Louardi. Le présent projet de Loi sur l’exercice de la médecine accompagne la série de réformes que nous entendons mettre sur pied pour améliorer la réactivité et la performance de notre système de santé, mais surtout rétablir l’équité d’accès aux soins pour tous les citoyens, quelle que soit leur zone de résidence et leur niveau socio-économique et leur couverture médicale.

Un apport majeur est attendu de cette Loi, celui de renforcer la complémentarité dans l’offre de soins, notamment hospitalière, entre secteurs publique et privé. Cet objectif ne pouvait être atteint avec la législation en cours, qui limite la création des cliniques privées aux investisseurs médecins.

Cette situation réduit les possibilités de couvrir des provinces et même certaines régions entières par une offre de soins privée qui complète et appui l’offre publique.

L’intérêt majeur de proposer ce texte de Loi et de l’adopter, est qu’il permettra de renforcer l’offre de soins à l’échelle nationale. Je vous donne des exemples :

Vous savez que tout au long des 10 dernières années, les deux secteurs de santé réunis, public et privé, assurent annuellement l’installation de 0,5 scanner par an. Ce qui veut dire, que le citoyen marocain d’une zone non desservie par un scanner devra attendre deux années avant l’installation d’un scanner.

Aussi, les deux secteurs ensemble ne produisent pas plus de 100 lits par an. Ce taux ne couvre même pas les besoins minimum des régions les mieux équipées, quid des régions les plus défavorisées ?

Face à cette situation qui ne s’améliorera pas uniquement par l’investissement public, ni par la situation actuelle de l’investissement médical privé réservé uniquement aux médecins, l’Etat marocain à travers le Gouvernement et le Ministère de la Santé particulièrement, a pris ses responsabilités de garant de l’équité de répartition de l’offre de soins pour tous les citoyens, dans toutes les régions et provinces du Royaume.

C’est la raison pour laquelle, ce projet de Loi a été proposé et a fait l’objet d’un long dialogue, auquel ont participé positivement de nombreuses corporations de professionnels et qui ont formulé des propositions et même de beaucoup de contre-propositions, que le ministère a adopté dans la mouture finale du projet.

Je citerai ici les réponses favorables de l’Association nationale des cliniques privées,  du Syndicat national des médecins du secteur Privé, du Syndicat Indépendant des Médecins de santé publique. D’autres manifestent toujours leur refus de tout dialogue, malgré les invitations répétées du ministère.

Ce projet sera donc entouré de toutes les garanties.

L’ouverture du capital des cliniques privées aux investisseurs médecins et non médecins sera entourée par la force de cette nouvelle Loi, par toutes les garanties législatives et règlementaires qui protègent solidement la décision médicale et la prestation de soins, qui est la raison d’être de tout établissement de santé, tout en permettant à des capitaux, pas obligatoirement du corps médical, d’investir leur argent dans les zones plus difficiles à couvrir par l’offre publique, qui est confrontée actuellement à un déficit aigu en ressources humaines sanitaires.

Cela dit, la Loi 34-09 relative au système de santé et à l’offre de soins fixe bien entendu les règles de planification et de régulation de l’offre de soins à travers la Carte Sanitaire et les schémas régionaux de l’offre de soins. Ce dispositif garantit la répartition équitable et équilibrée des établissements et installations de santé à travers le Royaume.

En plus du renforcement et de l’enrichissement de l’offre de soins, le projet de Loi apporte les avantages suivants :

D’abord, il permettra plus d’offre d’emploi pour les professionnels de santé.

Ensuite, il offrira un cadre institutionnel et règlementé pour plus de compétitivité et d’émulation positive dans le secteur de la santé. Une principale retombée sera la qualité des soins et des prestations de santé, mais aussi la réduction des coûts et l’instauration d’un climat de transparence et de bonne gouvernance.

Une plus grande attractivité des patients est également attendue, suite à la diversification de l’offre de soins et surtout à son rapprochement aux populations résidant dans les zones les moins équipées.

Cette attractivité ciblera aussi bien les marocains qui voyageaient à l’étranger pour se faire soigner en devises, que les étrangers, notamment les populations africaines qui se déplaçaient en Europe pour leurs soins, et qui trouveront au Maroc l’offre suffisante répondant à leur demande, en complémentarité bien sûr, avec l’offre publique.

Enfin, il faut savoir que 68% des pays dans le monde adoptent ce système, dont la Tunisie, l’Egypte, le Koweït, la Jordanie, les Emirats Arabes Unis, le Qatar, le Chili et l’Argentine, à titre d’exemple.

C. Quelles sont les garanties pouvant encourager les investisseurs non médecins  à engager leurs deniers dans le développement de la médecine dans le secteur privé?

E.H.L. Tout d’abord, il va falloir préciser que la médecine est une profession qui ne doit en aucun cas, ni d’aucune façon être exercée comme un commerce (article 2 de la Loi).

Le présent projet de Loi n’a pas d’ambition à faire basculer l’investissement dans les cliniques privées des mains des médecins aux non médecins. Ce n’est aucunement notre intention, mais c’est un élargissement du spectre des investisseurs à des personnes morales ou physiques qui ont la volonté et la capacité juridique et financière, et répondant aux critères rigoureux exigés par la Loi.

Comme précisé au début, ce projet de Loi permettra aux investisseurs satisfaisant ces critères, de créer des établissements de santé, répondant aux normes médicales et qui contribueront à augmenter l’accès aux soins pour la population de leur zone de desserte, conformément aux schémas régionaux de l’offre de soins.

