Dr Nasser Bouchiba: «La pénurie d’électricité en Chine n’aura qu’un impact temporaire sur les importations des produits vers le Maroc»
Pour Dr Nasser Bouchiba, sinologue et expert dans les relations Afrique-Chine, la pénurie d’électricité en Chine n’est que temporaire. C’est l’occasion, dit-il, pour les importateurs marocains d’élargir, de développer de nouveaux canaux d’approvisionnement et augmenter le nombre de fournisseurs dans les zones bien approvisionnées en électricité en Chine, à l’instar des importateurs japonais et coréens.
Challenge :La Chine est la deuxième économie mondiale et connaît depuis plusieurs semaines des pannes d’électricité généralisées, entraînant la fermeture totale ou partielle d’usines affectant ainsi les chaînes de production et d’approvisionnement mondiales. Pouvez-vous analyser la raison ?
Dr. Nasser Bouchiba : On assiste actuellement, à des restrictions généralisées concernant la consommation d’électricité dans certaines régions de Chine, provoquant ainsi des désagréments en termes de production dans pas mal d’usines dont certaines ont même fermé. C’est un dur constat tout à fait objectif. Ceci est dû d’une part, aux fortes pluies dans les provinces du nord de la Chine, ce qui entrave la production et le transport du charbon; d’autre part, par l’approvisionnement intempestif d’énergie importée. Il ne s’agit pas d’un problème structurel et intégral de pénurie d’énergie.
En tant que deuxième économie mondiale, le gouvernement chinois a déjà pris les mesures nécessaires pour faire face à cette situation, et ce, à travers l’évaluation des besoins des utilisateurs en électricité et la mise en place d’une gestion encore plus rigoureuse de la distribution d’électricité grâce à une planification globale, la restriction de la production des entreprises à forte consommation d’énergie ou de produits bas de gamme afin de garantir l’utilisation de l’électricité pour les industries de haute technologie, les produits à haute valeur ajoutée ainsi que ceux de première nécessité.
De cette manière, ces mesures ont contribué à favoriser la mise à niveau de la production des entreprises et à réduire le gaspillage dans la consommation d’énergie, surtout au niveau industriel. Par ailleurs, cette crise a forcé les acteurs politiques et économiques chinois à encourager le développement de nouvelles sources d’énergie pour suppléer au manque d’électricité.
D’après mon expérience en tant que partenaire du gouvernement chinois à plusieurs niveau, je pense que ces mesures peuvent grandement améliorer la situation et réduire la pénurie d’électricité, tout en garantissant l’approvisionnement des produits nécessaires et en rétablissant la chaîne d’approvisionnement mondiale normale dès que possible.
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Challenge : Quelles conséquences sur le marché marocain sachant que le Royaume importe de plus en plus de la Chine, devenu le quatrième partenaire commercial du Maroc ?
La pénurie d’électricité en Chine, causée par divers facteurs, n’aura qu’un impact temporaire sur les importations des produits vers le Maroc. C’est l’occasion pour les importateurs marocains d’élargir, de développer de nouveaux canaux d’approvisionnement et d’augmenter le nombre de fournisseurs dans les zones bien approvisionnées en électricité en Chine.
Je cite ici les importateurs japonais et coréens qui, grâce à leurs connaissances du marché chinois, sont en permanente prospection et à la recherche de nouveaux fournisseurs, notamment dans les zones de l’ouest de la Chine qui sont en pleine effervescence. Bien évidemment, le rôle de nos acteurs gouvernementaux est important, pour aider nos importateurs à rationaliser leurs opérations de sourcing en Chine.
Challenge : A votre avis, quels produits généralement importés de Chine et expédiés au Maroc sont les plus touchés par cette pénurie d’électricité, et risquent de s’aggraver avec l’arrivée de l’hiver, sans parler du transport maritime qui connaît des moments difficiles ?
En raison de la pénurie d’électricité et des problèmes de transport maritime, les produits importés de Chine vers le Maroc sont généralement des produits de faible valeur et à volume plus important, un contenu technique inférieur et une consommation d’énergie plus élevée, tels que les jouets, les vêtements, etc. Ainsi cette crise énergétique chinoise représente une réelle opportunité pour les petites et moyennes entreprises pour servir les marchés traditionnels auparavant desservis par les grandes entreprises chinoises en Europe, Afrique et aux États Unis.
Ces PME marocaines, ont surtout besoin que le ministère de l’Industrie leur fournisse l’opportunité d’avoir accès à des zones industrielles de petites et moyennes capacités (entre 500 à 2000 mètres carrés) au niveau de toutes les villes du Maroc, et à des prix d’achat ou location raisonnable tout en luttant contre la spéculation immobilière pour développer leurs volumes de production et profiter ainsi de cette opportunité historique pour le Maroc.
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Challenge : Quelle analyse faites-vous aujourd’hui, des relations commerciales maroco-chinoises ?
Sur le plan commercial, malgré que le déficit soit majoritairement en faveur de la Chine l’analyse de la structure des importations marocaines nous montre que le Maroc importe surtout des éléments de production tels que les machines et les équipements essentiels au développement de notre industrie et à la modernisation de notre agriculture.
Nous importons également, des accessoires de télécommunication qui font que le Maroc est un leader sur le continent africain. Par conséquent, à travers le commerce avec la Chine, le Maroc renforce davantage son industrialisation ce qui lui permettra, si une attention particulière est portée vers les PME d’améliorer ses performances et s’imposer en tant que pays exportateur.
Bio express
Dr Nasser Bouchiba a passé plus de vingt ans en Chine, ce qui lui a permis de maîtriser la langue chinoise et de se familiariser avec l’incroyable richesse de cette culture et de cette civilisation millénaire. Il est titulaire d’une licence en langue chinoise, d’une maîtrise en administration des affaires de l’Université Sun Yat-sen de la ville de Guangzhou et d’un Doctorat en théories politiques de l’Institut de Politique et d’Administration publique de cette même université. Ce maître de conférences à l’Institut des Langues de l’Université Sun Yat-sen dans le domaine de la gestion stratégique et de l’entreprise, s’est spécialisé depuis 2015 dans l’évaluation des projets d’aide chinoise à l’Afrique dans le cadre de l’initiative «La Ceinture et la Route». Il vient de publier un livre intitulé «Histoire des Relations entre le Maroc et la Chine (1958-2018)». Ecrit en chinois, puis traduit en arabe et en français, l’ouvrage clarifie le principe de la coopération mutuellement bénéfique qui a constitué le principal axe de soixante ans de coopération entre le Maroc et la Chine. Bouchiba y présente le modèle chinois de coopération qui représente une nouvelle alternative surtout concernant les relations entre pays en voie de développement. Le sinologue et expert dans les relations Afrique-Chine, également président-fondateur de l’Association de Coopération Afrique-Chine pour le Développement (ACCAD) qui s’est vite distinguée comme acteur majeur de développement des relations entre l’Afrique et la Chine, n’est pas à son premier essai, puisqu’il a déjà publié plusieurs ouvrages en langue chinoise et a supervisé le développement d’une multitude de programmes éducatifs dédiés aux étudiants chinois.
En 2016 il eu l’honneur de présenter en mandarin devant SM Le Roi Mohammed VI à Pékin les accords de partenariat bilatéral durant la visite du souverain en Chine.