ENSEIGNEMENT : Rapport Azziman : est-ce celui de la dernière chance ?
Le Professeur Azziman, en sa qualité de Président du Conseil supérieur de l’Enseignement, de la formation et de la recherche scientifique vient de présenter au Souverain son rapport. C’est à la fois un diagnostic implacable et une stratégie de sortie de la crise où se débat le secteur de l’Enseignement depuis des décennies. Serait-il un rapport de plus ou le rapport de la dernière chance avant que le système éducatif ne sombre dans la faillite totale ? Challenge revient sur les grands axes de ce rapport, compte tenu de l’importance cruciale pour l’avenir de notre pays des problématiques qu’il soulève. par S. Attar
Voilà un énième rapport sur l’Enseignement qui est tout aussi solennel et médiatisé que les précédents rapports, commandé par le Souverain et présenté devant lui. Rappelons que depuis une vingtaine d’années, les rapports sur l’Enseignement se succèdent et se ressemblent. En moyenne tous les quatre ou cinq ans, un nouveau rapport. Le Maroc semble également expérimenter tous les montages institutionnels. De Comité d’experts, aux rapports de la Banque Mondiale, des recommandations du PNUD à celles de Commissions Nationales pour aboutir finalement au Conseil supérieur de l’Enseignement. Mais la situation du secteur ne fait qu’empirer. Plus la pression démographique augmente, plus les défauts du système s’accentuent. Le système semble commandé par une logique implacable qui l’entraîne à la dérive. Le désastre de l’enseignement n’en finit pas de se révéler au grand jour.
Un diagnostic implacable
Après les révélations bouleversantes du ministre Rachid Belmokhtar sur l’école qui fabrique des analphabètes, c’est le tour du Rapport Azziman de montrer de nouvelles dimensions de ce désastre: la mauvaise gouvernance, la gabegie financière, l’absence d’évaluation, de contrôle et de reddition des comptes et la baisse de niveau des enseignants. Selon le Rapport Azziman, le secteur souffre non pas de manque de moyens, mais d’une mauvaise utilisation des ressources financières allouées dont le montant n’a cessé d’augmenter. En une décennie, le budget de l’Education Nationale a plus que doublé passant en 2001 de 19,16 milliards de DH à 44,9 milliards de DH en 2013. Plus on parle de réformes, plus les budgets augmentent et plus la crise de l’enseignement s’aggrave. C’est le cercle vicieux dans lequel le secteur s’est enfermé. La bureaucratie a réussi pendant ces dix dernières années, à mettre à profit les problèmes du secteur pour soutirer à l’Etat le maximum de ressources financières. Mais le problème, c’est qu’elle ne sait rien faire d’une bonne partie de cet argent. Le Rapport Azziman constate que le ministère de l’Education nationale n’arrive pas à dépenser même 50% des budgets alloués et que les Académies Régionales ont plus de 3,5 milliards d’arriérés. Par ailleurs, et c’est une autre dimension de la mauvaise gouvernance, le MEN a non seulement mis en veilleuse tous les mécanismes d’évaluation, mais aussi et surtout il bloque toutes les tentatives dans ce sens. La bureaucratie s’est barricadée autour de murailles imprenables. Azziman, dans l’introduction de sont rapport, se plaint lui-même de l’opacité du système à tel point qu’il reconnaît qu’il a été obligé de recourir à des moyens détournés et indirects pour accéder aux informations pertinentes.
Le Rapport Azziman souligne le fait que le MEN n’a jamais opérationnalisé les dispositions de la Charte concernant la contribution des Collectivités locales et des couches sociales aisées. Et pourtant, c’est une question cruciale, car devant le doublement des effectifs d’ici 2021, « la question de la diversification des sources de financement du système d’éducation et de formation s’impose » si on veut éviter la faillite du système. A ce niveau, le rapport déplore l’indifférence générale dans laquelle baigne l’Ecole au niveau local : cette institution n’intéresse ni les élus, ni les Walis et les Gouverneurs, ni la société civile. Les familles, dans une solitude quasi-totale, gèrent comme elles peuvent le parcours de leurs enfants dont l’écrasante majorité n’arrive jamais au Bac.
Une autre originalité du Rapport Azziman, c’est d’avoir souligné un élément-clé dans le dispositif et qui est souvent passé sous silence : la baisse du niveau des enseignants. Ce qui, évidemment, rejaillit sur le niveau de leurs prestations pédagogiques. Pour Azziman « l’effort déployé pour former les enseignants… est en deçà des exigences d’une éducation de qualité » et les défauts du système se trouvent alors aggravés par des enseignants ne disposant que de «formations disparates et non organisées».
