Portrait

Coureur automobile et chef étoilé

On l’imagine plus en athlète qui brûle les pneus au Grand Prix de Monaco, que derrière les fourneaux. A 31 ans à peine, ce professionnel de l’hôtellerie de père en fils s’est déjà fait un nom dans la gastronomie à Paris et à Casablanca. Par Noréddine El Abbassi

Chef. Un mot magique, pour désigner un métier prenant, que l’on ne fait, qu’animé par la passion. Lorsque les clients sortent, c’est à dire qu’ils vont au restaurant, on est aux fourneaux, en train de gérer une équipe, à jongler avec des ingrédients et à concevoir des recettes, pour le bon plaisir et la satisfaction des autres. Ramzi El Bouab nous reçoit dans son établissement de la rue Taha Hussein. Murs blancs, pour coussins ébène sur écarlate. Oeuvre au noir, au blanc et au rouge, processus de transformation et de purification pour que la matière morte devienne pure sensation. Cette symbolique, il la tire de sa première expérience professionnelle auprès de Joël Rebuchon, le chef étoilé parisien.
La cuisine, c’est une sorte de filiation. Ramzi est né en 1984, à Casablanca où son père est déjà hôtelier. Lequel a toujours été le plus jeune, dans une fonction ou une autre. Il aura été le plus jeune Directeur Général de l’hôtel Casablanca, lorsque ce dernier était le seul établissement de la ville qui résistait. Ce sera aussi à la tête de la Direction Générale de la Mamounia, quand il n’a que 23 ans à peine.
Ramzi est d’une famille de deux enfants seulement, dont il est le frère cadet d’une soeur aînée. C’est dans le quartier paisible de l’Oasis qu’ il coule des jours heureux. «Nous habitions dans une impasse et l’école Ernest Renan était à proximité. Nous formions avec les enfants du quartier une communauté soudée, de différentes origines,» explique-t-il, en reconnaissant sa chance. De par la fonction du père, le jeune Ramzi «grandira» dans les couloirs d’hôtel. Ses amis sont alors concierge, serveurs et autres employés de l’hôtel. Ses «nounous», comme il aime à les désigner. «C’était mon univers. Peut-être que cela m’a marqué», confie-t-il. Il est alors scolarisé à la Mission Française. C’est vers 11 ans qu’il découvre sa passion, nous dira-t-il.

Les passions se transmettent

Filiation encore. Son père est fan de sport automobile, et dès ses 11 années, Ramzi commence à user les pneus sur les pistes de karting. Rapidement, il devient professionnel et concourt aux championnats, une équipe derrière lui et son propre kart à disposition. «C’était original pour l’époque. Lorsqu’on fait des sports automobile, il faut tout de même avoir de la condition physique, pour tenir, et rester en «forme» pour rentrer dans le cockpit», explique-t-il. Il est vrai qu’avec son physique de jeune premier, athlétique, jeune et plein d’allant, il tranche curieusement avec l’image du «cuistot» bedonnant et aux joues rougies. Dans son établissement, il arbore toujours son costume de salle, noir à liseré rouge, avec son prénom brodé sur la poitrine.
Ramzi passe une scolarité sans problème, et après un Bac STT, il s’envole pour Paris. Déjà, il doit faire un choix: «plus jeune, je voyais ma vie dans les sports automobile. Mais décrocher des sponsors pour rouler est difficile. Il aurait fallu passer 3 à 4 années à s’autofinancer sa propre voiture et sa propre équipe», analyse-t-il. Retour à la réalité. Il se réoriente vers un métier, celui de son père et intègre l’Ecole d’hôtellerie parisienne (EHP) pour un BTS en hôtellerie. C’est là qu’il découvre la cuisine. Rapidement, cela devient son cours préféré, et chaque semaine, il attend, avec impatience, l’occasion de passer derrière les fourneaux. Son orientation est claire et sa détermination sans faille : il sera chef cuisinier. Dès la fin de ses études, il entre à l’école Grégoire Ferrandi, l’école supérieure de cuisine française par excellence. Autrement connue comme le «Harvard de la cuisine française».

