Coronavirus : ce que le Maroc a réussi
Au Maroc, la propagation du nouveau Coronavirus a pu être maîtrisée. Le modèle de riposte marocain a ainsi été érigé en exemple hors des frontières du pays. Comment le Maroc a réussi, jusque là, à dompter la Covid-19 ? Quelles sont les clés de cette réussite ? Round-up.
France, Portugal, Espagne, Italie, Allemagne, … Les masques «made in Morocco» pour se protéger du Coronavirus, sont en train d’être exportés partout dans le monde. En l’espace d’un peu plus de deux semaines (du 21 mai 2020 au 8 juin), ce sont plus de 18 millions d’unités qui ont été expédiées par 69 entreprises vers 11 pays répartis sur les quatre continents. Une véritable prouesse industrielle. Mais avant d’autoriser l’exportation de ce produit devenu vital, le Maroc a pris soin de se constituer un stock stratégique : 50 millions de masques non tissés, sortis des chaînes de production locale. Depuis, le Royaume est sur la liste des pays avec lesquels il entretenait jusque-là peu d’échanges commerciaux. Voici également que le Royaume est érigé en « exemple dans la lutte contre la pandémie du Coronavirus », qui a déjà fauché plus de 404.000 habitants de la planète (6% des 7,04 millions de cas déclarés). En France où l’on était confronté à un manque criant de masques de protection, par exemple, le Maroc s’est invité dans les débats politiques sur le Coronavirus. Dans l’hexagone comme ailleurs dans le monde, plusieurs médias dans le monde également, ont consacré, durant le mois d’avril, des articles traitant de l’approche adoptée par le Maroc pour faire face à la pandémie. Ils sont quasiment unanimes pour dire que le Maroc a mieux géré la crise sanitaire de la Covid-19 que la France prise seule, ou l’ensemble France, Italie et Espagne, pays industriels à hauts revenus, avec un système sanitaire performant. Comment le Maroc a-t-il procédé pour affronter cette crise sanitaire ?
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Signe particulier de la pandémie au Maroc, à la date du 15 mai dernier, il y avait un peu plus de deux fois plus de Marocains décédés du nouveau Coronavirus en Europe, qu’au Royaume actuellement. Alors que le Maroc a enregistré 211 décès à la date de ce mercredi 10 juin, le nombre de décès dans les rangs des Marocains du monde par la Covid-19, selon Nezha El Ouafi, ministre déléguée, chargée des Marocains résidant à l’Étranger (MRE), avait déjà atteint 440 personnes. Les pouvoirs publics ont en effet anticipé sur les ravages possibles de la crise et stimulé un élan national, donnant un exemple de politique publique qui dépasse largement le seul cadre du continent. « Le Maroc était déjà préparé à ce genre d’épidémie. Le SRAS en 2002-2003, Ebola, la grippe H1N1 étaient des répétitions qui avaient permis au Royaume de se doter d’un plan de riposte qu’il a suffi d’adapter à la crise du Coronavirus. Autrement dit, le plan de riposte existe au ministère de la Santé. Il s’agit d’un plan générique qui était donc déjà prêt depuis 2002-2003 et qui peut servir pour n’importe quelle épidémie», souligne Pr Kamal Marhoum El Filali, Chef de service des maladies infectieuses au CHU Ibn Rochd de Casablanca (voir témoignage).
Des mesures prises précocement
Quoi qu’il en soit, dix jours après l’apparition le 4 mars du premier cas de Coronavirus chez un Marocain venant d’Italie, les frontières et les écoles ont été fermées, et un confinement décrété le 20 mars, en même temps que l’état d’urgence sanitaire. Les personnels de santé ne rentrent plus chez eux depuis le 25 mars, mais logent à l’hôtel. 570 unités hôtelières et centres d’hébergement ont été mobilisés par les autorités locales. La capacité d’accueil est de près de 32.000 lits avec une mobilisation au profit des cadres de la santé, des cadres et auxiliaires de l’État intervenant dans la gestion de la crise de la Covid-19, ainsi qu’au profit de quelques patients et personnes contact. Depuis le 7 avril, le port du masque est obligatoire. Après une semaine de production, un premier lot de 5,3 millions de masques a été acheminé vers les commerces de proximité pour être vendu au prix unitaire de 0,80 dirham, fixé par décret car subventionné par le fonds de lutte contre le Coronavirus. L’on retiendra l’image forte : la photo du Souverain portant un masque de protection, lors de l’audience consacrée à la nomination de deux nouveaux responsables gouvernementaux, est plus que symbolique. Et bien évidemment, le Chef du gouvernement Saâdeddine El Omani et ses deux ministres reçus au palais royal, se conforment eux aussi à ce geste barrière. Alors que les grandes villes désinfectent les rues, ce que des résidents dans les quartiers populaires