Des Assises Fiscales à l’élargissement de l’assiette sans pression
La référence à la constitution a été commune à toutes les communications de la majorité des panélistes de Skhirat. Le « bon » citoyen est obligatoirement un bon contribuable qui avance avec une grande assurance vers les guichets des percepteurs de l’impôt .La dépense publique de plus en plus lourde augmente la pression tant sur le fiscalisé que sur le fiscalisant. Les espoirs distribués avec une largesse discursive lors des campagnes électorales finissent par buter sur la raideur des procédures de production des textes créant ou modifiant la matière imposable. Décider d’augmenter les taux d’une taxe ou d’un impôt au 21e siècle n’est plus l’affaire d’un choix nocturne légitimé au lendemain d’une discussion de techniciens habiles et surtout à l’écoute d’un pouvoir sévère mais bienveillant pour la suite des carrières.
Après presque une trentaine d’années, les pouvoirs publics ont osé reprendre l’exercice de la consultation des partenaires de l’administration fiscale. Ecouter les doléances, les conseils, les critiques et les propositions autrement formulées que dans un espace remplis de représentants des électeurs permet toutes les souplesses protocolaires et toutes les libertés qui échappent aux rapporteurs dans l’enceinte du parlement. Des centaines d’invitations ont été distribuées par les organisateurs. Les syndicats, les partis politiques, les entrepreneurs, les universitaires, les journalistes et les techniciens des écritures comptables ont porté leurs contributions aux débats. Une certaine symbiose s’est progressivement dessinée au cours des deux jours des assises sur la fiscalité. Le rapporteur a presque noté l’unanimité autour des recommandations des différents ateliers.
Nul n’ignore le contexte dans lequel une telle initiative a été mise en œuvre. Les déficits croissants de nos comptes publics, de nos comptes extérieurs, les limites de « productivité » de notre système fiscal et les attentes des citoyens et de l’économie sont autant de contraintes que de raisons pour revisiter notre fiscalité. Celle ci n’est pas la source de tous nos maux, elle ne constitue pas non plus la panacée pour les guérir mais elle peut contribuer à une dynamique politique visant à combler les déficits, renforcer les secteurs productifs et assurer l’équité et l’égalité des citoyens devant l’impôt.
Les assises sur la fiscalité ont certes enregistré un record en matière de panélistes (35) ayant contribué aux différents ateliers, de discours (7) et même d’une intervention enregistrée de la DG du FMI. La devise choisie pour ces assises traduit des attentes et annonce amplement des ambitions : « la fiscalité, source de progrès ».
A écouter les plus optimistes des intervenants, la devise semble exprimer les ambitions d’un programme politique plutôt que celles liées à un exercice cherchant à fédérer des forces de proposition autour d’un important chantier de reforme. Les représentants du pouvoir législatif ont été les plus sceptiques en matière de lecture de l’avenir du processus législatif en la matière. Le jeune représentant d’un groupe d’opposition est allé jusqu’à jeter le doute sur l’utilité d’une telle rencontre. Les différents protagonistes ont savamment fait usage de formules de politesses « mon ami a dit … » pour meubler un espace devant par nature élever la contradiction au rang de comportement naturel pour assurer la crédibilité des débats.
L’équité fiscale a été traitée tant sur le plan de l’acte de légiférer qu’au niveau de la lutte qui doit être menée contre la fraude et le secteur informel. Une telle bataille nécessite le renseignement et les forces de frappe. Il semble que la logistique nécessaire ne peut être mise en place dans des délais courts. Certains sages ont proposé la réintégration douce et motivante des égarés à travers des taux « très doux » de fiscalisation. Les discussions autour de la compétitivité de la fiscalité ont été empreintes de réalisme. Les panélistes ont « sincèrement » mis l’impôt dans la panoplie des moyens pouvant résoudre les problèmes de l’emploi, du déficit de nos comptes extérieurs et des dysfonctionnements que connaissent les secteurs productifs.
La fiscalité locale a été mise en relief pour décrire les déchirements que vivent les acteurs du développement local. Les limites de l’assiette des différentes taxes finançant les budgets communaux ont donné lieu à une série de recommandations visant à intégrer certains impôts « nationaux »dans les caisses des collectivités locales. L’investissement improductif générant des plus values dans le foncier est unanimement décrié. Il doit dorénavant, contribuer au financement des programmes de développement local. Le chantier de la fiscalité locale sera lancé incessamment selon le ministère de tutelle des collectivités.
Les milliards de dirhams en souffrance pour des raisons liées aux problèmes de recouvrement, au manque au niveau des ressources humaines chargées d’appréhender la matière fiscale, et aux complexités procédurales relatives à la gestion du contentieux, peuvent constituer une manne qui peut alléger la pression budgétaire. Pour cela il serait judicieux de convertir les assises en un élargissement de l’assiette et en un allégement de la pression fiscale. La fiscalisation du secteur agricole a été traitée avec une très grande délicatesse. Le « tartib » grand dormeur serait réveillé mais subira toutes les transformations pour qu’il ne produise ni déséquilibre du monde rural, ni faiblesse de la compétitivité des exportateurs, ni rancœur des grands agriculteurs.
Les recommandations ayant fait l’unanimité de la majorité des participants aux assises fiscales de Skhirat sont un vrai printemps pour la fiscalité marocaine. Une exception de plus de notre pays.