La réforme projetée s’appuie sur plusieurs leviers stratégiques qui tournent autour de trois idées : l’école de l’équité et de l’égalité des chances, l’école de la qualité pour tous et l’école de la promotion individuelle et sociale.
Une école de l’équité et de l’égalité des chances
Le Rapport Azziman insiste beaucoup sur le rôle stratégique du préscolaire. Il rappelle d’abord les déficits chroniques dans ce domaine et les chiffres sont choquants. Près de 40% des enfants n’ont jamais bénéficié d’un passage par le préscolaire. Pour les 60% qui ont déclaré avoir été inscrits, l’écrasante majorité l’a été soit dans le «msid», soit dans des garderies sous équipées et sous encadrées et non qualifiées, disposant de locaux inappropriés, sans personnels qualifiés et sans matériels pédagogiques adéquats. Selon le MEN, le Maroc ne dispose que d’un nombre extrêmement réduit d’établissements préscolaire qualifié pour favoriser l’épanouissement des enfants et développer chez eux l’esprit de création et d’adaptation. L’étude montre également que l’Etat n’a pas de stratégie de préscolaire, qu’il ne s’est jamais sérieusement occupé de ce secteur qui a été complètement délaissé au profit d’un secteur privé archaïque. En effet, le préscolaire public n’accueille que moins de 10% des effectifs. La réalité est que le «msid» continue à être le préscolaire dominant au Maroc. Cela veut dire que la majorité des enfants qui fréquentent le préscolaire sont livrés à des «fquihs», qui continuent à effrayer des jeunes esprits par le bâton, pour les forcer à mémoriser des textes qu’ils ne comprennent pas et qu’ils sont obligés de réciter. Ce qui contribue à étouffer très tôt chez l’enfant, tout esprit d’ouverture et de créativité. Or, la plupart des experts en éducation ont montré depuis longtemps, que le préscolaire est déterminant dans le profilage de l’enfant et que l’essentiel de sa psychologie est déterminé dans cet âge précoce.
Dans ces recommandations, Azziman propose de faire de l’enseignement préscolaire une obligation pour l’Etat et pour les familles et de l’intégrer au cycle de l’enseignement primaire. Il propose par ailleurs, les mesures d’accompagnement suivantes :
– Assurer le droit d’accès à l’éducation et à la formation aux personnes handicapées ou dans des situations spécifiques ;
– Renforcer la contribution du secteur privé en sa qualité de partenaire du secteur public dans l’effort de génération équitable de l’enseignement :
– Déployer tous les efforts possibles afin de garantir l’assiduité et la durabilité de l’apprentissage et de combattre l’abandon sous toutes ses formes, le décrochage et le redoublement scolaires.
Pour une école de la qualité pour tous
Pour promouvoir la qualité, le Rapport Azziman recommande les mesures suivantes :
En premier lieu, le rapport propose la refondation des métiers de l’éducation et de la formation dans le sens de l’amélioration des conditions d’accès, le renouveau des rôles et des missions, le perfectionnement de la formation, des formateurs et cadres pédagogiques et leur continuelle mise à niveau.
En deuxième lieu, le rapport recommande la révision des curricula, des programmes et des méthodes pédagogiques dans le sens de leur allègement, leur diversification et leur orientation vers le raffermissement intellectuel des apprenants et de développement des capacités d’observations, d’analyse et de l’esprit critique.
En troisième lieu, l’adoption d’un nouveau dispositif linguistique qui s’appuie sur le plurilinguisme et sur l’alternance linguistique et qui vise à :
• L’apprentissage par tous les apprenants, sur un pied d’égalité, de trois langues dans l’enseignement préscolaire et primaire, avec la langue arabe comme langue principale, la langue amazighe comme langue de communication, et la langue française comme langue d’ouverture. A ces trois langues, viendra s’ajouter la langue anglaise à partir de la première année du secondaire collégial, et une troisième langue étrangère, au choix, à partir de la première année du secondaire qualifiant ;
• La diversification des langues d’enseignement, à travers la mise en place progressive de l’alternance linguistique en tant que mécanisme de renforcement de la maîtrise des langues par leur utilisation dans l’enseignement de quelques contenus et modules dans certaines matières, en français à partir du secondaire collégial, et en anglais à partir du secondaire qualifiant. Cette architecture permettra à terme aux bacheliers, la maîtrise de l’arabe et de l’amazigh et de deux autres langues étrangères au moins. En quatrième lieu, le rapport recommande la valorisation de la formation professionnelle, l’extension de sa capacité et l’efficience, le développement de la responsabilité des acteurs, la convergence, des politiques publiques, la rationalisation des ressources et des moyens et l’adoption d’une approche décentralisée, en conformité avec la régionalisation avancée.
En cinquième lieu, le rapport recommande la promotion effective et continue de l’université, de la recherche scientifique et de l’innovation, au service du développement et de l’arrimage à la société du savoir.