entreprennent aussi de faire eux-mêmes, le ministère de la Santé a décidé de traiter les patients à la chloroquine et l’hydroxy chloroquine. Sans polémique, les professionnels de la santé ont défendu la mesure. Alors que se multiplient les essais cliniques pour trouver un remède contre la Covid-19, le ministère de la Santé a acheté au groupe pharmaceutique français Sanofi au Maroc, tous les stocks des médicaments à base de chloroquine. Et vu les effets positifs sur les patients traités selon le protocole à base de chloroquine adopté par le comité scientifique, le ministère de la Santé a acté, le 8 avril, le démarrage du traitement à la chloroquine et le contrôle de guérison chez les patients de Covid-19. En plus, la tutelle a autorisé ce traitement pour les cas possibles de Covid-19 symptomatiques, sans attendre les résultats de virologie, et tout en envisageant l’arrêt du traitement si le test s’avère négatif. Même lorsque l’OMS a suspendu les essais suite à la publication d’une étude dans «The Lancet», une revue respectée dans le domaine de la recherche scientifique, qui souligne le risque de décès associé à ce traitement, le Maroc, qui a généralisé le traitement à la chloroquine, n’a pas changé son protocole de traitement. En ce moment là (26 mai 2020, à 10H), sur les 7.556 cas de Covid-19 recensés dans le Royaume, 4.841 sont guéris en suivant le protocole à la chloroquine. Les autres étaient en cours de traitement. D’ailleurs, l’OMS annoncera quelques jours plus tard, la reprise des essais cliniques sur l’hydroxy chloroquine, après le discrédit jeté sur l’étude parue dans la revue « The Lancet ». Après la réquisition de la nivaquine, le Maroc devait trouver une solution pour les tests, dont le nombre ne dépassait pas 2.000 par jour au début de la crise, dans seulement trois laboratoires. Mais au fil des semaines, le ministère de la Santé augmente le rythme. Actuellement, le Royaume effectue 17.500 tests PCR par jour au niveau de 24 laboratoires nationaux. Ce nombre va considérablement augmenter dans les prochains jours suite aux Hautes instructions Royales, ordonnant à la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM), de coordonner, en partenariat avec le Ministère de la Santé et le Ministère de l’Intérieur, une très large campagne de dépistage du COVID-19 auprès des employés du secteur privé. Bien avant cela, c’est la mécanique des mesures économiques qui a été mise en branle sans tarder : plus de 800.000 salariés du secteur formel ayant perdu leur emploi ou se trouvant en cessation d’activité, ont commencé à toucher une indemnité. Les ménages peuvent par ailleurs demander à leur banque le report des échéances de leurs crédits, immobilier ou à la consommation. Les travailleurs du secteur informel identifiés via le Régime d’assistance médicale (RAMED), bénéficient également d’une aide en fonction de la taille des ménages. Côté entreprises, entre autres mesures, un moratoire a été décidé sur les crédits et le leasing, et une ligne de crédit de fonctionnement dénommée Damane Oxygène a été instaurée le 26 mars, avec la garantie de l’État, pour assurer le fonds de roulement des entreprises et leur permettre de payer les salaires. Et pour piloter et financer tout cela, un Comité de veille (CVE) a été mis en place le 11 mars, sous la tutelle du ministère de l’Economie et des finances. Il réunit les ministères clés (Intérieur, Affaires étrangères, Agriculture, Santé, Industrie, Tourisme et transport, Travail), Bank Al Maghrib et la CGEM. Parallèlement, un Fonds spécial pour la gestion de la pandémie du Coronavirus a été lancé dès le 15 mars, alors que le pays ne comptait que 28 cas et un seul décès. Ouvert aux contributions de tous, citoyens, entreprises, acteurs publics et partenaires au développement, il a été ordonné par le Souverain. Le montant global collecté a atteint 32,2 milliards de DH à fin avril, selon la Trésorerie générale du Royaume (TGR). Depuis, il prend en charge les dépenses de mise à niveau du dispositif médical, soutient l’économie nationale pour faire face aux chocs induits par cette pandémie et préserve les emplois et atténue les répercussions sociales de la pandémie.
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Aujourd’hui, pour de nombreux observateurs, «l’exception marocaine» porte surtout sur la célérité de sa prise de décision politique. « Le Maroc est un cas d’école intéressant. Il a décidé de façon extrêmement rapide, contrairement à d’autres pays européens ou nord-américains qui ont plus de moyens, d’agir très vite », estime Pr Jaâfar Heikel, épidémiologiste et infectiologue, expert International et Directeur général de la clinique de Vinci à Casablanca.