Formation «aux pieds des maîtres»

«Le test d’admission était difficile. Nous étions 250 candidats pour 11 places. L’un de mes examinateurs était un primé «meilleur ouvrier de France», et évidemment j’étais intimidé face à lui. Au final, j’ai été le premier marocain à être admis dans cette école», se remémore-t-il. Commencent alors trois années de travail assidu. En cuisine, la formation ressemble à une organisation militaire, et apprendre signifie «faire ses classes». D’ailleurs, Ramzi ne cesse d’en parler comme d’un «bataillon». On imagine volontiers la vie en cuisine au moment du «coup de feu» comme une armée sur le pied de guerre. Ses encadrants sont durs, mais il ne se laisse pas décourager. «C’est un métier très strict, avec beaucoup de discipline. Par l’expérience, on apprend à donner un ordre ferme, mais sans être blessant. De toutes les manières, c’est un environnement où, si l’on n’est pas passionné, on décroche au bout de deux jours», temporise-t-il.
Pendant sa formation, Ramzi passe 6 mois en cours, et 6 mois en cuisine. La première année, c’est au Hilton de Dunkeld (Ecosse) qu’il passera son premier stage, auprès d’un chef, qui a fait montre de son savoir en classe. L’année suivante, c’est auprès de Joël Robuchon qu’il fait ses classes. L’expérience sera probante et on lui propose de revenir après la fin de son cursus. Le stage suivant se fera auprès d’un monument de la cuisine française, Michel Guerrard. Une grande figure, au même titre que Paul Baucus, avec trois étoiles au guide Michelin depuis une trentaine d’années.

Une étoile et trois fourchettes d’or

Nous sommes en 2006 lorsque Ramzi rejoint le restaurant de Joël Robuchon, l’Atelier. Là, il sera commis de cuisine, puis demi chef de parti avant de devenir chef de parti. Progression constante, puisqu’il apprend les arcanes du métier dans un restaurant qui a deux étoiles au Guide Michelin. Tout naturellement, lorsque Robuchon ouvre un nouvel établissement à Londres, il fait appel à Ramzi pour l’ouverture. Il passera une année dans la capitale anglaise. Le restaurant obtient une étoile au bout de quelques mois, et Ramzi rentre à Paris.
Nouveau virage, en 2009. Un ami lui propose de rejoindre son établissement, L’Agapée. Le restaurant propose des produits bio, venus des potagers d’un grand chef français. «On ne se réveille pas un matin en se disant que l’on va obtenir une étoile au Guide Michelin demain. On travaille constamment, et surtout on sait qu’on n’a pas droit à l’erreur», dévoile-t-il, soudain animé par une fermeté et une énergie que l’on ne soupçonnait pas, sous ses dehors avenants et ses manières simples. Au bout de 9 mois, le restaurant est distingué. Ramzi est alors chef en titre, et de ce fait intègre le club restreint des chefs marocains étoilés.
2011 sera l’année décisive. «J’avais deux choix qui se sont présentés. D’une part, je pouvais devenir associé dans un restaurant à Miami (USA), ou rentrer au Maroc. Or, mon père voulait ouvrir un restaurant depuis quelques années déjà, et ma famille me manquait. Si je partais, ce serait pour 10 années encore. J’ai donc fait le choix de rentrer», expose-t-il. Ce sera le début du Bistrot Chic. Depuis, il officie comme chef multitâche pour proposer une cuisine française de bistrot classique et des créations personnelles. La reconnaissance locale sera au rendez-vous. Depuis deux années, le restaurant de la rue Galilée a obtenu trois Fourchettes d’or au Maroc. La cuisine est un processus de transmutation, et dans un sens, Ramzi est arrivé à l’essence de la chose.

BIO EXPRESS

1984: naissance à Casablanca
2002: Bac STT au Lycée Lyautey
2005: BTS en hôtellerie à l’école d’hôtellerie parisienne
2008: diplôme de l’Ecole supérieure de cuisine française Grégoire Ferrandi entrée à l’Atelier de Joël Robuchon
2009: chef cuisiner à l’Agapée
2010: 1 étoile au Guide Michelin
2011: fonde le Bistrot Chic

 
Article précédent

Josoor 2016 : pont entre l'IT égyptien et l'IT marocain

Article suivant

Assurance agricole : Face à la polémique, SAHAM Assurance suspend l’offre « Taamine Al Mahsol »