Comment Akhannouch veut régionaliser le Plan Maroc Vert
A un moment où la classe politique est saisie par le doute sur le sort de cette régionalisation avancée « qui n’avance pas », qui est toujours au point mort, en attente de l’adoption des nombreux décrets d’application de la loi organique, le ministère de l’Agriculture introduit une note d’optimisme en indiquant une voie de sortie. Pour M. Akhannouch, seule la régionalisation des politiques publiques peut donner un contenu concret à ce processus. Joignant l’acte à la parole, le ministre veut démontrer le bien fondé de sa démarche en lançant la régionalisation du programme sectoriel phare du gouvernement, à savoir : le Plan Maroc Vert. par S.ALATTAR
Le secteur agricole continue son processus de transformation et de modernisation. Plus le Maroc avance, plus sa vocation agricole se confirme. Malgré les aléas climatiques, l’agriculture confirme ses performances. Si la tendance se maintient, elle deviendra dans les prochaines années le secteur qui contribue le plus à la croissance du PIB et donc de la richesse nationale. Actuellement, l’agriculture contribue à hauteur de 14% au PIB, fait vivre près de 15 millions de Marocains, et offre près de 40% des emplois. Selon les données fournies par le ministère de l’Agriculture, le PIB agricole a connu, durant la période 2008-2015 une augmentation moyenne de 7% par an, soit au total de 57% passant de 75 à plus de 115 Milliards de DH. Durant cette même période le revenu des agriculteurs s’est multiplié par 4, passant de 2000 DH à plus de 7800 DH. Ces résultats n’ont pu être atteints que grâce à l’intensification de l’effort d’investissement durant la période 2007-2015 de près de 90 milliards de DH. Certes l’investissement public, avec 57 milliards de DH a été déterminant, ce qui a permis d’étendre le réseau d’irrigation et de subventionner certaines filières vulnérables. Mais le privé a bien réagi en mobilisant plus de 35 milliards de DH durant la même période.
Envisager la régionalisation du PMV
Pour le ministre, le Plan Maroc Vert a atteint un niveau de maturité qui lui permet d’envisager la régionalisation avec optimisme et assurance. Sur ce plan, son Département ne part pas de rien. Bien au contraire, ce ministère a été pionner dans ce domaine puisqu’il a été l’un des premiers à régionaliser ses programmes opérationnels et ses structures administratives. En effet, les Offices régionaux de mise en valeur agricole ont été créés dans les années 70. Il s’agit d’établissements publics qui ont l’autonomie administrative et financière, placés sous la tutelle du ministère de l’Agriculture, et qui sont responsables de la planification et de la gestion des ressources en eau à usage agricole, de la conception, la construction et la gestion des périmètres de grande hydraulique. Les ORMVA sont aussi responsables de la petite et moyenne hydraulique de leur ressort territorial. En dehors des zones d’action des ORMVA, les Directions provinciales d’agriculture sont chargées de la promotion et la gestion des petits et moyens périmètres d’irrigation.
Il existe actuellement, sept ORMVA : l’ORMVA du Haouz de Marrakech qui gère 150274 ha, l’ORMVA du Gharb qui gère 113253 ha, l’ORMVA du Tadla qui gère 108940 ha, l’ORMVA de Doukkala qui gère 97298 ha, celui de Moulouya avec 77282 ha, celui de Souss Massa avec 39864 ha et celui du Loukkos avec 30096ha. Pendant longtemps, l’agriculture a constitué le secteur le mieux régionalisé du pays. Les périmètres irrigués se trouvent bien répartis géographiquement: des plaines de la Moulouya, dans le Nord Est, ils s’étendent vers les plaines du Loukkos au Nord ouest pour aboutir au Gharb dans la région de Rabat, au Tadla au centre autour de Béni Mellal. Plus loin encore, le périmètre de Doukkala rayonne sur la région de Safi El Jadida et celui du Haouz structure toute l’activité économique de la région de Marrakech. Dans l’extrémité sud, on trouve le périmètre irrigué de Souss Massa dont le dynamisme rayonne sur toute l’économie nationale.
