Diplomatie : une ambition à concrétiser
Depuis quelques années, les voyages Royaux officiels se sont multipliés, surtout au Moyen Orient et en Afrique, pour initier une nouvelle orientation dans la diplomatie marocaine. Une orientation s’inscrivant dans la prise de conscience de cet héritage qui handicape lourdement le développement du Maroc : la dépendance traditionnelle externe, économique et financière, vis-à-vis d’un bloc régional hégémonique, lui-même en crise depuis plusieurs années. La diversification qualitative des relations économiques internationales du Royaume est donc aujourd’hui une nécessité vitale. par M. Amine
Pour cela, une nouvelle stratégie en politique étrangère est à concevoir et à mettre en place. Existe-t-elle ? Est-elle en cours d’élaboration ? Quelles sont ses grandes lignes ? Sera-t-elle bien comprise, déclinée concrètement, partagée et intégrée par les représentations diplomatiques du Royaume dans le monde ? Pour l’instant, les actions Royales, hautement symboliques, ne se traduisent guère par une véritable dynamique de changement dans la diplomatie marocaine. La pratique diplomatique concrète observée se limite au tâtonnement. Des changements de têtes, sans changement du contenu de ces têtes ni des méthodes de travail. A quelques rares exceptions, il n’existe guère une véritable diplomatie économique, capable de mobiliser des ressources au niveau international pour faire connaître le vrai potentiel du Royaume dans les secteurs clés de l’économie nationale. L’ancienne pratique diplomatique est bien enracinée. Elle est caractérisée par la dimension sécuritaire, certes importante et nécessaire, mais ô combien insuffisante. Consciemment ou inconsciemment, c’est surtout l’image exagérée d’un Maroc folklorique qui continue à être véhiculée : chameau, soleil, palmier dattier, couscous, neggafa et gnaouas… Est-ce là l’image réelle du Maroc d’aujourd’hui ?
Mais la politique étrangère, n’est-elle pas un prolongement de la politique intérieure, avec une interaction permanente ? L’une reflétant nécessairement l’autre ? Quelle articulation entre les deux ? Pour que cette articulation soit possible, il faudrait commencer par se libérer de ce complexe que résume le mot «hchouma». N’ayons pas honte de ce que nous sommes réellement ! De nous regarder dans ce miroir qu’est le regard sincère de l’autre. De dire franchement ce que nous sommes. Osons nous observer nous-mêmes, en tant que marocains. Nous avons certes un lourd passif. Mais depuis quelques années, des actions publiques louables ont accompagné une volonté sincère de réconciliation et de changement. Le résultat est encore loin d’être satisfaisant pour toutes et pour tous. Ce constat est largement partagé, à tous les niveaux. Mais la force est dans la ferme volonté de continuer, d’aller vers l’avant. D’éviter les anciennes erreurs sans être prisonnier du passé. Ce n’est pas en quelques années que le lourd passif pourra être résorbé. Le début du désenclavement régional a été amorcé.
Les Marocains de l’étranger, une vraie richesse nationale
La pauvreté est combattue dans ses effets immédiats et dans ses causes structurelles. Mais les ressources sont faibles. Les aides internationales sont souvent conditionnées. Les résistances internes et externes au changement sont encore fortes. Néanmoins le processus de changement amorcé est irréversible. C’est cette image fidèle qui traduit la réalité nationale qui mérite d’être projetée, sans complexe, pour gagner en confiance et en adhésion aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Feu Driss Benzekri a su jouer ce rôle, à travers les quelques brèves actions initiées en interne et en externe.
Dans notre mémoire collective, beaucoup sont partis chercher un travail, un avenir, faire leur vie ailleurs, sans abandonner pour autant leur identité. Les premières générations d’immigrés, après la seconde guerre mondiale, ont contribué à la reconstruction d’une Europe détruite par les bombes. Ces générations ont été sacrifiées. Elles sont historiquement anonymes. Les enfants issus de cette première vague vont vivre une profonde crise d’identité. Les enfants de ces derniers ont parfois pu s’adapter. Certains symbolisent cette capacité d’adaptation, en France et dans les Pays Bas, où ils sont devenus ministres, maires, cadres dirigeants… Mais ce n’est pas toujours le cas. Certains remplissent les prisons (*). D’autres vivent sans repères et sont facilement manipulés par les commerçants de la religion. D’autres encore s’agrippent, résistent et cherchent un sens à la vie.
Que fait l’Etat pour ces jeunes, pour les aider à retrouver leurs racines, à développer leur attachement, à se prémunir pour éviter les pièges tendus par les charlatans …? La politique touristique est limitée quasi-exclusivement au tourisme haut de gamme. Quelques actions ponctuelles sont réservées aux MRE, chaque année, de manière saisonnière, en été. Malgré la création d’institutions publiques spécialisées dans l’immigration, les actions durables demeurent très faibles, sans impact réel sur la vie des ressortissants concernés. Les consulats, très souvent dans un état de délabrement, ressemblent à des centres de garde à vue. Les fonctionnaires qui y sont affectés travaillent dans des conditions déplorables.
La diplomatie, «vitrine du Maroc»
Les agents dits locaux ont un statut bizarroïde et touchent souvent des salaires inférieurs au SMIG local. Cette précarité est favorable à l’émergence de pratiques abusives nuisibles à l’image de l’Etat employeur. Au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, l’absence totale de représentation syndicale, depuis la grève générale de 1963, prive les fonctionnaires de ce département de la possibilité de s’organiser, de s’exprimer, de se faire représenter, de faire entendre leur voix et de faire connaître les conditions de travail réelles qui ne peuvent pas ne pas impacter le fonctionnement, le rendement des services diplomatiques et consulaires, et in fine l’image du Royaume.
Si la diplomatie est par excellence la «vitrine du Maroc», qu’a-t-on mis actuellement dans cette vitrine pour forcer le respect des autres Etats dans le monde et pour pouvoir agir sans pression ni tutelle néo coloniale ou autre ?
Pendant longtemps, la diplomatie marocaine a été le domaine réservé exclusivement à certaines familles bien connues. Celles-ci ont su développer une pratique diplomatique adaptée à une époque. Mais cette époque est actuellement largement dépassée. La dimension économique de la diplomatie devient primordiale et incontournable. L’ouverture aux compétences et l’innovation dans le domaine de la diplomatie s’imposent aujourd’hui. Celles-ci ne sont pas inconciliables avec la pondération nécessaire, la maturité et la sagesse, dans un domaine où le moindre faux pas peut avoir des répercussions en chaîne sur l’ensemble du système.n
(*) Voir notamment le dernier témoignage d’Emmanuel Todd dans «Qui est Charlie ? – Sociologie d’une crise religieuse», éditions du Seuil, mai 2015 (pages 191 et 205).