Ces chantiers qui attendent le prochain gouvernement
En cette période de pandémie, le prochain gouvernement va hériter d’une situation économique et sociale toujours difficile, avec un chômage record, et de chantiers en cours notamment dans le domaine de la santé, l’éducation ou encore de la fiscalité.
Quelle que soit la coalition qui va s’installer, son agenda est presque fixé d’avance. Sur le plan budgétaire, il faudra lisser un retour aux grands équilibres. Les recettes fiscales ne vont s’améliorer que progressivement et les engagements à tenir sont conséquents. Comme on ne peut envisager ni une réduction des investissements publics ni une augmentation de la pression fiscale, il faudra une gestion d’orfèvre des finances publiques.
Le chantier de la protection sociale est immense, son exécution ne peut souffrir ni de retard, ni d’imperfections parce que c’est le chantier de la cohésion nationale. Or, nous parlons d’un engagement de 27 Milliards de dirhams par an.
Tous les partis revendiquent la renégociation des traités de libre-échange, non pas dans un esprit de repli, mais parce que « nous sommes les dindons de la farce », selon la formule du Wali de Bank Al Maghrib. La crise du Covid, a montré la nécessité de protéger le tissu industriel national. Une telle stratégie, parce qu’elle a des impératifs diplomatiques, géostratégiques doit être affinée au millimètre près.
L’encouragement financier et fiscal aux PME, fait lui aussi l’unanimité. Les propositions sont multiples, elles visent toutes à faciliter l’accès au financement de l’investissement mais aussi du fonctionnement, car l’une des causes de la mortalité des entreprises, ce sont les difficultés de trésorerie.
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Enfin l’Education et la Santé, sont les priorités des priorités. Ce n’est pas seulement une question de budget, mais de gouvernance. Le prochain exécutif devra rapidement livrer sa vision sur ces deux sujets, parce que la pression sociale est réelle et que le meilleur moyen de renforcer la classe moyenne, c’est de lui offrir des services publics de qualité. Le budget éducation des enfants préempte une trop grosse part des revenus des familles.
La révision du code pénal est à l’arrêt depuis 5 ans. C’est une bataille politique d’importance parce que ce code régit les libertés individuelles. Il faut un large consensus social et partisan pour arriver à une réforme réelle. Sur tous ces chantiers, il faut espérer que la nouvelle coalition soit cohérente, espérons-le!
Généralisation de la couverture sociale : un chantier stratégique et sociétal
Le schéma de la mise en place de la protection sociale globale à mener durant les cinq prochaines années, tel qu’il a été formalisé par la loi-cadre 09.21, passe par quatre axes avec des échéances précises. C’est un chantier qui fédère l’ensemble des forces politiques.
Le premier axe comprend la généralisation, d’ici fin 2022, de l’Assurance maladie obligatoire au profit de 22 millions de personnes supplémentaires qui bénéficieront d’une assurance couvrant les frais de traitement, de médicaments et d’hospitalisation. Quant au second axe, il contient la généralisation des allocations familiales durant les années 2023 et 2024 au profit des familles qui n’en profitent pas, selon les textes en vigueur.
Ces familles bénéficieront, selon le cas, d’indemnités forfaitaires ou d’indemnités de protection des dangers relatifs à l’enfance et ciblant 7 millions d’enfants en âge de scolarité. Le troisième axe concerne l’élargissement de la base des adhérents aux régimes de retraite pour inclure environ 5 millions de personnes qui exercent un emploi et ne bénéficient d’aucune pension à l’horizon 2025. Et enfin, le quatrième axe contient la généralisation de l’indemnité pour perte d’emploi à partir de l’année 2025 pour couvrir toute personne exerçant un emploi stable.
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La généralisation de la protection sociale à l’horizon 2025 coûtera 51 milliards DH par an. Cette enveloppe est répartie entre l’Assurance maladie obligatoire de base (AMO) dont la généralisation mobilisera 14 MMDH, les allocations familiales (20 MMDH), l’élargissement de la base des adhérents au régime de retraite (16 MMDH) et l’accès à l’indemnité de perte d’emploi (1 MMDH).
