Doit-on craindre les effets de la «tempête» chinoise ?
Les dévaluations successives de la monnaie chinoise, que nous avons vécues tout au long du mois d’août, ont créé un mouvement de panique mondiale généralisé. La déroute de la bourse de Shanghaï qui s’en est suivie a enclenché l’effet boule de neige et impacté l’ensemble des places financières qui ont cédé à cette turbulence. par Abdelfettah Alami
Si la plupart des analystes s’accordent à assurer que l’on est loin de la crise systémique de 2008, plusieurs pays redoutent les conséquences, sur leur économie, de cette tourmente financière, dont on commence à peine à mesurer l’ampleur. Faut-il donc s’inquiéter de ce qui se passe en ce moment en Chine ? Le Maroc pourrait-il être impacté par une telle débacle qui sévit à l’autre bout du monde ?
La chute du Yuan est un véritable casse-tête chinois. Le mouvement de turbulence n’a épargné, dans l’immédiat, aucune bourse internationale. Celle de Shanghaï a enregistré des pertes considérables, de plus de 40%. Wall Street a subi des pertes records avec un Dow Jones clôturant, la semaine dernière à -586 points, sa pire performance mensuelle depuis 2009. Le même repli a touché à Paris, le CAC 40 avec une baisse de 8% ramenée, à la clôture à 5,35% ; le DAX, à Francfort, avec -4,70%, à Londres où le Footsie a chuté de 4,67%, alors que le Nikkei, à Tokyo, a connu son plus bas niveau durant tout le premier semestre de cette année avec -4,61%.
Objectifs avoués et non avoués de la dévaluation du Yuan
La Banque centrale de Chine a baissé le taux de référence du Yuan, dont le cours est tombé à son plus bas niveau depuis 4 ans. C’est ce qui a inquiété les marchés financiers qui sont tombés dans un rouge que rien ne semble arrêter.
Pour les autorités chinoises, il s’agit d’un ajustement technique et non d’une dévaluation dont l’objectif est de rendre le cours du Yuan plus flexible, en phase avec les ajustements du marché, une demande, d’ailleurs de longue date des occidentaux qui reprochaient à la Chine une surévaluation de sa monnaie, alors que ce gouvernement applique, jusqu’ici, un strict contrôle du Yuan.
Incontestablement, la Chine continue d’encadrer étroitement sa monnaie, à la différence des occidentaux, qui laissent librement flotter leur monnaie. Mais la réalité est que la Chine veut rendre sa monnaie plus flexible dans une démarche de son internationalisation- mondialisation oblige- pour essayer de contrebalancer l’hégémonie mondiale du dollar. Cette dévaluation est, à notre sens, une des manœuvres qui participent à cette démarche.
Autre objectif fondamental non avoué, cette fois-ci, de cette opération est, pour le géant Chinois, de relancer une croissance économique en berne car l’ « usine du monde » n’est plus ce qu’elle était. Les industries chinoises ont perdu, ces dernières années, de leur compétitivité notamment par rapport aux autres pays asiatiques, avec les hausses successives de salaires. Ainsi au niveau des échanges commerciaux, les exportations sont en perte de vitesse, à -8,3% sur un an, en juillet, et les importations ont cédé, pour la même période, de 8,1%. L’industrie manufacturière est au plus bas depuis plus de deux ans. Autre signe d’inquiétude, la bulle immobilière chinoise pourrait être sur le point d’exploser du fait du recul des ventes enregistrées cette année. Les chiffres disponibles montrent que ce secteur a montré des signes d’essoufflement depuis 2013 où les baisses des prix ont atteint presque 20% dans certaines villes chinoises.
Dans une telle conjoncture, la dévaluation du yuan n’est-elle pas un aveu de l’essoufflement de l’économie chinoise ? Ce qui est certain, c’est qu’à travers cette démarche, la priorité pour Pékin, est de donner un coup de fouet à l’économie en relançant les exportations, mais aussi de booster et de développer le pouvoir d’achat et la consommation des chinois, car le « made in China » a du plomb dans l’aile. Les Chinois raffolent de produits étrangers et ne soutiennent pas forcément leur économie.
Or, une monnaie chinoise plus faible renchérirait les importations et permettrait aux populations de consommer plus de produits locaux, moins chers, et moins de produits étrangers.
Cela signifie aussi, sur le plan international, que les entreprises chinoises vont devenir plus compétitives et plus agressives.
Mais pourquoi la décision des autorités chinoises de dévaluer leur monnaie a tiqué le monde entier ?
Quand le malheur des uns fait le bonheur des autres !
