De la culture du secret à la culture de la transparence
Droit d’accès à l’information. Le gouvernement a adopté dans sa réunion du 31 juillet, le projet de loi relative au « droit à l’information » prévu par l’article 27 de la nouvelle Constitution. Ce texte, en instaurant le droit d’accès des citoyens aux informations détenues par les administrations publiques et les différents services de l’Etat, aura certainement pour effet d’imposer un changement de culture chez les fonctionnaires et le personnel des organismes publics habitués à travailler sous le voile du secret. par C.A.H
En paraphrasant la célèbre formule de l’astronaute américain Neil Armstrong après son arrivée sur la lune en 1969, on peut dire que ce projet de loi est un petit pas sur la voie de la bonne gouvernance, mais un grand pas dans le processus démocratique vu les retombées qu’il aura sur les relations entre les citoyens et l’administration publique.
Comme l’annonce la note de présentation du projet de Loi organique, ce texte intervient en application de la Constitution qui stipule dans son article 27 que «les citoyennes et les citoyens ont le droit d’accéder à l’information détenue par l’administration publique, les institutions élues et les organismes investis de mission publique». Elle rappelle également que le «droit d’accès à l’information» fait partie des droits et libertés fondamentales consacrés par la Constitution en conformité avec les engagements internationaux du Maroc notamment, la Déclaration Universelle des Droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention des Nations Unies contre la corruption. Le droit à l’information est présenté comme un facteur de « renforcement de la démocratie participative » par l’encouragement des citoyens à participer au contrôle de l’activité de l’administration publique et à la prise de décision. Il est considéré en même temps comme un moyen d’encouragement des investisseurs étrangers qui ont besoin « d’un climat garantissant le libre accès aux informations ayant trait à l’économie et au marché ».. Quelles sont donc les grandes lignes de ce projet ?
Le droit à l’information est érigé en droit fondamental
Le droit d’accès à l’information étant consacré par la Constitution de 2011 comme droit fondamental dans son titre II traitant des « libertés et droits fondamentaux » ; la diffusion de l’information devient une obligation à la charge de l’Etat, elle ne peut subir de limitations que dans les cas prévus par l’article 27 de la Constitution. Quant aux entités soumises au droit à l’information, il s’agit des administrations publiques, de la Chambre des Représentants, de la Chambre des Conseillers, des Collectivités territoriales, des établissements publics, des personnes morales de droit public et de tout organe investi d’une mission de service public. Les entreprises publiques qui sont en général des personnes morales de droit privé demeurent en dehors du champ d’application de la loi sur l’accès à l’information, sauf lorsqu’elles sont investies d’une mission de service public.
Quelle est la procédure d’accès à l’information ?
Les demandes d’accès à l’information sont adressées au « chef de l’administration concernée ». La demande doit préciser les informations demandées avec indication de son motif. Cette dernière condition ne concorde pas avec les meilleures pratiques internationales, selon lesquelles le citoyen n’est pas tenu de donner les raisons pour lesquelles il souhaite avoir accès à l’information. Le projet de loi durcit davantage cette condition en ajoutant que les informations reçues par le demandeur ne peuvent être utilisées que dans la limite de l’objet indiqué sur la demande. Leur exploitation pour une fin autre que celle indiquée initialement, expose le demandeur à des sanctions pénales.
Dans le but d’instaurer une bonne prise en charge des demandes d’information, le projet de loi prévoit que chaque administration doit désigner une personne comme « interlocuteur officiel du public » dont la mission est de recevoir les demandes, de les étudier et de communiquer les informations demandées. En instaurant un interlocuteur unique, l’administration publique se dote d’un système qui lui permettra de mieux maîtriser le flux de sortie des informations, du fait que seul l’ «interlocuteur officiel est habilité » à communiquer les informations. En effet, l’instauration du droit à l’information ne signifie nullement la suppression du secret professionnel. Au contraire, la sortie de l’information sera bien maîtrisée dans un cadre légal assurant à la fois la protection des fonctionnaires et l’égalité des citoyens en matière d’accès à l’information publique.
L’ « interlocuteur officiel du public » est tenu de répondre à la demande d’information dans un délai précis. Tout refus de communication des informations doit être dûment justifié par l’administration qui est tenue de préciser dans sa réponse l’exception invoquée pour motiver ledit refus. Le demandeur d’informations dispose d’un droit de recours auprès du chef de l’administration concernée, du Médiateur et en dernier lieu devant les instances judiciaires.
Quelles sont les limites du droit d’accès à l’information ?
L’article 27 de la Constitution stipule que « le droit à l’information ne peut être limité que par la loi ». Les exceptions au droit à l’information selon cet article ont « pour but d’assurer la protection de tout ce qui concerne la Défense nationale, la sécurité intérieure et extérieure de l’Etat, et la vie privée des personnes, de prévenir l’atteinte aux libertés et droits fondamentaux énoncés dans la présente Constitution, et de protéger les sources des informations et les domaines déterminés avec précision par la loi ». La lecture attentive de cette disposition permet de conclure que le droit à l’information sera assorti de deux types de limitations ; celles qui sont absolues du fait qu’elles sont figées dans le texte de la Constitution et celles qui seront ajoutées par loi au gré de la politique de l’Etat.
Publication proactive des informations
Le droit d’accès à l’information ne s’exerce pas uniquement sur demande ; le projet de loi prévoit un mécanisme de diffusion spontanée des informations par l’administration publique. Ainsi, les administrations et organismes publics, sont appelés à diffuser le maximum d’informations dont ils disposent par le biais de tous les moyens disponibles, notamment via leurs sites internet.
La publication proactive des informations publiques est une pratique qui se développe à travers le monde ; les gouvernements ont pris conscience de l’importance de l’information dans la création de la richesse et de la promotion de la culture démocratique. Les pays anglo-saxons sont très en avance dans ce domaine ; les britanniques ambitionnent, dans le cadre d’un vaste programme de réforme du secteur public, de « construire l’un des gouvernements les plus transparents au monde » par la mise en ligne généralisée des données publiques. Alors à quand une administration marocaine transparente ?