Ecoles d’art, quel avenir au Maroc ?
Les cours d’initiation aux arts se multiplient. Plus qu’un simple business, c’est une manière de vivre et développer sa culture personnelle. Mais quel avenir les arts ont-ils au Maroc, en l’absence de politique culturelle, et d’initiation de masse, à l’école, à un aspect, limité à la peinture et la sculpture, les arts plastiques, et depuis longtemps un business.
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es arts sont à l’honneur au Maroc, et cela depuis quelques temps. La presse qui n’est pas en reste, fourmille d’articles consacrés à la passion du Roi pour les arts plastiques, tandis que les cinéastes se font un plaisir d’organiser des diffusions en séances privées. Cette conjonction d’intérêts donne naturellement un coup de fouet à la cote desdits artistes. Plus qu’un baromètre, c’est comme si le Souverain avait le souci d’élever le niveau culturel des Marocains. Ce qui nous a amenés à l’interrogation: les Marocains sont-ils artistes? D’abord, un constat s’impose : en matière d’arts plastiques, il ne se passe pas une semaine sans qu’un galeriste n’organise un vernissage ou qu’un autre procède à une exposition. Pour les habitués, ce sont parfois plusieurs évènements qui se tiennent la même semaine. Certains seraient même prêts à vendre leur âme pour voir leur photo dans un article. A se demander si tout le monde peut s’improviser artiste et passer du monde des affaires à celui des arts plastiques. D’autres convoitent de figurer dans les catalogues des plus grands. “A l’évidence, les Marocains ne sont pas tous artistes. Nombre d’entre eux ont d’autres chats à fouetter et sont soumis aux contraintes du quotidien et ne leur laisse guère le temps de s’adonner à de tels plaisirs d’esthètes”, explique Adil Essadani, président de l’association Racines.
Pour Dounia Benslimane, le problème est endémique : “pour devenir artiste, encore faudrait-il qu’il y ait une sensibilisation, dès l’enfance, aux différentes formes d’expressions artistiques.” On pointe le problème de l’absence de politique culturelle dont le côté artistique n’est qu’un aspect parmi d’autres. De là à crier que l’art ouvre les yeux sur le monde, et donne les moyens d’articuler une réflexion qui remettrait en question la société marocaine, ce serait aller trop vite en besogne. Certes, des plasticiens tels que Mustapha Akrim, dont l’originalité s’exprime aussi bien dans le choix des matériaux, que dans les sujets abordés ne sont pas légion, et pour ceux qui s’y intéressent découvriraient des talents méconnus du grand public. Il reste que l’enseignement marocain non seulement ne sensibilise pas les jeunes à l’art, sous toutes ses formes, depuis le cinéma et l’audiovisuel, à la danse, mais tout simplement l’exclut des programmes scolaires.
En attendant une politique culturelle, passez à la caisse!
“45% des marocains s’intéressent à l’art”, explique cependant Redouane El Hadif, directeur de l’école d’initiation aux arts “Cité des arts” de Casablanca. Pour lui, les Marocains auraient un intérêt pour l’expression artistique sous une forme ou une autre. Si tant est qu’on puisse considérer que jouer des percussions sur une table est également un art… Ce qui n’est pas du goût de tout le monde: “pourrait-on élever le niveau? Jouer du tambourin ne fait pas de quelqu’un un artiste. Encore faut-il avoir une culture et une connaissance de l’histoire de l’art avant d’aspirer à être artiste”, développe M. Essadani. Une forme d’élitisme? Peut-être! C’est comme si la scène artistique marocaine cooptait les siens, reproduisant des réflexes que l’on reproche à d’autres corporations. On voit toujours une paille dans l’oeil de l’autres, et pas la poutre qui est dans le sien, dit-on couramment. “Sommes-nous condamnés à un art qui se limite aux naïfs et au romantisme?” s’interroge Adil Essadani. Pourtant, au sein même de l’association soeur des anciens abattoirs de Casablanca, les initiatives ne manquent pas. La dite association a présenté des oeuvres d’artistes en résidence dans ses murs, une centaine en 2012, ce qui a attiré 8000 visiteurs. Un pourcentage ridicule au regard de la seule population casablancaise. Reste que les cours d’initiation aux arts sous toutes leurs formes se multiplient, aux Abattoirs de Casablanca, à la Cité des Arts et ailleurs. Mais si, pour la première, les formations sont gratuites, pour la majorité des cas, s’initier aux arts a un prix. Au regard de ceux pratiqués par le Fédération des Oeuvres Laïques, et l’état des conservatoires, ce n’est pas demain la veille de l’émergence d’un fils d’éboueur en nouveau Picasso. Il y a effectivement quelque chose de pourri dans le Royaume du Danemark, ou du Maroc. Un bref tour d’horizon permet de se rendre compte de l’étendue des dégâts. Embrasser une carrière d’artiste, sous toutes ses formes, n’est pas une carrière pour la majorité des parents. Dans les campagnes, pour les grands propriétaires terriens, l’art est un business qui n’a de valeur qu’au regard du désir des autres. Ils restent méfiants argumentant que, comme la bourse, rien ne vaut le béton pour miser leurs billes. Restent les cadres éduqués, en ville comme en campagne, ils gardent un rapport distant, et s’imaginent qu’un tableau ne vaut que 10.000 DH, soit un salaire… Le rapport est mercantile, et sans éducation des masses, on ne risque pas de voir émerger un public large, sensible au travail des artistes. Une voie sans issue.
Nul n’est prophète en son pays
Restent que certains acteurs associatifs prennent à coeur le combat, dans une guerre asymétrique contre une culture qui fait l’apologie de l’inculte. C’est le modèle de la génération “Sarko”, qui suit le cas du Maroc. Triste exemple que de se concentrer sur le confort matériel pour délaisser tout ce qui aurait trait à un minimum d’enrichissement autre que passé comptablement. A tel point que les artistes doivent se faire une réputation sous d’autres cieux, avant de l’avoir sur leur propre sol, remarquera très justement Adil Essadani.
“Notre objectif n’est en aucun cas celui de pallier la politique culturelle de l’Etat, à supposer qu’on en ait les moyens. Après tout nous ne sommes que des acteurs associatifs”, affirment aussi bien Adil Essadani que Dounia Benslimane. C’est que l’étendue de la tâche demanderait des moyens matériels que les associations, avec toute la bonne volonté du monde, ne seraient en aucun cas capables de mobiliser. C’est un travail de titan que l’Etat n’a pas pris au sérieux à temps. On s’est contenté de combler un tel vide par le divertissement de masse et la pseudo culture populaire.
L’autre facteur, que les plus lucides parmi les interrogés relèvent, est celui du marché même de l’art. Lorsque les banques et autres grands groupes y ont vu une manière de diversifier leurs investissements, ils ont, dans une certaine mesure, tué la création artistique. Ils en ont fait l’apanage d’une certaine classe sociale, une voie de garage pour certains, une passion pour d’autres, mais au final rien de réellement ambitieux. Reste l’espoir pour les futures générations de voir leur éducation améliorée, que le “kinderland”, le royaume des enfants leur apporte le minimum requis. Pour le Ministère de la Culture, la bataille est déjà perdue, reste celui de l’Education Nationale.