L’article 58 du projet de Loi précise aussi que la création de clinique peut être faite par un médecin, un groupe de médecins, à une société commerciale ou à une personne morale de droit privé poursuivant un but non lucratif.

Cela étant dit, je m’engage en tant que ministre de la Santé à porter toute proposition d’incitatifs à l’investissement médical, lorsqu’elle permettra à des investisseurs médecins ou non médecins de combler le déficit en offre de soins.

D’ailleurs, nous avons au ministère de la Santé la possibilité d’acheter des services médicaux spécialisés pour les populations dans certaines zones, comme l’achat de service d’hémodialyse, mais nous nous trouvons confrontés à l’absence de tout prestataire privé, alors que nous avons le budget qu’il faut. Par exemple, nous avons réservé en 2013, une enveloppe budgétaire de 308 millions DH pour l’achat de prestations d’hémodialyse auprès des centres d’hémodialyse du secteur libéral 

D’autres mesures sont prévues et encourageront l’exercice médical. Je cite ici 6 éléments importants :

– D’abord, le salariat des médecins est exclu par le nouveau texte. C’est une demande très pressante et que je trouve personnellement légitime en tant que médecin d’abord et en tant que premier responsable de la santé.

– Une relation conventionnelle entre les médecins et la clinique sera instaurée grâce à ce texte de Loi. Les médecins travailleront dans le cadre de conventions entre eux et la clinique, après avis et décision du Comité médical d’établissement.

– L’instauration du Cabinet de groupe

– L’instauration du médecin assistant, qui est un médecin libéral exerçant en dehors de la clinique ou du cabinet médical et qui peut être appelé à renforcer l’équipe médicale de manière provisoire sans avoir besoin de toute la procédure des autorisations, qui sont de rigueur actuellement.

– L’instauration du médecin collaborateur, qui peut travailler de manière permanente auprès du cabinet ou de la clinique privée, en vue de renforcer

– Le projet apportera également dans ces textes d’applications, les normes techniques exigées pour l’installation des cabinets médicaux et qui renforceront le contrôle qualité

C. Comment le projet aborde la question de l’autonomie du médecin dans une structure privée, propriété d’un investisseur?

E.H.L. Le projet de Loi protège très largement l’exercice indépendant et loin de toute influence de la profession médicale, dans les établissements privés.

Nous avons travaillé vigoureusement sur cet aspect fondamental et central de l’autonomie de l’exercice médical au sein des cliniques privées. C’était d’ailleurs une de mes conditionnalités pour porter ce projet et une demande pressante et légitime des professionnels médecins. 

L’article 58 est clair à ce niveau : je rappelle qu’il édicte qu’en cas de détention de capital d’une clinique privée par une société ou par une personne morale de droit public non médecin, la Direction médicale de la clinique revient exclusivement aux médecins.

Le projet prévoit également l’instauration d’un Comité Médical d’Etablissement. Ce Comité constitué uniquement des médecins exerçant dans la clinique, détient le total contrôle sur toutes les décisions médicales.

Ce comité décide par exemple du recrutement des professionnels de santé. Il décide de l’achat d’équipements biomédicaux et d’installations médicotechniques, répondant aux normes de sécurité du patient et loin de toute considération purement économique. Le comité décide également du type de prestations qui seront réalisées au sein de la clinique en fonction des spécialités et des capacités existantes. Par exemple, un investisseur non médecin, fondateur de la clinique, n’a aucun droit de décider de réduire ou d’élargir ses activités de soins, pour des raisons de simples économies de ressources, sans que le Comité médical n’en décide sa pertinence.

A côté du comité d’établissement, un Comité d’Ethique sera aussi instauré au sein de la clinique. Il sera constitué de médecins et d’infirmiers et veillera en collaboration avec les Conseils régionaux des médecins, au strict respect de la déontologie et des règles d’éthique et de bonnes pratiques des soins, sans aucune intervention du staff administratif. 

Ce staff administratif sera lui, représenté par le comité de gestion, qui n’est pas forcément constitué de médecins et qui gère les affaires administratives, financières et juridiques de la clinique.

C. Comment votre département compte communiquer avec les citoyens et ses  différents partenaires pour défendre le projet de loi avant son adoption ?

E.H.L. Tout au long du processus de concertation autour du projet, priorité était donnée au dialogue et à la communication avec les professionnels directement concernés. Une fois le texte adopté, nous avons d’ores et déjà prévu de lancer une campagne d’information du public autour des métiers de la santé, qui expliquera aux citoyens, la place et les rôles dévolus à chaque catégorie de professionnels de la santé, ainsi que les responsabilités et l’éthique qui encadre les relations entre soignants et soignés.

C. Est-ce que le projet de loi permet à des groupes d’investisseurs étrangers à fonder des cliniques au Maroc, sans association avec des marocains?

E.H.L. Oui, tout à fait, à condition que le groupe se constitue en société de droit marocain.

C. Comment les organes de contrôle prévus par le projet peuvent-ils contribuer à l’assainissement de la gestion de beaucoup de cliniques privées et notamment, dans les aspects liés aux tarifs et à la réalité des coûts?

E.H.L. Ce contrôle est du ressort des pouvoirs publics, en veillant au respect des tarifs et en mettant en place des tarifs justes qui prennent en considération la valeur effective de l’acte, ainsi que les contraintes liées aux ressources mobilisées.

 
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