S’agissant de la gouvernance, la loi-cadre sur la protection sociale confère aux autorités publiques, la responsabilité de prendre l’ensemble des mesures nécessaires pour mettre en place un cadre de gouvernance permettant l’harmonisation des différents régimes de la protection sociale, notamment par l’adoption d’une instance unifiée pour la gestion de ces régimes. Il s’agit aussi de mettre en place un outil de pilotage qui permet de suivre l’exécution de la réforme et d’organiser les interventions des différentes parties prenantes.
Le Nouveau modèle de développement : la voie royale pour un avenir meilleur
Le Nouveau modèle de développement (NMD), dont le rapport a été présenté au Souverain par le Président de la CSMD, Chakib Benmoussa, le 25 mai dernier, trace la voie et fixe les étapes d’un nouveau processus de développement plus ambitieux et plus inclusif à l’horizon 2035. C’est une «source commune » où l’ensemble des forces politiques sont appelées à alimenter leurs programmes pour les décliner concrètement sur le terrain. A côté des nouveaux choix stratégiques, le NMD évoque les mécanismes de suivi et de mobilisation des acteurs concernés ainsi que de l’ensemble des citoyens.
Il recommande aussi, de favoriser la convergence des politiques publiques qui fait actuellement défaut dans la mise en œuvre des réformes lancées.Le NMD se base sur une ambition nationale de propulser le Royaume, sur différents domaines d’ici 2035, dans le tiers supérieur des différents classements mondiaux des Nations. Concrètement, et en chiffres, le Maroc de 2035 aspire à atteindre le doublement du PIB par habitant, une maîtrise des apprentissages de base à la fin du cycle primaire par plus de 90% des élèves, l’augmentation du nombre de médecins par habitants pour atteindre les normes de l’OMS, la réduction à 20% de la part de l’emploi informel, l’élargissement du taux de participation des femmes à 45%, un taux de satisfaction des citoyens envers l’administration et les services publics de plus de 80%.
Les réformes envisagées nécessiteront des financements publics additionnels de l’ordre de 4% du PIB, annuellement, en phase d’amorçage (2022-2025) et de l’ordre de 10% du PIB, en rythme de croisière, à l’horizon 2035. Au début, l’intervention de l’Etat devra être déterminante avant que le secteur privé puisse prendre le relai. L’action de l’Etat devra contribuer au déclenchement d’une dynamique positive où le NMD pourra s’autofinancer partiellement, en générant de nouvelles recettes fiscales, rendant ainsi les finances publiques plus soutenables. Les dépenses additionnelles doivent être dédiées aux investissements, en vue de contribuer à un «cercle vertueux de croissance».
Réforme fiscale: 5 priorités au cours des 5 prochaines années
Au cours des cinq prochaines années, cinq priorités, devant guider les politiques fiscales, ont été définies dans la loi cadre (LC) portant réforme fiscale. La déclinaison de ces priorités devrait être entamée progressivement dès le prochain projet de loi de finances. Les incitations fiscales seront rationnalisées, réduites au maximum et dorénavant accordées de manière très sélective. La priorité concerne l’encouragement de l’investissement productif, créateur de valeur ajoutée et d’emploi de qualité.
A travers la fiscalité, l’Etat interviendra activement et intelligemment, pour favoriser les secteurs économiques stratégiques en matière de développement. Mieux, la politique fiscale devra aussi être mobilisée dans la lutte contre la pauvreté et la réduction des inégalités, en vue de renforcer la justice et la cohésion sociales. Pas de développement sans inclusion sociale et renforcement des «capabilities».
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C’est la 2ème priorité définie par la LC. La 3ème priorité est afférente au développement local/régional et à la consolidation de la justice territoriale. A cet égard, c’est surtout la fiscalité locale (CT) qui est visée. Les CT sont appelées à gagner en maturité en développant leurs capacités à collecter et à gérer leurs ressources propres. C’est là une condition à la réussite de la régionalisation. Par ailleurs, la réussite des réformes fiscales est étroitement conditionnée par le «renforcement de l’efficacité et de l’efficience de l’administration fiscale», sans oublier la «consolidation de la confiance partagée avec les usagers».
