Crowdfunding : fin du monopole des banques ?
Crédit. Appelé également financement participatif (ou financement par la foule) est un phénomène ancien ; mais grâce aux nouvelles technologies de l’information, il connaît depuis quelques années un essor extraordinaire. C’est un mode de financement de projets qui déroge au système classique des banques en permettant aux investisseurs de lever des fonds auprès d’un grand nombre de personnes qui ne sont pas toujours animées par la recherche du gain. Les projets financés touchent tous les domaines ; cinéma, technologie, politique, musique et autres. Si les chiffres du crowdfunding restent modestes, la progression de son taux de croissance à travers le monde retient l’attention des professionnels, du grand public et aussi des pouvoirs publics qui tentent de l’encadrer sur le plan juridique. par CHENTOUF ABDEL HAFID
S
i l’activité bancaire figure parmi les secteurs qui ont bien profité de la révolution technologique, il n’en demeure pas vrai que les nouvelles technologies vont accélérer l’érosion des monopoles dont bénéficient les banques depuis très longtemps. En effet, grâce aux apports des nouvelles technologies, les banques n’ont plus le monopole en matière de gestion des moyens de paiement, d’autres acteurs appelés « établissements de paiement » sont venus les concurrencer sur ce terrain. En matière de crédit, un nouveau mode de financement désintermédié, connu sous le nom de «crowdfunding », se développe à travers le monde et dispose de nombreux atouts pour livrer une concurrence acharnée aux banques classiques. Mais tout d’abord, qu’est-ce que le crowdfundig ?
Le crowdfundig est une appellation anglaise composée de deux mots ; crowd (foule) et fundig (financement) ; c’est donc le financement de projets par la foule, c’est-à-dire par un grand nombre de participants. Ce phénomène est très ancien et il a existé dans toutes les sociétés. La société marocaine, connue par la solidarité entre ses membres (région, tribu, quartier, famille…..) est un terrain propice au développement du crowdfunding moderne. De nombreux projets sont réalisés grâce au concours volontaire des personnes qui trouvent dans leur concrétisation une satisfaction personnelle souvent non matérielle ; construction d’une route rurale, d’une mosquée, d’une école, d’un centre de soins médicaux, creusement d’un puits, équipement d’un orphelinat, réhabilitation d’un réseau d’irrigation etc.
De nos jours, le crowdfundig connaît un véritable engouement au niveau international grâce au développement de l’internet et des réseaux sociaux qui facilitent la mise en relation entre les porteurs de projets et les épargnants. Son succès s’explique aussi par les difficultés rencontrées par les porteurs de projets, notamment les plus jeunes d’entre eux, pour lever les financements auprès des banques. Ces dernières, compte tenu des règles prudentielles imposées par les régulateurs et aussi des exigences des actionnaires qui réclament plus de dividendes, ne disposent pas toujours d’assez de marge pour prendre des risques en finançant des projets porteurs en termes de créativité et d’innovation.
Comment fonctionne le crowdfunding ?
Comme il a été déjà dit, le crowdfunding est un mode de financement alternatif qui se fait en dehors des circuits classiques des banques. La rencontre entre l’ «épargnant » et le porteur du projet se fait par le canal d’internet sur des plateformes spécialement dédiées. Le porteur du projet expose son idée et l’épargnant choisit le projet qui l’intéresse soit pour des raisons financières, soit pour des raisons purement personnelles ; le gain n’est pas toujours l’objectif recherché ; l’investisseur peut être guidé par l’intérêt artistique, social, environnemental que présente le projet.
Utilisé au départ, notamment par les artistes (musiciens, cinéastes etc.) pour financer des projets qui butent sur le financement dans le cadre des circuits classiques, le crowdfunding profitant de l’essor des nouvelles technologies de communication, est devenu un mode de financement qui intéresse à la fois les particuliers et les entreprises. Pour les investisseurs, le crowdfunding présente l’avantage de la simplicité et de la rapidité pour lever les fonds nécessaires à la réalisation de leurs projets. Le schéma est simple ; le porteur du projet présente son idée à partir d’une plateforme de crowdfunding ; il fixe trois indicateurs : le montant de la collecte, la durée de la collecte, (généralement courte) et les contreparties liées aux contributions (avantage en nature, intérêts, ou titres de participation).Si le projet atteint son objectif en termes de collecte, la plateforme reverse le montant au porteur du projet qui peut entamer immédiatement la réalisation de son investissement. Dans le cas contraire, les contributions sont reversées aux participants. Le site ne donne pas de garantie aux participants quant à l’aboutissement des projets ; les contributeurs sont invités à faire leur propre appréciation des projets avant de prendre leurs décisions.
