Dr Tayeb Hamdi : «le Maroc peut alléger les restrictions à une seule condition»
Le Maroc va-t-il opérer un allègement des mesures de restriction anti-covid-19 dans les prochains jours, à l’instar de nombreux autres pays tels que la France ? La question taraude l’esprit de nombreux Marocains, et notamment les professionnels du secteur touristique qui se préparent pour la saison estivale. Dr Tayeb Hamdi, Vice-président de la Fédération nationale de la santé, analyse l’évolution récente de la situation épidémiologique du pays et les perspectives pour un éventuel allègement des mesures dans les prochaines semaines .
Challenge : La vaccination vient d’être ouverte aux personnes de 50-45 ans. Comment appréciez-vous l’évolution de la campagne de vaccination sur le territoire national ?
Pour apprécier la campagne de vaccination, je pense qu’il est important de revenir aux objectifs fixés au départ. Ces objectifs étaient de trois ordres, avec trois phases. La phase 1 et l’objectif qui l’accompagnait étaient de réduire le nombre de décès et le nombre de cas de graves en vaccinant les personnes qui sont à risques. Cette phase comprenait aussi la vaccination des personnels en première ligne pour la riposte anti-covid tels que les médecins, les forces de l’ordre, etc. Actuellement, nous sommes arrivés à la tranche d’âge située entre les 50-45 ans. Cela veut dire que nous nous approchons de la catégorie des 40 ans qui est un âge très important dans la mesure où au-dessous de cet âge, le risque de décès n’est pas nul, mais beaucoup moins important que pour les catégories des 50 ans et plus.
Une fois qu’on aura atteint la catégorie des 40 ans, cela voudra dire que le premier objectif de la campagne de vaccination est atteint, et qu’il faudra donc passer à la deuxième phase dont l’objectif est de limiter et contrôler la transmission et la propagation du virus dans la société grâce à la vaccination. Cela est possible si on arrive à vacciner 50% voire 60% de la population. La troisième phase consiste à vacciner 80% de la population pour ainsi atteindre l’immunité collective. Donc, il va sans dire aujourd’hui que la campagne se déroule normalement et que nous nous approchons de la fin de la première phase, et du but de voir les services de réanimation vidés ou presque. Toutefois, je dois souligner le fait que les moins de 40 ans peuvent aussi faire les formes graves de la maladie, donc le respect des gestes barrières est toujours de mise pour tout le monde sans distinction. Personne n’est à l’abri du coronavirus, même les jeunes de moins de 40 ans.
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Challenge : Le variant indien suscite de plus en plus d’inquiétude. Le Maroc a-t-il des raisons d’être inquiet à ce sujet ?
Le variant indien inquiète le monde entier, donc le Maroc aussi s’inquiète. Nous nous sommes inquiétés quand le variant anglais faisait ravage ailleurs, et n’avait même pas encore été détecté dans le royaume. C’était pareil pour les autres variants notamment brésilien et sus-africain. Jusqu’à présent, il y a deux cas avec des cas contacts qui sont négatifs. C’est une situation qui est sous contrôle total. Bien sûr, il faut être vigilant parce que les variants n’ont pas de frontières. Ils circulent comme ils veulent. Nous savons selon les données disponibles que le variant indien serait plus contagieux, mais nous ne savons pas encore s’il est plus virulent que les autres souches (britannique par exemple) ou pas. Il y a encore beaucoup d’interrogations au sujet de ce variant. Vu qu’il n’y a pas encore de données disponibles sur sa dangerosité, il faut donc se prémunir pour ne pas lui laisser de chance de se propager. Cela vaut d’ailleurs pour tous les autres virus.
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Challenge : Vu l’évolution de la campagne de vaccination, est-il possible d’aller vers un assouplissement graduel des mesures de restriction d’ici juin pour permettre entre autres au secteur touristique de profiter de la saison estivale ?
Nous avons une situation épidémiologique qui est sous contrôle. Nous avons le taux de reproduction qui est inférieur à 1, le nombre de décès est nettement en deçà de 10 par jour, et une incidence en 24 heures qui est inférieure à 0,7 pour 1000 habitants. Nous avons aussi les lits de réanimation Covid-19 qui sont de moins de 7% d’occupation et un taux de positivité de 3 à 4 cas positifs sur 100 tests faits quotidiennement. Ce sont des indicateurs qui sont très verts et qui indiquent que le situation est sous contrôle. Maintenant, cela est-il suffisant pour alléger les restrictions ? Ma réponse est oui, mais à la condition de continuer à respecter rigoureusement les mesures barrières.
Cet allègement doit se faire progressivement avec des outils de surveillance très stricts de l’évolution de la situation. Je rappelle qu’en février l’Inde avait une situation épidémiologique sous contrôle, comme c’est le cas au Maroc, et malheureusement les populations indiennes ont laissé tomber les mesures barrières et le résultat aujourd’hui est plutôt catastrophique. Cela montre bien que le fait d’avoir une situation épidémiologique sous contrôle ne veut pas dire qu’on peut surtout se relâcher sans mesures barrières. La campagne de vaccination évolue très bien aussi, mais le respect des mesures barrières doit être continu si nous voulons un allègement sans risque. Vacciner à grande échelle ne signifie pas qu’on a réussi à vaincre le virus.
Nous avons vu des exemples récents de pays ayant réussi leur campagne de vaccination, mais qui ont basculé dans un nouveau cycle de contamination après avoir levé le pied sur le respect des mesures barrières. C’est le cas des Îles Seychelles par exemple. Au contraire, les Etats-Unis et Israël ont massivement vacciné leurs populations respectives et ont déconfiné tout en gardant le respect des mesures barrières. C’est très important. Le Maroc peut donc alléger les restrictions, mais à la condition de respecter strictement les mesures barrières.