Transparence, qualité de service et confiance sont inséparables. Enfin, la mondialisation économique et financière impose une ouverture sur les bonnes pratiques internationales dans le domaine fiscal. C’est là, la 5ème priorité inhérente aux choix internationaux du Maroc et entamée par l’adhésion à plusieurs accords multilatéraux relatifs à l’échange des données ayant une incidence fiscale.
L’école, première clé de développement
L’école, au sens large, est au cœur de tous les modèles de développement ayant réussi. La deuxième partie du rapport sur le Nouveau modèle de développement (NMD) est consacrée à la fin aux « axes stratégiques de transformation», où l’axe 2 intitulé «un capital humain renforcé et mieux préparé pour l’avenir» y consacre deux choix stratégiques dédiés à «une éducation de qualité pour tous » et à «un système d’enseignement universitaire, de formation professionnelle et de recherche axé sur la performance et porté par une gouvernance autonome et responsabilisante».
Pour la première fois, l’enseignement devra sortir du cercle vicieux des calculs politiciens et de la «réforme de la réforme». En effet, grâce à la loi-cadre adoptée, en 2019, et l’implication personnelle et directe du Souverain, le changement de gouvernement ne devrait plus affecter le cours des réformes entamées.
C’est là un acquis majeur. Doter le Maroc d’un capital humain digne de ses aspirations et réhabiliter l’école publique dans son rôle d’ascenseur social et de développement du civisme, constitue le but ultime. La généralisation du préscolaire obligatoire a ainsi, déjà été entamée pour atteindre 77%, en 2020-2021, avec un référentiel pédagogique spécifique et un budget dédié (plus de 1,5 MMDH).
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Cependant, des déficits demeurent au niveau de la qualité des prestations. Le taux de scolarisation dans le primaire aurait atteint 100% d’après les statistiques du département concerné. Néanmoins, au collège, le taux descend à 94% et, au lycée, à 69%. Le français est enseigné dès la première année du primaire. L’anglais sera généralisé au collège, dès 2024. La durée de scolarisation est passée de 9 à 12 ans.
Cependant, pour l’instant, la durée réelle de scolarisation des marocains est de 5 ans et demi, contre 15 ans dans les pays de l’OCDE. L’infrastructure scolaire a connu une nette amélioration, au cours des dernières années. Le programme Tayssir a touché, en 2021, plus de 2,5 millions d’élèves dont 82% dans le rural, avec un budget de 2,7 MMDH. La formation professionnelle dispose, depuis 2019, d’une feuille de route qui est mieux connectée au monde économique.
12 cités des métiers et des compétences doivent émerger, une par région. Lesdites cités dans les régions de Souss Massa, de l’Oriental et de Laâyoune-Sakia El Hamra, devront démarrer ce mois de septembre. Des « villages d’apprentissage ruraux » sont prévus. Dans le supérieur, la nouvelle réforme du Bachelor sera appliquée dès la prochaine rentrée. Les réformes seront basées sur la tryptique évoquée dans le NMD : qualité, confiance et vocation de l’école. Les dépenses en matière d’éducation constituent dorénavant une priorité nationale. Ce n’est plus un choix. C’est une nécessité.
Réforme profonde du secteur des Etablissements et Entreprises publics
Dans son discours, à l’occasion du 21 anniversaire de la fête du Trône, le Souverain avait appelé à faire de la restructuration du secteur des Etablissements et Entreprises publics (EEP), un chantier prioritaire afin de «corriger les dysfonctionnements structurels des EEP, garantir une complémentarité et une cohérence optimales entre leurs missions respectives et, in fine, rehausser leur efficience économique et sociale».