Cette ingénieuse répartition géographique des périmètres irrigués a contribué dans une large mesure, à réduire de l’exode rural, à stabiliser la carte démographique du pays en contribuant à maintenir sur place la population des communes rurales et celle des petits centres urbains, en lui offrant de l’emploi, de l’activité et des sources de revenus pérennes.
L’ancrage térritorial et la régionalisation
Fort de cet ancrage territorial, ce Département croit fermement que la solution à la régionalisation viendrait de l’agriculture. C’est en tout cas, la leçon que veut donner M. Akhannouch à ses collègues du Gouvernement. Pour lui, les problèmes que rencontrent les régions ne sont pas seulement juridiques ou institutionnels. Ils sont liés à la manière dont sont conduites les stratégies sectorielles et qui pour l’instant, sont fortement marquées par le centralisme. Si chaque ministère régionalise ses programmes et ses structures, le Maroc fera un grand bond an avant, en cassant les chaînes du centralisme et en libérant les initiatives locales.
Rappelons à cet égard, que la régionalisation est un outil organisationnel qui permet d’aboutir à la bonne gouvernance territoriale. La régionalisation élargie vise à corriger les travers du centralisme, d’élargir les niveaux de participation et d’enclencher un cercle vertueux : plus les élites locales participent à l’élaboration des stratégies sectorielles, plus elles adhèrent à ces stratégies et plus ces stratégies répondent à des besoins réels et auront des effets bénéfiques sur les populations concernées. La régionalisation contribue ainsi à une meilleure performance économique. Elle devient un outil pour rendre plus efficientes les stratégies sectorielles et permet de réduire le décalage entre les programmes nationaux et les réalités sur le terrain. En donnant l’initiative à l’échelon régional, on se donne les moyens pour mobiliser les potentialités de chacun, pour se mettre à l’écoute des besoins de chaque échelon administratif et pour mieux exploiter toutes les niches économiques locales. Ainsi, le développement de la régionalisation permet de remobiliser les élites régionales (économiques, politiques et culturelles), de les faire sortir de l’attentisme, de la passivité où elles se trouvent aujourd’hui et de leur redonner l’initiative dans le processus du développement régional et national.
C’est dans cette perspective, que le ministre de l’Agriculture et de la pêche maritime, Aziz Akhannouch a appelé à la mise en œuvre de plans verts régionaux dont son ministère pourrait assurer la coordination. Pour le ministre, «le Plan Maroc Vert qui a déjà changé l’agriculture marocaine» peut contribuer à donner un contenu concret à la régionalisation. Son Département s’est dit ouvert à la décentralisation et à la déconcentration de la gestion des projets lancés dans le cadre de cette stratégie.
Pour le ministre, cette volonté de régionaliser le Plan Maroc Vert marque un tournant dans la politique agricole. Jusqu’à présent, la nécessité de promouvoir une agriculture moderne et compétitive a nécessité l’intervention massive de l’Etat pour mettre en place les infrastructures nécessaires (barrages, équipements hydro-agricoles, canalisations, remembrement des terres…) encadrer les agriculteurs et pallier les insuffisances du secteur privé. Actuellement, le Plan Maroc Vert a atteint un niveau de maturité qui lui permet d’opérer une mutation en profondeur de ses modes de gestion. L’implication des collectivités territoriales dans la mise en œuvre de Plans Verts régionaux permettra d’assurer une plus grande adhésion des opérateurs locaux aux objectifs globaux. La nouvelle stratégie s’appuiera sur la nouvelle génération d’agriculteurs constituée d’entreprises privées modernes animées par des jeunes agronomes et de présidents de Chambres professionnelles qui veulent développer avec l’Etat de nouveaux rapports fondés non pas sur la tutelle et la subvention, mais sur le contrat, le partage des risques, des avantages et des responsabilités.
Pour concrétiser cette nouvelle orientation, le ministère de l’Agriculture sera appelé à revoir le mode de fonctionnement de ses institutions locales (ORMVA, Directions provinciales de l’Agriculture, associations des usagers de l’Eau, chambres d’agriculture) pour les inscrire dans le cadre de la régionalisation avancée et promouvoir avec le Conseil régional une cogestion des plans verts régionaux.