Emploi public : la fin de l’eldorado ?
Au nombre de 100.000, soit 35 % de l’effectif global des enseignants, les « profs » contractuels, actuellement en grève depuis plusieurs semaines, exigent leur intégration dans le statut de la fonction publique auprès du ministère de l’Education nationale. Une revendication que la tutelle écarte. D’ailleurs, ces enseignants contractuels ne sont pas les seuls à être attirés par le mammouth fonction publique, considéré depuis toujours comme un eldorado. Mais aujourd’hui, l’Exécutif est plus que jamais décidé à prendre des mesures pour réhabiliter le système de valeurs à l’échelle de toute l’Administration et à instaurer des mécanismes pour améliorer la qualité des prestations publiques, mais aussi d’alléger les effectifs.
Depuis plusieurs semaines, les enseignants des académies régionales de l’éducation et de la formation (AREF) enchainent les grèves. Lancé en 2015, le programme de recrutement sous contrat visait à recruter plus de 200.000 enseignants contractuels entre 2015 et 2030. Rejetée par la suite par les enseignants contractuels, la formule adoptée a été abandonnée le 13 mars 2019, en faveur du recrutement régional dans le cadre d’un nouveau statut relevant des AREF. Depuis, le nouveau statut qui met fin définitivement à la notion de contractualisation, accorde aux enseignants cadres des académies régionales les «mêmes droits» des fonctionnaires des administrations publiques. Mais, ce plan n’a pas réussi à les faire adhérer. Les enseignants des AREF ne veulent rien comprendre: au nombre de 100.000, soit 35 % de l’effectif global des enseignants, ils exigent purement et simplement l’intégration dans le statut de la fonction publique auprès du ministère de l’Education nationale. Une revendication que la tutelle écarte, compte tenu de la politique de régionalisation avancée. Selon le ministère, les enseignants recrutés dans ce nouveau cadre ont donc postulé aux différents concours de recrutement en parfaite connaissance de cause, et leur futur statut de cadre des AREF était clairement stipulé aussi bien dans les avis de concours publiés dans les journaux que sur les sites des académies, ou encore dans les divers formulaires relatifs à la procédure de recrutement… Malgré cela, ces enseignants revendiquent aujourd’hui leur intégration à la fonction publique. Pourquoi un tel acharnement à intégrer l’Administration ? Il faut dire qu’au Maroc, ces enseignants contractuels ne sont pas les seuls à être attirés par le fonctionnariat. « La fonction publique rémunère bien ses fonctionnaires. Les salaires y sont substantiels, en comparaison avec le secteur privé, et l’emploi est à peu près garanti pour la vie», analyse Sara Jellouli, experte RH. En effet, le salaire moyen dans l’Administration a considérablement augmenté de près de 25 % entre 2010 et 2020, passant de 6.550 DH à 8.147 DH.
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Comparé à la richesse nationale, le salaire net moyen dans la fonction publique représente environ 3 fois le PIB par habitant, contre 1,2 fois en France, et 1 fois en Espagne. Certes, le ratio élevé du salaire moyen au Maroc s’explique par la faiblesse du PIB marocain comparativement à ceux des pays comme la France ou encore l’Espagne, mais également, par les multiples revalorisations des salaires décidées dans le cadre du dialogue social. Il faut dire, que ces négociations
n’ont jamais été saisies par les différents gouvernements pour exiger, en contrepartie des revalorisations salariales, des objectifs à assigner aux bénéficiaires en termes de productivité ou de qualité de service. Résultat : le Maroc s’offre une fonction publique qui dépasse les moyens de son économie et que l’amélioration substantielle des revenus des fonctionnaires ne se traduit pas par une amélioration de la perception de l’Administration chez le citoyen.
Mais ce n’est qu’à la fin de la décennie 1990, que la prise de conscience de la nécessité de réformer l’Administration a commencé à être formalisée dans les orientations gouvernementales. Après le pacte de bonne gestion en 1998 et le discours Royal sur le nouveau concept de l’autorité en 1999, cette prise de conscience va trouver sa traduction concrète dans le plan de développement économique et social 2000-2004. Ce plan avait placé la gestion des ressources humaines dans un cadre temporel. Les mesures étaient assorties d’objectifs, mais les réalisations n’ont pas suivi faute d’un cadre de gouvernance permettant un pilotage des réformes sous un angle qualitatif.
À partir de 2003, avec l’assistance de trois bailleurs de fonds (Banque Africaine de Développement, Banque Mondiale et l’Union Européenne), une nouvelle stratégie de réforme de l’Administration a été déclinée. Baptisée «Programme d’appui à la réforme de l’Administration publique (PARAP)», elle s’étalait sur six ans pour un montant total de 9,6 milliards de DH.
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Parmi les objectifs, la maitrise de la masse salariale. Il s’agit essentiellement du lancement de l’opération de départ volontaire à la retraite en 2005, en plus de la suppression des emplois budgétaires destinés au recrutement du personnel d’exécution et l’externalisation des tâches d’entretien et de gardiennage. L’opération de départ volontaire se voulait une amorce aux différents chantiers de la réforme administrative. Il était question que cette opération soit suivie par la réalisation de plusieurs actions dont la mise en place d’une gestion prévisionnelle des effectifs, l’élaboration et l’engagement d’une stratégie de formation continue et la refonte du système de rémunération. Après plus de 15 ans, tous ces chantiers demeurent actuellement au stade de projet. Si l’opération de départ volontaire avait permis la réduction des effectifs et du poids de la masse salariale, ses résultats n’ont pas été consolidés. A défaut de réalisation des mesures d’accompagnement prévues, l’opération du départ volontaire s’est limitée à une mesure ponctuelle d’allègement des effectifs, perdant ainsi son ambition de s’inscrire dans la durée à travers l’instauration des bases d’une gestion moderne des ressources humaines.
Sur un autre volet, le projet de généralisation de la gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences (GPEEC) devait être déroulé également. Mais si celui-ci est aujourd’hui présent dans les programmes de la majorité des ministères, il s’agit surtout d’expériences isolées sans vision d’ensemble, et limitées souvent à l’élaboration des référentiels des emplois et des compétences. La fonction RH reste encore calquée sur la conception classique de gestion du personnel.
Aujourd’hui, si les effectifs des fonctionnaires ne sont pas pléthoriques comparativement à d’autres pays et que la baisse des niveaux de rémunération est quasiment impossible à mettre en œuvre, les pouvoirs publics, dans l’objectif de maitriser la masse salariale, sont dans une logique consistant à limiter les recrutements au strict nécessaire (sauf pour les départements en besoin pressant) et ce, à travers des redéploiements pour pallier les déséquilibres de répartition du personnel…
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