Pour une école du progrès individuel et social
Le Rapport Azziman, insiste sur le rôle de l’Ecole dans l’attachement aux fondements et valeurs religieuse et nationales de notre pays et à notre identité dans la diversité de ses composantes et de ses affluents, ainsi que sur la consolidation des vertus de la citoyenneté, de la démocratie et du comportement civique. Il insiste également, sur l’adéquation des formations aux nouveaux métiers et aux métiers du futur, afin d’assurer aux lauréats les meilleures chances de réussite, l’intégration dans la société et de contribution au développement de leurs pays.
Enfin, le rapport recommande de transcrire les choix et les objectifs stratégiques proposés dans une loi-cadre appelée à constituer la nouvelle charte pour la mise en œuvre de la réforme de l’Enseignement au Maroc. En attendant l’adoption des réformes législatives, le rapport appelle à une large mobilisation des différentes parties prenantes de la société, à commencer par les secteurs éducatifs et les tuteurs d’élèves, autour du contenu de cette vision; une mobilisation dont l’objectif principal serait l’appropriation collective de cette vision, et la contribution effective et générale aux chantiers de sa mise en œuvre. Le Rapport Azziman est bien évidemment le bienvenu. Il apporte un nouvel éclairage et un diagnostic accablant du secteur. Mais un diagnostic n’a d’intérêt que s’il débouche sur un traitement, un programme de réforme assortis d’un plan d’action avec des programmes, des budgets et d’un échéancier de réalisation. Sur ce plan, on doit encore attendre. Et comme le ministre Belmokhtar, Le Conseiller Azziman se limite à constater l’immensité des dégâts et à proposer les principes directeurs d’une réforme qui reste encore à concevoir et à mettre en œuvre.
Mais ce que les citoyens attendent du gouvernement, c’est moins l’annonce de diagnostics catastrophiques que l’esquisse de solutions pratiques. Gouverner ne se limite pas à diagnostiquer (ça, c’est le rôle des centres de recherche et des bureaux d’études). Gouverner, c’est agir pour apporter des solutions. Pour l’instant, on donne l’impression de tourner autour du problème sans savoir par où le prendre et de se complaire dans les effets d’annonce sensationnels et les déclarations de principe qui sont rapidement relayées par les médias. Mais cela ne résout pas les problèmes de millions de familles qui financent de leurs poches un système éducatif, mais dont la majorité de leurs enfants n’en bénéficie pas ou en devient la victime.
La Fondation Zakoura. Une locomotive pour la promotion de l’enseignement préscolaire
Faire des petits d’aujourd’hui des grands de demain, c’est le défi qu’ambitionne la Fondation Zakoura en lançant officiellement, lors d’une conférence de presse organisée le lundi 1er juin à Casablanca, son programme «Action nationale pour l’éducation de la petite enfance en zone Rurale» (ANEER), qui vise la préscolarisation de 50.000 enfants des communautés rurales à l’horizon 2018. par Abdelfettah Alami
Chez les grands pédagogues, il est universellement connu que l’intelligence d’un homme, son épanouissement et son affectivité sont esquissés, voire forgés dès les cinq ou six premières années de la vie. Les études démontrent aussi que par référence au niveau d’intelligence général atteint à dix sept ans, environ 50% des acquis sont déjà fixés dès l’âge de quatre ans ; les 30% suivant se réaliseraient entre quatre et huit ans et les 20% restants le sont entre huit et dix sept ans.
Le préscolaire, période cruciale mais parent pauvre du système !
D’autres recherches ont corroboré cette réalité où, au moment où l’enfant accède en 1ère année de l’école primaire, 33% de son profil de performances scolaires est déjà tracé. En conséquence, la réussite ou l’échec scolaire de l’enfant sont dessinés, pour l’essentiel, pendant cette période décisive.
L’on comprend aisément que l’enseignement préscolaire contribue, pour une large part à l’épanouissement et à la motivation de l’élève. De ce fait, Il est donc indéniable que le développement du préscolaire constitue un levier important de toute stratégie de réforme du système éducatif.
C’est pour toutes ces raisons que plusieurs actions ont été tentées, au Maroc, pour promouvoir le préscolaire.
La Charte Nationale d’Education et de la Formation a fait de la généralisation de l’enseignement préscolaire un espace majeur de rénovation du système éducatif national. L’étude réalisée, en 2007, à l’initiative du Conseil Supérieur de l’enseignement, visait à décortiquer la problématique et entrevoir les solutions possibles. Les programmes projetés se traçaient pour objectif de mettre en place un système d’excellence répondant aux normes pédagogiques et accueillant, d’ici 2017, plus de 600 000 enfants soit 50% des enfants de 4 à 6 ans.
