Demain de nouveaux distributeurs ?
Les opérateurs commercialisant des assurances sur le Web n’ont que deux ans d’expérience. La circulaire du 3 mars 2012 pose les jalons d’une réglementation, mais des questions demeurent.
Les salons se suivent et ne se ressemblent pas. Les différents espaces d’expositions casablancais sont aussi des lieux de mémoire de l’évolution de notre tissu industriel et des différentes innovations technologiques qui ont pu pénétrer nos modes de vie et se faire une place dans la somme des chiffres d’affaires des différentes entreprises marocaines . L’innovation technologique se conjugue chaque jour au présent et amène vers le marché de nouveaux acteurs et de nouvelles attitudes et valeurs. Même le panier de la ménagère est « e-commercialisé ». L’organisation du salon dédié à ce secteur d’activités est désormais une habitude . Celui de cette année a eu lieu à Casablanca du 19 au 21 septembre et a connu un grand succès comme en témoignent le nombre important de visiteurs et d’exposants (65) tous secteurs confondus.
Opérateurs du secteur des assurances… Où êtes-vous ?
Seul bémol , le secteur des assurances en tant qu’ acteur essentiel du paysage financier marocain, a brillé par son absence. En effet, aucune entreprise ni intermédiaire d’assurances n’étaient représentés.
Quelles explications pour se détourner de l’approche web dans la stratégie de vente de ces opérateurs ?
Quelles opportunités et bénéfices peuvent-ils tirer de cette nouvelle technologie tout en préservant leurs missions originelles de conseil et de service après-vente ?
Commercialiser l’assurance… toute une évolution
Il est utile de rappeler que le mode de commercialisation des produits d’assurances a connu trois évolutions majeures :
Au début, l’assurance était distribuée essentiellement par des agents et courtiers (réseaux avec intermédiaires) et par des salariés ((bureaux directs). Ce dernier mode, presque exclusivement pratiqué par les mutuelles, est justifié par des coûts de distribution moins élevés que ceux du réseau classique compte tenu de l’absence de commissionnement ;
Une seconde évolution importante a marqué les années 1980-1990 : celle de l’entrée en lice des banques avec une forte utilisation des techniques de marketing et de la relation client. C’est la percée de la bancassurance dans un secteur pendant longtemps chasse gardée des agents et courtiers ;
L’année 2010 a sonné la troisième évolution du paysage assurantiel :
En quelques années, internet est devenu un outil incontournable de la vie quotidienne. Le numérique a connu des développements considérables et a modifié un nombre important d’usages et de comportements dans notre vie professionnelle comme dans notre sphère privée ( réseaux sociaux, commerce électronique, dématérialisation des échanges, internet mobile, etc…). Conscient de cette prédominance du web dans les habitudes de consommation, certains des acteurs du secteur des assurances ont tenté d’effleurer cette révolution en développant des plateformes d’information et parfois de souscription en ligne. La démarche s’inscrit dans une logique de distribution multi-canals, simple et rapide pour élargir la clientèle.
Mettant en jeu un secteur aussi stratégique et surtout la vie de milliers d’assurés susceptibles de s’orienter pour l’achat de leurs couvertures d’assurances par ce canal, une réglementation de la vente à distance s’imposait : des textes juridiques sont, en effet, nécessaires pour conclure une transaction, par internet, dématérialiser les processus et documents contractuels en disposant d’un niveau de sécurisation conformes aux règles prudentielles et de droits applicables.
Les arnaques peuvent être dévastatrices.
C’est la circulaire du 9 Mars 2012 ( entrée en vigueur le 16 Avril de la même année) de la Direction des Assurances et de la Prévoyance Sociale (DAPS) du Ministère de l’Economie et des Finances qui a posé les premiers jalons d’un cadre juridique destiné à l’exploitation par les opérateurs du secteur des assurances de l’internet pour la fourniture à distance de leurs produits . Si ce texte, fait référence pour l’essentiel dans sa philosophie générale, aux différentes dispositions portant sur les contrats conclus à distance prévus par la loi 53-05 relatives à l’échange électronique de données juridiques et par la loi 31-08 édictant des mesures de protection des consommateurs (lois qui ont instauré les conditions nécessaires pour qu’un contrat conclu sous forme électronique soit valide), il s’est attelé à compléter cet arsenal juridique par le dispositif de contrôle des opérations d’assurances prévu par la loi 17-99 portant code des assurances et par ses textes d’application.
