Classe moyenne : quel modèle social pour le Maroc ?
Compte rendu. Comme à son habitude, la fondation Attijariwafa bank a organisé jeudi 13 novembre, au siège de la banque, une conférence autour du thème: «Classe moyenne et croissance durable partagée: quels outils pour mieux répartir la richesse nationale au Maroc ?».
par Roland Amoussou
Plus un pays se développe, plus il est confronté aux corollaires de son développement. Inégalité sociale, justice équitable pour tous, lutte pour répartition équitable des richesses(la liste est exhaustive). Des corollaires qui font ainsi émerger des fractures sociales. Le Maroc, pays engagé, depuis plusieurs années, dans un processus de développement soutenu sous la houlette de Sa Majesté le Roi Mohammed VI n’échappe pas à cette situation. Le Royaume connait une panne de la redistribution des richesses qui a accentué les inégalités sociales ces dernières années, fragilisant, du coup, les couches sociales défavorisées et la classe moyenne. Pour décortiquer cette situation, la Fondation Attijariwafa bank, dans le cadre de son cycle de conférence-débat « Échanger pour mieux comprendre», a organisé jeudi 13 novembre, au siège de la banque, une nouvelle conférence autour du thème: Classe moyenne et croissance durable partagée: quels outils pour mieux répartir la richesse nationale au Maroc ? Etudiants, journalistes, experts de tous bords, universitaires, la salle était remplie de la kyrielle d’invités, tous venus prendre connaissance des analyses des trois experts du jour, Mohamed Mabrouk, associé chez Ernst&Young, Youssef Sâadani, économiste et Driss Jaydane, écrivain et enseignant. C’est Mohamed Mabrouk qui a planté le décor. Il s’est surtout focalisé dans son analyse sur les pays émergents. Il a passé en revue l’évolution de cette classe moyenne dans ces pays à forte croissance économique, poumons de l’économie mondiale. Mohamed Mabrouk a détaillé les résultats de l’étude menée par le cabinet Ernst&Young au niveau mondial. Les conclusions de cette étude contredisent, de loin, la définition standard de la Banque Mondiale, qui considère que toute personne pouvant disposer de 2 dollars US( soit 20 DH) par jour fait partie de la classe moyenne. «On est nombreux aujourd’hui à considérer qu’avec 2 dollars, soit 20 DH par jour, on ne répond pas aux besoins primaires de la classe moyenne, c’est-à-dire, se loger, acheter une télévision, acheter une voiture », a-t-il soutenu.
70% de la population mondiale est pauvre
Pour lui, il faut rehausser les critères pour pouvoir donner une définition qui soit proche des réalités de la classe moyenne. Mohamed Mabrouk estime ainsi qu’à partir de 10 dollars, soit à peu près 90 DH par jour, on peut répondre aux besoins de cette catégorie de la société. «Et donc, on fait partie de la classe moyenne lorsque nos revenus journaliers sont compris entre 10 dollars et 100 dollars, c’est-à-dire de 90 DH à 900 DH par jour. Mais, il faut savoir que seulement un quart de la population mondiale perçoit, aujourd’hui, un revenu compris entre 10 dollars et 100 dollars par jour ». Force est de souligner ici, que 70% de la population mondiale, sur les 7,2 milliards d’habitants que compte la planète, touchent un revenu journalier de moins de 2 dollars. Cela permet de se faire une idée des conséquences de la répartition inégale des richesses. Il faut également noter que 60% de la classe moyenne au niveau mondial (personnes percevant un revenu journalier compris entre 90 DH et 900 DH) est basée dans les pays développés, et seulement 20% dans les pays émergents tels que le Brésil, la Russie, l’Inde etc. Mohamed Mabrouk a conclu sa présentation en faisant remarquer que le phénomène de basculement de la classe pauvre à la classe moyenne au niveau mondial devrait se poursuivre et même s’accélérer, ce qui fera que cette classe moyenne va prendre beaucoup plus d’importance dans les années à venir. Ensuite, c’est Youssef Sâadani qui s’est chargé de décortiquer les maux de la classe moyenne marocaine. « On manque d’étude sociologique à ce sujet » a déploré d’entrée Youssef Sâadani. Au Maroc, le Haut Commissariat au Plan(HCP), selon une étude datant de 2007, estime qu’un ménage dont le revenu va de 2800 DH à 6700 DH fait partie de la classe moyenne marocaine. Cette définition du HCP englobe tous les ménages, sans considération du niveau d’étude, intellectuel et autres critères, généralement utilisés par les économistes.
Consensus social
« C’est-à-dire qu’une femme de ménage et son conjoint, jardinier, qui réunissent plus de 2800 DH par mois font partie de la classe moyenne. Cela n’a absolument pas de sens d’un point de vue sociologique », a estimé Youssef Sâadani. Selon lui, un ménage fait partie de la classe moyenne lorsqu’il a un revenu mensuel compris entre 10.000 DH et 40.000 DH. «Je suis arrivé à cette considération après avoir essayé de discuter avec de nombreuses personnes pour recueillir la symbolique autour de la classe moyenne au Maroc», a-t-il expliqué. « A mon avis, c’est ridicule de dire que lorsqu’on a une population qui peut disposer de 2 dollars par jour, on a combattu la pauvreté. Il faut être exigeant », a poursuivi Youssef Sâadani. Il a fait remarquer que le Maroc vit, aujourd’hui, la même situation qu’avait vécue la France dans les années 60. C’est très important de voir les dynamiques qu’ont connues les pays européens dans les années 60 et 70 et de se caler dans ces dynamiques », a souligné Youssef Sâadani. Aux antipodes des deux premiers intervenants, l’écrivain Driss Jaydane, a estimé que la classe moyenne est une pure invention de la Banque Mondiale. Il ne partage pas du tout les critères, surtout basés sur l’aspect financier, énumérés jusque-là. «On peut gagner 15000 DH par mois, et être culturellement au bas de l’échelle, comme on peut gagner 5000 DH et avoir un niveau intellectuel élevé », a-t-il d’ailleurs fait remarquer. « Dans notre société marocaine, on n’a pas mis de contrat, il n’y a pas de discours social pour dire à ces gens, qui travaillent et qui fournissent beaucoup d’efforts, qu’ils sont importants pour la société », a-t-il ajouté, faisant allusion à la catégorie, taxée de classe populaire(chauffeur de taxi, jardinier, femme de ménage, charpentier etc). Pour Driss Jaydane, le Maroc a besoin d’un consensus social fort pour relever le défi.