Des années plus tard, le constat reste alarmant. Selon une étude réalisée par le ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle et l’UNICEF, parmi les 40% d’enfants préscolarisés, seuls 12% évoluent dans un système préscolaire moderne (généralement dans des établissements privés) ; 80% des unités existantes se retrouvent dans un environnement peu propice à l’épanouissement, avec des éducatrices disposant rarement d’une formation pédagogique adéquate. A cela, il faut ajouter les disparités flagrantes tenant à l’origine sociale, à la localisation géographique ou encore au genre. Le monde rural et les petites filles en particulier sont les plus grandes victimes du système préscolaire mis en place.
Dans le concret de la Fondation Zakoura, le préscolaire pour tous
Promouvoir et développer le préscolaire dans les zones rurales du Maroc et lutter ainsi contre « la fracture éducative », tel est l’objectif premier du programme ANEER présenté par Jamal Belahrach, Président de la Fondation Zakoura, à l’occasion de cette conférence de presse. Cette action ambitionne la création de 500 nouvelles unités de préscolaire et la prise en charge dans ce système de 50 000 enfants d’ici 2018. Cela peut, selon M. Belahrach, «paraître peu, mais notre volonté est d’abord de faire de la Fondation une locomotive et le bras armé » de toutes les institutions et les bonnes volontés qui sont sensibles à ce grand chantier pour l’avenir de nos enfants et de notre pays.
L’Action Nationale pour l’Education de la petite Enfance en zone rurale vise, en parallèle, l’accompagnement de 25 000 mères pour « pouvoir prendre part au processus d’éveil de leurs enfants ». Toujours selon les promoteurs du projet et pour une meilleure implication des acteurs locaux, 500 associations locales seront créées ou renforcées ; c’est le meilleur gage pour «assurer la pérennisation de l’unité scolaire implémentée ». Ce vaste programme permettrait la création de 2000 emplois d’éducatrices ou de jeunes diplômés sans emploi et favoriserait le développement du marché du travail sur les sites ruraux visés dans le programme.
Par ailleurs, l’une des clés de réussite et d’attrait de ce plan d’action, est la gratuité de cette éducation préscolaire au profit de la petite enfance dans le monde rural. Déjà, tous comptes faits, « chaque enfant préscolarisé ne coûtera, d’après le Président de la Fondation Zakoura, que 5 dirhams par jour aux donateurs, tout en lui garantissant un préscolaire de qualité ». C’est pour dire que même pour un chantier d’un enjeu aussi majeur, lorsque la volonté politique existe, le problème du financement n’est plus un blocage. Pour mettre en œuvre ce programme et lui assurer un financement pérenne, la Fondation compte continuer à chercher les partenariats avec les ONG et les institutions publiques concernées par l’éducation de la petite enfance. La convention signée, à l’occasion de cette conférence de presse avec l’UNICEF, rentre dans ce cadre et vise à accompagner la Fondation dans le déploiement de cette action sur les plans pédagogique et financier.
Comment réussir le préscolaire pour tous ?
Un modèle réussi d’éducation préscolaire ne s’improvise pas ; il se planifie et se construit suivant une méthodologie pédagogique et didactique répondant à des normes scientifiques avec une prise en compte des spécificités multiples du terrain. Le passage d’un environnement où domine l’analphabétisme chez les parents à un système et où la petite enfance est source de revenus à un système d’acculturation moderne où le vécu de l’enfant baignera dans un milieu scolaire avec des activités nécessaires pour suivre le curriculum éducatif qui l’attend, est un défi majeur pour l’éducateur.
Cette transformation appelle en particulier, la communication et la sensibilisation avec le milieu familial de l’enfant. C’est l’action entreprise par la Fondation Zakoura dans ce qu’elle appelle « le préscolaire communautaire » qui repose sur deux grands piliers : l’éducation parentale, de la mère en premier, et la sensibilisation et l’implication de la communauté.
L’approche pédagogique et le recrutement des éducatrices, aides éducatrices, superviseurs et responsables régionaux s’effectuent dans la région d’implémentation qui facilite l’intégration du corps pédagogique, puisque parlant la langue maternelle de l’enfant et maitrisant la culture locale. En plus, une formation continue est assurée avec un suivi opérationnel régulier de l’équipe responsable de ce cursus préscolaire.
Dernière problématique de taille soulevée lors de cette conférence de presse : en quelle langue l’éducation préscolaire doit-elle se faire ?
Compte tenu de plusieurs expériences de l’UNICEF- et c’est l’approche qui a été adoptée dans le programme ANEER- on emploie, au début, exclusivement la langue maternelle de l’enfant et parlée dans le milieu familial. Le recours à la langue entendue par l’enfant depuis sa naissance, garantirait la compréhension profonde.