La phase la plus compliquée
Il faut dire que grâce à toutes ces mesures prises précocement, la courbe d’évolution de l’épidémie ne monte pas trop haut. Selon Pr Kamal Marhoum El Filali, « cela a permis d’avoir un nombre de cas quotidiens n’ayant jamais dépassé les 280, pic enregistré le 17 avril, mais depuis, le nombre de cas a diminué ». Ce jeudi 11 juin à 18h, le Maroc a recensé 29 nouveaux cas de Covid-19, ce qui porte le total à 8.537 cas confirmés depuis l’apparition de la pandémie. 18 nouvelles guérisons ont été enregistrées, ce qui porte le total à 7.583 avec un taux de rémission de 88,8%. Le nombre de décès se chiffre à 211, aucun nouveau cas n’étant recensé durant les dernières 24H. Le taux de létalité est de 2,5%, c’est-à-dire que 2,5% des personnes ayant contracté la Covid-19 au Maroc sont décédées. Quant au nombre de cas actifs (en cours de traitement), il n’est donc que de 743 cas. «Le Maroc est dans la bonne voie. Le taux de guérison est très élevé et tout cela grâce aux décisions proactives que le gouvernement avait prises. Le Maroc a bien géré la situation, il est devenu un exemple à l’échelle mondiale dans la gestion de cette crise sanitaire», analyse Sara Bellali, membre de l’équipe du Pr Didier Raoult à l’Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) de Marseille. Des résultats encourageants qui ont poussé le gouvernement à entamer ce jeudi 11 juin, son plan d’allègement du confinement au Maroc. Des mesures qui divisent le Royaume en deux zones : une zone 1 où la vie reprendra pratiquement son cours normal, et une zone 2 où un confinement qui ne dit pas son nom, restera de vigueur pour encore quelques semaines. Si la majorité des Marocains attendaient plutôt un plan de déconfinement suite à de tels résultats, l’Exécutif préfère jouer la prudence. C’est dire que si le Maroc a certes gagné la première mi-temps de son match contre le Coronavirus, il lui reste à en faire autant en seconde partie, celle du déconfinement progressif et de la relance économique qui lui permettra d’éviter un marasme social.
PR KAMAL MARHOUM EL FILALI, CHEF DE SERVICE DES MALADIES INFECTIEUSES AU CHU IBN ROCHD DE CASABLANCA
« 4 éléments clés ont été déterminants dans la réussite du Maroc dans la lutte contre le Coronavirus«
La maîtrise de l’épidémie a été relativement rapide, parce que le pays a eu la chance de prendre des décisions courageuses très tôt. Parmi ces décisions, la fermeture des frontières. Je crois que cela à mon sens a été un élément capital, parce que les premiers cas enregistrés au Maroc étaient tous des cas d’importation. Si on avait laissé les frontières ouvertes, on aurait eu jour après jour, de plus en plus de personnes qui arrivent et qui se mélangent avec la population. Après, il aurait été plus difficile de maîtriser la situation. Heureusement que les frontières ont été fermées très vite et ainsi, nous avons pu maîtriser facilement les cas importés. Ensuite, on s’y attendait bien sûr, ces cas importés ont contaminé d’autres personnes dans la population. Cela a été le début de la vraie contamination maroco-marocaine. Quand elle a démarré on n’a pas eu à ce moment-là, à la maîtriser à son tour, parce qu’on était en phase 1 de l’épidémie, on voyait très bien qui était le contaminateur et on demandait lors des tests, les personnes qui étaient en contact. Cela a permis de prendre en charge un certain nombre de personnes. Le deuxième élément capital, est que le Maroc était déjà préparé à ce genre d’épidémie. Le SRAS en 2002-2003, Ebola, la grippe H1N1 étaient des répétitions qui avaient permis au Royaume de se doter d’un plan de riposte. Autrement dit, le plan de riposte existe au ministère de la Santé. Il s’agit d’un plan générique qui était donc déjà prêt depuis 2002-2003 et qui peut servir pour n’importe quelle épidémie. Il suffit de le réactiver en l’adaptant à la situation spécifique avec une riposte immédiate et une activation de tous les systèmes de coordination. En fait, il ne faut pas oublier que pour le déploiement d’un tel plan, il n’y a pas que le département de la santé, il faut une coordination avec tous les ministères, en particulier le ministère de l’Intérieur. A mon sens, l’existence de ce plan de riposte a beaucoup aidé le Maroc. La troisième chose, est que le confinement a été décidé très rapidement. Il a été très bien respecté au début et la population a joué le jeu. Il faut dire aussi, que le gouvernement a mis en place plusieurs mesures d’accompagnement qui permettent de supporter le confinement (aides financières…). Un quatrième point, dans le plan de riposte il y avait des décisions du ministère de la Santé, en particulier le protocole de prise en charge. C’est quelque chose de très important, parce que nous avons un ministère de la Santé qui a tranché très rapidement. Etant un médecin qui prend en charge des patients atteints du Coronavirus, je crois en ce choix porté vers la chloroquine. Je suis convaincu qu’il a participé à aider à maîtriser la situation. Je ne peux pas totalement affirmer qu’il y a participé tout seul. Cela peut être une conjonction de plusieurs choses, comme le climat ou la température…Toujours est-il que le combat n’est pas gagné. Il va falloir gérer maintenant les foyers de contamination.