C’est là un chantier stratégique et commun à l’ensemble des forces politiques.Pour redimensionner et restructurer ce secteur, le projet en cours de concrétisation prévoit, pour les entités à caractère non commercial, de regrouper certaines en établissements stratégiques et de confier les missions des autres aux Ministères concernés, après leur liquidation.
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En ce qui concerne les entités qui ont un caractère commercial et financier, il est question de renforcer la pérennité de leur modèle économique et financier à travers la réduction de leur dépendance au budget de l’Etat (36 MMDH de subventions). Il est également envisagé de créer des holdings sectoriels homogènes répondant aux impératifs de la taille critique, de la rationalisation de la gestion ainsi que de l’attractivité pour les marchés financiers.
S’agissant du futur organisme qui aura la charge de gérer ce secteur, la Chambre des conseillers a adopté, le 15 juillet dernier, le projet de loi n°82.20 portant création de «l’Agence nationale de gestion stratégique des participations de l’État et suivi des performances des EEP».
Cette agence a pour principales missions d’assurer la gestion stratégique des EEP et le suivi de leurs performances, de structurer des holdings publics sectoriels ou thématiques et d’œuvrer à l’amélioration de la gouvernance des EEP en s’inspirant des meilleures pratiques internationales en la matière. Cette Agence héritera, dans un premier temps, d’un ensemble de 64 EEP qui seront directement dans son périmètre. La loi accorde un délai maximum de 5 ans pour superviser la migration de l’ensemble des EEP relevant de son périmètre vers le statut de Société Anonyme et la substitution progressive de l’Agence à l’Etat, dans le capital des entreprises de son périmètre d’attributions.
Santé : un droit humain fondamental
La réforme du système de santé fait l’unanimité des forces politiques. La santé est un droit humain fondamental et universel à consacrer dans la réalité. C’est la première leçon tirée de la crise sanitaire qui a suffisamment révélé les faiblesses et les insuffisances de notre système de santé.
Le rapport sur le Nouveau modèle de développement (NMD) en fait un choix stratégique intitulé : «Assurer l’accès aux services de santé de qualité et à la protection sanitaire comme droits fondamentaux des citoyens». Mieux, le NMD consacre le concept de «souveraineté sanitaire», né de la prise de conscience face à la crise sanitaire mondiale actuelle.
En effet, actuellement, lesdites faiblesses et insuffisances bien identifiées, à travers notamment le dernier rapport du groupe de travail parlementaire sur la réforme du système de santé et le rapport sur le NMD, ne sont pas uniquement de nature budgétaire. Elles ont aussi et surtout trait au mode de gouvernance.
Au niveau des ressources, il est préconisé de diversifier les sources de financement et de générer des ressources supplémentaires à orienter en priorité vers le financement de la santé. En 2021, le montant du budget Santé a été de 19,77 MMDH, soit 6,79% du budget général, bien en dessous de la moyenne de 10% recommandée par l’OMS. L’amélioration substantielle du niveau de rémunération et des conditions de travail doit limiter l’immigration des médecins vers l’étranger. La hausse du budget est impérative mais n’est pas la seule solution. Pour le NMD, «l’hôpital public a un rôle essentiel à jouer dans l’écosystème de santé».
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Sans être une solution magique, la digitalisation est incontournable de l’amélioration de la qualité des prestations de santé, en mettant en place notamment une «carte de santé des citoyens». Le panier de soins doit être identique pour tous les citoyens. Enfin, en matière de gouvernance, aussi bien le NMD que le rapport parlementaire proposent une «agence nationale supérieure de la santé et de veille sanitaire» et d’autres instances telles que le «Conseil national consultatif de la santé», ou encore le «Conseil supérieur de la santé».
Certes, ces structures doivent contribuer à plus de transparence dans les processus de décision et de gestion. Néanmoins, il faudra être très vigilant pour ne pas tomber dans des situations inverses et pires, que peut engendrer la bureaucratisation, en particulier dans un domaine où le «temps» s’apprécie autrement, en termes d’interventions urgentes et de «vies à sauver».