Les dessous de l’appel au boycott de Danone, Sidi Ali et Afriquia
Depuis le 20 avril, les réseaux sociaux connaissent des appels au boycott de certaines marques de produits de grande consommation. Les promoteurs de cette campagne fâcheuse ont justifié ces appels par la cherté des prix.
Aussi, ils ont relayé plusieurs hashtag (خليه_يريب, #مقاطعون, #مازوطكم_حرقوه# ) pour signifier leur ras-le-bol. Dans leur viseur se trouvent les produits des groupes comme la Centrale Danone, Afriquia ou encore les Eaux minérales d’Oulmès. « A mon avis, les instigateurs de cet appel au boycott ont mis en place toute une stratégie qui consiste à viser les numéros uns du marché pour qu’ils baissent leurs prix pour ce que cela fasse ensuite une sorte de boule de neige conduisant à une baisse généralisée des prix. Autrement dit, ces entreprises servent de bouc émissaire dans le débat explosif sur la hausse des prix », analyse un économiste. En tout cas, les trois entreprises, notamment Centrale Danone, Les Eaux d’Oulmès, Afriquia, qui sont dans le collimateur des initiateurs de cette campagne, contrôlent le marché national avec respectivement, 60% de parts de marché dans les produits laitiers, 55 % (Sidi Ali), et plus de 39% dans les carburants. Il faut dire qu’au départ de cet appel au boycott, le lait de la filiale marocaine du groupe français était le premier produit à être visée avant que la campagne ne s’étende à la marque Sidi Ali de la filiale du groupe Holmarcom et au carburant des stations d’Afriquia, filiale du groupe Akwa.
Ce n’est pas la première fois qu’une campagne du genre est lancée au Maroc. Le 25 mai 2014, le premier ministre de l’époque, Abdelilah Benkirane, avait appelé, lors d’une réunion du PJD dont il était également le secrétaire général, à un boycott des yaourts Danone . Il avait incité les Marocains à se détourner de la marque pendant dix jours et de se tourner vers le « raïb », le lait caillé traditionnel fait maison.
Abdelilah Benkirane avait ainsi rejoint un mouvement lancé par des associations de consommateurs marocains plusieurs jours plus tôt et qui s’est largement répandu via les réseaux sociaux. Pour rappel, cette campagne pour la marque française a été déclenchée à la suite de la hausse de prix de 20 centimes sur quatre produits Danone. Coïncidence ou pas avec l’actuelle campagne, le boycott intervenait à une période cruciale dans l’année, juste avant le mois de Ramadan où la consommation de yaourt connaît un pic saisonnier. Mais qui sont derrière l’actuel appel au boycott ? Dans le camp des entreprises visées, certains accusent cette campagne d’une motivation politique vue la concentration des attaques sur certains groupes. Ils n’hésitent pas à soupçonner un mouvement de jeunesse d’un parti politique.
Les célébrités s’emparent de l’affaire
Quoi qu’il en soit, contrairement aux précédents appels au boycott, celui-ci, sous fond de rumeurs, de montages vidéo et de manipulations, semble, pour l’heure, prendre de l’ampleur. Certaines célébrités n’ont pas hésité à jouer leur partition via les réseaux sociaux pour promouvoir l’appel au boycott. Parmi elles, on peut citer, entre autres, Dounia Batma, Latifa Raâfat, Rachid El Idrissi, Adil El Miloudi, Farah El Fassi, Ihab Amir, les frères Belmir, et Abdelaziz Stati qui n’y est pas allé avec le dos de la cuillère en consacrant une chanson à la campagne. Elles ont ainsi partagé en masse l’appel via la toile.
Jusqu’au mercredi 25 avril 2018, les entreprises visées par ces appels au boycott, n’ont pas réagi publiquement, si ce n’est Aziz Akhannouch, ministre de l’Agriculture, également fondateur de la maison mère d’Afriquia, qui a réagi publiquement pour la première fois. C’était lors la cérémonie de lancement du programme « Fellah Bladi », initié par Centrale Danone. Pour rappel, cette dernière a lancé à Meknès, ce jour-là, dans le cadre du 13ème Salon International de l’Agriculture au Maroc (SIAM), le projet « Fellah Bladi », premier programme d’agrégation au service du développement et de la durabilité des petites exploitations laitières au Maroc. Ce programme d’agrégation concerne plus de 20.000 exploitants dans la région de Doukkala dont 5 000 dès 2019. A terme, le projet aura des impacts économiques, sociaux et écologiques significatifs sur les exploitations, la région de Doukkala et le Maroc. Il faut dire que sur sept ans, la productivité laitière devrait progresser de 70 % dans la région, la marge des éleveurs devrait être multipliée par 2 à 3, outre la formation de 4 000 femmes et la création de 800 emplois. C’est dire que le cadre s’y prêtait pour que Akhannouch réagisse. « Internet ne peut pas stopper l’activité de 450.000 éleveurs qui travaillent dans le secteur laitier », a-t-il lancé en réponse aux initiateurs de l’appel au boycott des produits de Centrale Danone, entre autres.
Contacté par Challenge.ma, le Service communication de Centrale Danone n’a pas souhaité réagir à cette affaire : « nous vous enverrons en fin de journée un communiqué dans ce sens ». En attendant les réactions officielles des sociétés visées, les hommes politiques se sont invités au débat. Le 24 avril, lors de la session des questions orales au Parlement, Mohammed Boussaid, ministre de l’Économie et des Finances, a qualifié les initiateurs de la campagne « d’étourdis », qui au lieu « d’encourager l’entreprise et les produits marocains, appellent au boycott de sociétés employant du personnel et qui paient leurs impôts ».
Outre le camp des entreprises visées, les personnalités politiques et les célébrités, les citoyens lambda se sont emparés de l’affaire. Si certains se sont attelés à démonter sur Internet les écarts de prix avec nos voisins espagnols, par exemple, d’autres tentent de démontrer combien cet appel au boycott peut porter préjudice à l’emploi dans le pays et condamner par ricochet des fleurons de l’industrie nationale.
Aujourd’hui, le thème de la hausse des prix est très sensible au Maroc. Cela fait plusieurs mois que les associations de consommateurs se plaignent de la hausse de produits de première nécessité. Ce sont les mêmes revendications qui avaient déclenché des révoltes dans des pays voisins jusqu’à déclencher des mouvements sociaux. « De plus le Maroc souffre d’une inflation endémique qui atteint 24,4% par an depuis 2004 », précise un économiste.