Il est important, pour se prémunir contre les risques d’arnaque, très nombreux sur la toile, que le consommateur soit au courant des règles prévues par la circulaire précitée et qui donnent, à notre sens une meilleure sécurisation des achats en e-assurance. En effet :
-Contrairement à plusieurs pays européens où les sites, dans ces domaines, foisonnent compte tenu de la liberté totale des services qui règnent dans ces espaces – même les hypermarchés proposent aujourd’hui ce genre de services- avec tous les risques que comporte ce système, la circulaire fixe de manière limitative les entités autorisées pour la fourniture à distance d’opérations d’assurances : il s’agit des entreprises d’assurances et réassurance à travers leurs bureaux directs, les intermédiaires d’assurances et les autres entités autorisées par la loi ;
– La présentation de ce type d’opérations ne peut être exercée qu’à partir d’un local autorisé par la DAPS et par un salarié ayant les compétences techniques requises en la matière. Là aussi, différence de taille par rapport à d’autres marchés, la pratique des calls centres est implicitement prohibée. D’ailleurs, la circulaire va plus loin en ajoutant qu’en cas d’utilisation du téléphone, la personne en contact avec le souscripteur doit « indiquer au début de la conversation son identité, sa qualité et la dénomination sociale » de l’assureur, ainsi que l’objet commercial de la communication ;
-En plus, ne peuvent être commercialisés à distance que les contrats d’assurances dont les spécimens ont été transmis et validés par la DAPS. A titre de sécurité supplémentaire, et préalablement à la mise du service internet, l’assureur doit communiquer à celle-ci, une fiche de présentation du site pour pouvoir éventuellement y accéder ;
– Enfin, la circulaire précise les différentes étapes à suivre pour conclure le contrat par voie électronique et notamment les modalités selon lesquelles les parties se libèrent de leurs obligations réciproques.
Un dispositif clair, qu’en est-il de l’application ?
Si la circulaire de la DAPS a instauré le maximum de verrous pour sécuriser un internaute assuré, un simple survol de certains sites « spécialisés » en assurances permet de relever que le contrôle de l’autorité de tutelle est inopérant sur des entités non autorisées pour proposer un service à distance pour cette activité. A ce sujet, nous donnons comme exemple, que nous avons consulté par hasard sur internet, le site de « Guide Assurances- Argus des assurances au Maroc – Demande de devis » , qui après avoir fourni les éléments de votre identité, vous demande : quel type d’assurances vous intéresse ? Décrivez-nous votre projet d’assurances afin que nous puissions trouver les meilleures offres pour votre profil ?
En fait, nous sommes pratiquement devant des « intermédiaires électroniques » qui ne sont pas autorisés par la réglementation des assurances marocaine pour fournir ce genre de prestations. Faut-il rappeler le grand débat sur le rôle de ces comparateurs qui a émergé dans les pays les plus matures en ligne. Certaines sociétés ont décidé de ne pas participer et se prémunisent même contre les techniques de « screen-scraping » permettant de récupérer leurs tarifs à leur insu. Au fond, le risque porte inévitablement sur l’indépendance des comparateurs. Il est intéressant, enfin, de citer le cas de l’Italie où le gouvernement a décidé de développer lui-même un comparateur neutre et indépendant des sociétés d’assurances.
Un marché en retard ?
Pour notre marché, les premières initiatives d’assurances en ligne ne cumulent pas plus de deux années d’expériences. De nombreux acteurs ont démarré avec un simple modèle de distribution ; ils ont développé des « sites vitrines » avec invitation à prendre contact, demander des devis mais rarement le process se poursuit jusqu’à la souscription en ligne. La seule compagnie ayant testé, sans grand succès, il faut le dire, ce système, en 2011, est la CNIA-SAADA qui a lancé un service de souscription en assurance automobile ; elle s’est dotée d’un volet transactionnel électronique complet assurant la dématérialisation du processus d’achat. Initié d’abord pour les villes de Casablanca, Rabat, Marrakech et Fes, ce service devrait être étendu à d’autres villes. Cet assureur a même prévu sur son site internet la procédure à suivre en la matière.
Même en l’absence de statistiques officielles – le rapport annuel de la Fédération Marocaine des Sociétés d’Assurances ne renseigne, malheureusement, pas sur les cotisations du marché selon la forme de distribution, pour pouvoir tirer le montant des ventes par internet- les renseignements recueillis auprès de plusieurs assureurs montrent que ce créneau n’est pas encore exploité au stade de la souscription de contrats d’assurances.
Que font les autres pays ?
Donc, comparativement à d’autres pays, le marché marocain n’a aucune effervescence dans ce domaine. A titre d’illustration, aux Pays-Bas, 11% des contrats auto sont souscrits en ligne, en 2011(en 2004, ce pourcentage était seulement de 1%) ; en Allemagne, ce nombre en contrats vendus est supérieur à 1,5 million ; en Espagne, le nombre de contrats souscrits en ligne a augmenté, en cinq ans, de 27%.
