Covid-19 : qui sont ces « nouveaux pauvres » ?
Les dernières projections de la Banque mondiale sont catégoriques : la pandémie de Covid-19 et la crise économique qui en découle risquent de faire basculer dans l’extrême pauvreté entre 71 et 100 millions de personnes. Au Maroc, la crise pourrait faire basculer 1 million de personnes dans la pauvreté, selon le HCP. Carolina Sánchez-Páramo, Directrice mondiale de la Banque mondiale pour la pauvreté, il est indispensable de cerner qui sont ces « nouveaux pauvres ». Qui sont-ils ?
Le monde traverse une crise sans précédent, qui a pour cœur une urgence planétaire de santé publique dont l’ampleur n’a pas connu d’égale depuis un siècle. Alors même que les pauvres et les groupes vulnérables sont davantage exposés au virus, ils sont aussi les plus durement touchés par les effets néfastes des mesures prises pour le maîtriser. A en croire les dernières projections de la Banque mondiale, la pandémie de COVID-19 et la crise économique qui en découle risquent de faire basculer dans l’extrême pauvreté entre 71 et 100 millions de personnes.
Au Maroc, la proportion de personnes «vulnérables à la pauvreté» ou «pauvres» pourrait passer de 17,1% de la population en 2019 à environ 19,87% en 2020, selon le Haut Commissariat au Plan (HCP). Pour Carolina Sánchez-Páramo, Directrice mondiale de la Banque mondiale pour la pauvreté, en raison de la crise économique et sociale déclenchée par la pandémie de Covid-19, il est surtout important de cerner qui sont les « nouveaux pauvres ». Sur la plateforme de blogs de la Banque mondiale et dans la rubrique « Opinions », la responsable de l’institution de Bretton Woods en charge de la pauvreté, estime que pour « leur venir en aide efficacement, il est indispensable de cerner qui sont ces populations, où elles vivent, le type d’activité qu’elles exercent et la manière dont elles subissent les effets de la crise ». Encore, faudrait-il les identifier et les caractériser ?
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Alors que les projections établies avant le coronavirus prédisaient une baisse de la proportion de pauvres dans le monde, celle-ci est désormais appelée à augmenter, relève la Directrice mondiale de la Banque mondiale pour la pauvreté qui répartit la population des nouveaux pauvres en deux catégories de personnes : celles qui auraient dû sortir de la pauvreté en l’absence de la pandémie et celles qui basculeront dans la pauvreté à cause de la pandémie. Et de préciser que c’est dans les villes que résideront probablement une grande partie des nouveaux pauvres. Il faut dire que les mesures strictes de confinement ont entraîné l’arrêt d’une grande partie de l’activité économique dans les zones urbaines, privant de leurs moyens de subsistance, pratiquement du jour au lendemain, de nombreux citadins pauvres et vulnérables. Carolina Sánchez-Páramo, citant les travaux de la Banque mondiale sur la question, souligne que 30 % des nouveaux pauvres dans le monde vivront en milieu urbain, contre un taux de 20 % parmi ceux qui sont déjà pauvres. « Ils auront probablement un profil sensiblement différent par rapport à ces derniers, qui sont en général concentrés dans les zones rurales. Parmi eux, les adultes en âge de travailler sont plus susceptibles d’exercer une activité non agricole, avec un taux moyen de 44 % de l’emploi total, contre 32 % chez ceux qui sont déjà pauvres, et des écarts particulièrement marqués dans le secteur manufacturier (7,3 % contre 4,7 %) et la construction (6 % contre 2,8 %) », fait-elle constater. Et d’ajouter par ailleurs, que les nouveaux pauvres occupent aussi plus souvent un emploi rémunéré (30,7 % contre 17 % de l’emploi total) et sont moins susceptibles de travailler à leur compte (39,7 % contre 45,6 %) ou dans le cadre d’une entreprise familiale (20,3 % contre 27,4 %).
Autre constat relevé par la Directrice mondiale de la Banque mondiale pour la pauvreté : la proportion d’adultes en âge de travailler qui a fait des études secondaires ou supérieures est plus élevée chez les nouveaux pauvres, ce qui semble assez logique étant donné que les niveaux d’instruction ne sont généralement pas les mêmes entre zones urbaines et rurales. Est-ce à dire que les zones rurales ne seront pas touchées ?
Pour Carolina Sánchez-Páramo, les zones rurales connaîtront progressivement une détérioration des conditions de vie, y compris parmi ceux qui vivent déjà dans la pauvreté. Selon elle, pendant que les restrictions de déplacements se ressentent de plus en plus sur les activités agricoles et non agricoles et sur l’accès aux marchés dans les campagnes, les pauvres des zones rurales risquent de subir d’importantes pertes de revenus. A noter également, que de nombreux facteurs contribuent à une aggravation et une expansion de la pauvreté rurale. Parmi ceux-ci, on peut noter le fait que beaucoup de communautés rurales sont confrontées à des retours massifs de migrants alors qu’elles ont déjà du mal à se procurer de la nourriture et des produits essentiels.
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Aux yeux de Carolina Sánchez-Páramo, tous ces facteurs expliquent pourquoi, en dépit du fait qu’une grande partie des nouveaux pauvres se trouvera probablement dans les villes, une proportion significative d’entre eux travaillera dans l’agriculture (56,6 % de l’emploi total) ou dans une entreprise familiale (20,3 %), notant au passage que ces deux activités étant courantes en milieu rural et corrélées à des niveaux de vulnérabilité plus élevés à la pauvreté. Quelle solution alors pour protéger les ménages contre les répercussions de la pandémie ? « Il faudra impérativement mettre en place des politiques et des programmes qui viennent en aide à la fois à ceux qui vivent déjà dans la pauvreté et aux nouveaux pauvres. Ces deux groupes présentant des caractéristiques différentes, il est indispensable d’adapter les dispositifs de filets sociaux en recourant à des mécanismes de ciblage et de mise en œuvre innovants qui permettent d’apporter des aides à tous les pauvres, actuels et nouveaux, tout en favorisant une reprise économique qui intègre les travailleurs du secteur informel dans les zones rurales comme urbaines », recommande la Directrice mondiale de la Banque mondiale pour la pauvreté.