Cliniques Privées : Confusion entre business et médecine
Les pratiques des cliniques privées n’ont jamais été autant décriées. La rentabilisation des investissements, à tout prix, déshumanise les soins et relègue l’aspect médical au second rang. L’absence d’un système de contrôle/sanction efficace qui épingle les hors-la-loi demeure un véritable problème! Face à tant de laxisme, le patient est à la merci d’un système qui impose sa loi !
Près de sept marocains sur dix sont peu ou pas satisfaits du système de santé. L’étude du Haut Commissariat au Plan sur le bien-être des Marocains dresse un constat alarmant. « Certaines cliniques privées, par leurs actes délictuels voire criminels, font pratiquement de l’extorsion de fonds ou du racket », martèle H.I, jeune patiente traumatisée par l’expérience qu’elle a vécue dans les cliniques privées de la métropole à quelques jours d’intervalle. Elle est parmi les rares personnes qui ont porté leurs cas devant la justice. En effet, H.I a porté plainte contre un médecin pour non-assistance alors qu’elle s’est présentée à la clinique en urgence (voir encadré).
Le lieu où le malade est censé trouver des soins est devenu source d’angoisse pour les Marocains. Les patients ont désormais plus peur de l’engrenage du système de la santé en général et de celui des cliniques privées en particulier, que de la maladie elle-même.
La falsification est de mise
Il y a quelques semaines, la Caisse Nationale des Organismes de Prévoyance Sociale a attaqué en justice trois cliniques privées qui ont monté des dossiers de prise en charge fictive. La Caisse a introduit auprès de l’Agence nationale de l’assurance maladie (ANAM) une demande de déconventionnement des cliniques épinglées et de suspension de la prise en charge de leurs patients. La CNOPS a également déposé plainte contre ces trois cliniques privées pour fraude et falsifications. Le premier cas a été détecté par hasard par un assuré de la CNOPS. Suite à la consultation de son compte CNOPS sur le net, il a découvert avec surprise le remboursement en cours d’une prise en charge d’une opération chirurgicale qu’il n’a jamais subie. C’est ainsi qu’il contacte la CNOPS pour en connaître le fin mot: le dossier est monté de toutes pièces. Pour les autres cas, ce sont les services de la CNOPS qui ont décelé la supercherie.
Dans leur quête de rentabilité, les médecins privés sont prêts à tout ou presque. Tous les moyens sont bons pour gonfler la facture et encaisser plus. Que de spécialistes appliquent des tarifs de consultation qui dépassent le tarif national de référence. Une consultation chez un gynécologue est souvent sanctionnée à la sortie par 500 dirhams minimum. Pour cause, la patiente a toujours droit à une échographie en prime. Des tests dont le patient n’a pas toujours besoin. Des traitements qu’on ne lui a jamais administrés ou à des quantités moindres par rapport à ce qui est facturé. «Des cliniques déclarent un acte sur 10 pour arrondir leurs finances», déclare un médecin. Certains médecins et cliniques peuvent recourir à un acte médical au lieu d’un autre, car son prix est plus élevé. C’est le cas des accouchements par césarienne pour ne citer que cet exemple. Une étude de la CNOPS a démontré que «le poids de la césarienne a connu une nette croissance entre 2007-2011 en passant de 62% à 75% en termes de dépenses totales d’accouchement et de 36% à 50% en nombre total d’actes d’accouchement effectués». Les experts de l’Organisation Mondiale de la Santé, s’accordent à considérer les taux de césarienne supérieurs à 25% comme anormaux et non justifiés par des raisons uniquement médicales.
Le business prend le dessus
Surfacturation, fraude, paiement au noir, falsification, manque de personnel, chèque de garantie,… des fois chantage et violence envers les patients… La loi est enfreinte à tout-va. Les maux, dont souffre ce secteur, sont aussi nombreux qu’invraisemblables. Au niveau de la profession, on minimise ces faits. «Il est vrai qu’il y a certains dérapages, on ne s’en cache pas », lâche Mohammed Naciri Bennani, président du Syndicat National des Médecins du Secteur Libéral. Et d’ajouter, « un seul mauvais agissement et on accuse à tort toute la profession». Prenant la défense de ses confrères, il accuse « l’Etat d’avoir échoué dans sa politique de santé et pour le cacher, il désigne le corps médical comme responsable ». Pour le syndicaliste, on tacle les médecins privés et les cliniques bien plus qu’il ne le faudrait alors que le mal qui ronge le secteur est bien plus profond. Il est clair que tout le système, public et privé, gagnerait à être réformé de fond en comble.
Cependant, il est temps de rappeler au secteur privé que «la médecine est une profession qui ne doit en aucun cas être pratiquée comme un commerce. Le médecin l’exerce loin de toute influence ; ses seules motivations étant sa science, son savoir, sa conscience et son éthique professionnelle». Article 2 de la loi n° 10-94 relative à l’exercice de la médecine.
Des négligences fatales
En frappant à la porte du secteur privé, le patient cherche la rapidité de la prise en charge, la compétence et la garantie d’être bien soigné. Généralement, il est conscient que le coût peut-être élevé, même s’il n’est pas à l’abri de lourdes surprises. A côté des factures, des erreurs médicales fatales peuvent être commises. Le cas de cette jeune femme diabétique, M. R., est parlant. «Mon bébé est mort», raconte-t-elle. Etant diabétique, la césarienne est obligatoire car le bébé serait macrosome, c’est-à-dire qu’il pèserait plus de 4 kg.
Le jeudi 2 décembre 2010, arrivée à terme, elle se rend chez sa gynéco pour une échographie, sauf que celle-ci oublie d’écouter les battements du cœur du bébé. Pressée de recevoir la patiente suivante, elle lui dit que tout va bien et lui « demande de revenir samedi pour la césarienne », se souvient M.R.
« Je lui demande de me prendre au moins ma tension artérielle qui s’est révélée être à 16 ».
Le médecin est alors au bord de la panique et l’envoie en urgence à la clinique pour un RCF (rythme cardiaque fœtal). Tout s’est passé très vite pour M.R. : une césarienne est réalisée d’urgence pour constater le décès du bébé. Pour cette patiente, il n’y a pas de doute : c’est clairement la faute du médecin. Dans un cas comme le sien, la césarienne devait être programmée bien avant terme, c’est-à-dire dès que le bébé atteint 37 semaines. M.R, déprimée par cette mésaventure, ne poursuivra pas la gynécologue en justice.