La participation des investisseurs peut revêtir trois formes : le don, la participation aux fonds propres ou le prêt. Le don ne donne pas droit à une rémunération et quand elle existe, elle est purement symbolique comme par exemple le billet d’entrée au spectacle lorsque le projet porte par exemple sur la production d’un film. Par sa participation au projet, le donateur ne cherche pas à réaliser un gain, son intérêt est de voir aboutir le projet auquel il participe. Quant à la participation aux fonds propres (equity crowdfunding), la rémunération se fait par le paiement de dividendes ou l’encaissement de plus values en cas de cession de titres. S’agissant du prêt (crowdlending), la participation de l’internaute prend la forme d’un prêt avec ou sans intérêt.
Quel encadrement juridique pour le crowdfunding ?
Depuis le début des années 2000, le crowdfunding se pratique et se développe en dehors de tout encadrement juridique. Conscients de l’importance de ce phénomène, les Etats commencent à l’encadrer sur le plan juridique afin d’en faire un outil de financement des start-ups dans le domaine de l’innovation et de la créativité ; deux pays sont précurseurs en la matière; les Etats -Unis et la France.
A l’effet d’encourager le crowdfunding considéré comme un « canal important pour le financement des PME et des start- ups », le gouvernement français a adopté une ordonnance le 30 mai 2014 .En introduisant cette réglementation, la France joue un rôle précurseur en étant le premier pays européen à adopter un cadre juridique propre au crowdfunding.
Le régime juridique mis en place a pour but de faciliter le financement des PME et des start- ups à travers la sécurisation des intérêts des investisseurs et de préteurs de fonds. L’une des principales innovations de ce texte est la levée du monopole bancaire en matière de prêt ; les particuliers peuvent prêter des fonds via les plateformes de crowdfunding (crowdlending) dans la limite de plafonds qui sont arrêtés par voie réglementaire.
Afin de sécuriser les opérations de financement participatif, l’ordonnance prévoit deux statuts juridiques applicables aux plateformes de crowdfunding. Celui de « conseiller en investissement participatif » (CIP) auquel doivent se conformer les plateformes dédiées au financement des PME et des start-ups. Quant aux plateformes de prêts (avec ou sans intérêts), elles ont le statut d’ «intermédiaire en financement participatif» (IFP). Le but recherché à travers l’adoption d’un statut juridique spécifique aux acteurs du crowdfunding est de «crédibiliser ce mode de financement, de l’encadrer et d’encourager les investisseurs à financer des projets en disposant des informations et conseils nécessaires».
De l’autre côté de l’Atlantique, le Congrès américain a adopté en 2012 une loi connue sous le nom de JOBS Act (Jumpstart Our Business start-ups) ; le but recherché par les autorités américaines est de faciliter l’accès au financement pour les jeunes entrepreneurs en contrepartie de titres de propriété de l’entreprise (equity crowdfunding). A l’effet de bien protéger les investisseurs, les plateformes sont enregistrées auprès de la SEC et ont l’obligation de se conformer à un certain nombre de règles, notamment en matière d’information des épargnants sur les risques qu’ils courent en participant au financement des projets.
Le crowdfunding est un phénomène qui retient l’attention de tous les acteurs du monde de la finance (banques, fonds d’investissements, angels business……).Certains observateurs y voient la troisième révolution industrielle. Même les géants du Web s’y intéressent ; Google a déjà investi 125 millions de dollars dans une plateforme américaine de crowdfunding (Lending club, plateforme de crowdfunding valorisée à 3,8 milliards de dollars).
Concernant le Maroc, le crowdfunding n’a pas encore droit de cité même si des plateformes dédiées aux projets au Maroc ont déjà vu le jour à l’étranger. Son introduction exige certaines adaptations juridiques, notamment la refonte des textes régissant l’appel public à l’épargne, l’appel à la générosité publique qui est soumise à l’autorisation administrative et le crédit qui fait l’objet d’un monopole bancaire.