Les turbulences suscitées par le ralentissement de l’économie chinoise est, certes, une mauvaise nouvelle pour les pays du Vieux Continent même si l’impact ne se sentirait pas d’une manière identique chez ces derniers. Car, il faut savoir que les entreprises occidentales comptent énormément sur les clients chinois pour tirer leurs ventes. Si, par exemple, pour la France le danger ne serait pas très perceptible puisque la Chine représente à peine 4% de ses exportations, l’Allemagne, avec des échanges extérieurs importants, serait plus exposée puisque la Chine est son 3ème client et absorbe 10% de ses ventes automobiles à l’étranger. Donc, pour plusieurs secteurs (luxe, automobile, machines, outils, etc.) les retombées négatives de la crise ne seront pas négligeables. Sans oublier le nombre d’entreprises européennes installées dans cet Eldorado qu’est la Chine, dont le nombre, pour la France seule, avoisine les 2.000 (Carrefour y a 220 hypermarchés, dont le chiffre d’affaires a chuté depuis le début de l’année de 13%), PSA dont la Chine représente le 2ème marché après la France et enfin Airbus (pour ne citer que ces quelques unes) qui sous-traitent une partie de sa production ne serait pas épargnée, car la baisse de la valeur du yuan signifierait une chute de ses profits. De leur coté, les Etats-Unis voient d’un mauvais œil cette dévaluation qui entrainerait avec elle une surévaluation du dollar américain et porterait, par conséquent un coup fatal à leurs exportations.
Mais ce Krach qui secoue la 2ème économie mondiale, affectera particulièrement certains pays émergents producteurs de pétrole et de matières premières, dont certains sont en récession comme l’Australie, la Russie ou le Brésil. Il est évident que si ce gros consommateur de ces produits ne se porte pas bien, cela voudrait dire que tous ces pays subiraient de plein fouet les effets de cette crise.
Evidemment, à quelque chose malheur est bon. En effet, pour les pays non producteurs de ces matières, leurs importations vont leur coûter moins chères. Mêmes effets bénéfiques du côté des entreprises de ces pays dont les coûts de production vont chuter. Exemple éloquent : Air France, avec un prix du baril du pétrole aussi bas, ferait des économies en kérosène de 400 millions d’euros sur un an.
L’économie marocaine pourrait-elle être mise en danger ?
La question de connaître les conséquences de cette crise qui frappe l’ogre chinois sur notre économie mérite d’être posée. Si, la mondialisation fait qu’aujourd’hui tous les pays, y compris le Maroc, sont dans le même bateau et si la nature de la tourmente actuelle est principalement financière et non bancaire comme l’était la crise de 2008, notre pays est, en fait, peu exposé et le lien direct est très marginal et ce, pour deux raisons majeures.
D’une part, la dégringolade qui a affecté les indices des principales places financières internationales n’a pas créé de panique au niveau de la bourse de Casablanca. Car, comme l’avait affirmé M. Karim Hajji, directeur général de cette institution sur une chaine de télévision marocaine « nous sommes une place peu intégrée aux marchés mondiaux, d’une part et d’autre part, nous sommes principalement une place d’investisseurs institutionnels et qui dit investisseurs institutionnels, dit des gens prudents qui n’ont pas de raison de s’affoler et de vendre leurs actions sur simple signal venant de Chine ou d’ailleurs ». Cette affirmation du patron de la bourse de Casablanca est corroborée par le fait que, même sur les marchés financiers occidentaux, on a observé que les gestionnaires d’actifs n’ont pas été particulièrement présents au niveau des ventes intervenues sur ces marchés. Ce sont plutôt les particuliers qui se sont empressés d’alléger leur position. Il est donc logique que le marché marocain ne suive pas les tendances qui puissent être observées sur les autres places financières internationales.
D’autre part, sur le plan de l’économie réelle, là aussi n’exagérons rien. Quoique La Chine soit devenue le 3ème fournisseur du Maroc avec un volume d’échanges commerciaux de plus de 29 milliards de dirhams en 2013, selon les statistiques du ministère marocain du Commerce extérieur, les exportations du Maroc vers le géant asiatique s’établissent à peine à 2,9 milliards de dirhams. Cela signifie que la dévaluation du Yuan jouerait en faveur de nos importations dont les coûts vont baisser, ce qui profiterait aux entreprises et aux ménages marocains.
Par ailleurs, la baisse du prix du baril du pétrole, marqué par une chute historique à 38$, conséquence, en partie, de la baisse de la demande chinoise, a largement allégé le déséquilibre de la balance commerciale de notre pays. En effet, selon les derniers chiffres publiés par l’Office des Changes à la fin du mois d’Août, le déficit a reculé, à fin juillet, de 20,5% par rapport à la même période de l’année dernière avec un gain de 23,9 milliards de dirhams.
Toutefois, on pourrait craindre que la crise qui secoue les entreprises chinoises affecte négativement leurs investissements et le tourisme dans notre pays.
Or, les investissements chinois au Royaume restent le parent pauvre des relations économiques sino-marocaines ; c’est que les investissements chinois réels au Maroc ne totalisent qu’environ 170 millions de dollars.
Dans le domaine touristique, le manque à gagner est également à minimiser. En effet, peu de touristes chinois se rendent au Maroc ; il suffit d’un petit tour sur le net pour se rendre compte que peu d’agences de voyages proposent la destination Maroc à cause certainement de la distance géographique entre les deux pays et l’absence de lignes aériennes directes. En conclusion, et en toute vraisemblance, dans les court et moyen termes, la Chine ne serait plus capable d’atteindre les taux de croissance à deux chiffres réalisés auparavant.
Mais si certains analystes financiers se sont précipités pour affirmer que la dévaluation du yuan risque d’enclencher « une guerre des monnaies » sans précédent, c’est oublier que les autorités chinoises disposent de puissants moyens pour relancer leur économie, dont la baisse des taux et la baisse du ratio de la réserve obligatoire des banques pour injecter le maximum de liquidités et soutenir les entreprises et la demande locales.