La France est aussi un exemple intéressant dans le développement de l’assurance sur internet en Europe. Sur les dix dernières années, et un volume d’affaires retracées dans le tableau suivant : (source : Fédération Française des Sociétés d’Assurances) :
Les ventes réalisées spécifiquement par internet représentent en 2012 pour les assurances de personnes, environ 4Md € sur un total de 131,3 Md collectés par le marché, soit 3% du total des affaires nouvelles. Les assurances de biens et de responsabilité ne représentent qu’1% sur un total de cotisations de 49,4 Md d’euros et ce, comme le montre la répartition, par canal de distribution de ces chiffres d’affaires, dans le tableau ci-après :
Pour compléter le décor, sachons que les cotisations collectées au moyen d’internet, en France malgré leur faible pourcentage par rapport à celles générées par les autres réseaux de distribution ( 4,5 Md€ en 2012) représentent, à elles seules deux fois le chiffre d’ affaires réalisé par l’ensemble du marché marocain , la même année, tous réseaux confondus ( 2,3 Md) !!
Ce genre de comparaisons avec d’autres marchés met, en effet, en lumière le retard enregistré par notre pays par rapport à ces évolutions. On peut, alors, se demander pourquoi l’e-assurance ne bénéficie pas chez nous du même engouement ? Les points de vente physiques (agences, courtiers et bureaux directs) sont-ils menacés ? Si oui, comment doivent-ils s’adapter à la nouvelle donne ?
Contraintes à lever et perspectives
Le retard, au Maroc, en matière d’e-assurance trouve à notre avis plusieurs explications. S’agit-il de la structure particulière du marché marocain et des tarifs rendant inopérante la tentation chez tout internaute de recourir à des comparateurs de prix ? S’agit-il d’un comportement traditionnel de l’assuré marocain qui du mal à changer ses habitudes et à changer d’assureur, ou encore d’un consommateur qui aurait tissé des liens particuliers avec son assureur au fil du temps et qui serait très attaché à sa « marque », de manière affective ?
Tous ces questionnements ont leur raison d’être.
D’une part, en termes d’assurances, une offre uniquement digitale ne répond pas pleinement aux attentes des clients. En effet, la majorité des internautes a besoin d’un interlocuteur au téléphone pour une question, souscrire ou gérer son contrat. Un contrat uniquement digital n’a donc aucune chance de fonctionner surtout si l’on souhaite toucher une large cible de consommateurs. D’ailleurs, dans d’autres marchés, les opérateurs se sont dotés d’une plateforme téléphonique pour accompagner leur site web. Même si des devis sont parfois réalisés, ils ne représentent qu’une étape dans le processus de souscription. Dans cet ordre d’idées, il est utile de mentionner l’étude réalisée, en France, par Benchmark Group en février 2011, et qui donne un éclairage intéressant sur les motivations d’un souscripteur : « 71% des internautes précisent qu’ils ont préféré poursuivre par un contact direct avec un conseiller. Dans 40% des cas, ces conseillers ou agents génèrent immédiatement une vente additionnelle ». C’est dire qu’une complémentarité entre présence physique et sur le web permet une performance globale du système.
D’autre part, force est de reconnaitre que l’internet est devenu un canal majeur dans l’information et la prise de décision des consommateurs. Aussi, c’est une nécessité absolue de l’intégrer désormais systématiquement dans les campagnes de communication des assureurs. Sur internet, l’assuré a des informations en temps réel sur les différentes offres : garanties, niveaux des primes d’assurances, franchises, etc. En complément d’un contact direct, l’internaute peut choisir une offre personnalisée correspondant mieux à ses attentes.
Enfin, la condition essentielle pour faire décoller un marché est bien évidemment de proposer à ce marché une offre large, diverse et de qualité. Si les assureurs ont beaucoup investi ces dernières années dans les nouvelles technologies, ils doivent prendre conscience, aujourd’hui, de la nécessité de se recentrer sur leurs fondamentaux : forces commerciales et management des organisations. De même que le rôle et la posture de l’agent ou du conseiller commercial doivent être revisités pour disposer d’outils suffisamment fluides et réactifs, savoir les produits qui s’achètent, tels l ‘assurance auto et les autres qui se vendent en nécessitant une pédagogie et un accompagnement adapté. Si le futur de l’e-assurance semble aujourd’hui solidement tracé, notre conviction est que l’avenir de l’assurance ne se posera pas uniquement en termes de son adaptation à un outil technologique tel qu’internet, mais essentiellement par rapport aux réponses à donner aux demandes des assurés et à leurs nouveaux modes de vie. N’est-ce pas finalement que c’est le consommateur qui détiendra le pouvoir ?
ABDELFATTAH ALAMI