Dossier

Entreprises et Etablissements publics : des subventions et des dettes en milliards de dh et de grands projets aussi

Le Maroc a, depuis son indépendance, fait le choix  de bâtir un tissu économique basé essentiellement sur le capital public. Tous les secteurs étaient couverts par la présence financière et économique de l’Etat. Celui-ci avait ses banques et institutions de financement spécialisées, ses usines de montage automobile, ses fermes d’élevage et de production agricole, ses régies d’eau et d’électricité… et même ses fabriques de mobylettes. Feu Hassan II a qualifié cette situation d’anormale pour un pays qui  a  décidé d’emprunter la voie du libéralisme. C’était à l’occasion  du lancement de la première opération de concession du transport public à Casablanca au début des années 90.

Une partie du patrimoine public économique existe toujours au sein des EEPs et contribue à l’emploi, à l’investissement et entraine des dépenses budgétaires sous forme de subventions ou de transferts. Pour fonctionner et investir, ces entités publiques s’endettent fortement et recourent, de ce fait, à la garantie de l’Etat. La privatisation de beaucoup d’entreprises publiques a constitué, pendant des années, une source importante du financement public qui a atteint 100 milliards de dhs entre 1993 et 2007. Actuellement, seules trois entités dont une entreprise publique contribuent pour plus de 80% dans la structure des ressources issues des monopoles et des participations de l’Etat. Le montant prévu pour 2016 ne dépasserait pas 8,33 milliards de dhs, soit environ 4% des recettes du budget général contre 5,4% en 2011.

Le secteur public est toujours présent
Actuellement, la structure des EEPs (entreprises et établissements publics) fait apparaitre un réseau de 212 établissements publics et de 44 entreprises publiques. Ces entités opèrent à hauteur de 30% dans le secteur social et dans ceux de l’éducation et de la formation, pour 21% dans l’urbanisme, l’habitat et le développement territorial et même dans le secteur des finances avec 4%.

Les entreprises publiques sont des acteurs économiques qui paient l’impôt36-39-3
Sur les 44 entreprises publiques, 37 sont principalement détenues par le Trésor comme OCP SA, HAO (Al Omrane), ADM (autoroutes du Maroc, CAM (Crédit agricole,) MASEN (agence de l’énergie solaire), RAM et Barid Al Maghrib. Ces entreprises sont généralement créatrices de valeurs ajoutées et ne dépendent que subsidiairement de l’Etat au niveau financier. ADM est, à titre d’exemple, porteuse d’une dette garantie par l’Etat dont l’encours dépasse les 38 milliards de dhs. Parmi ces entreprises figurent des banques ou des institutions financières qu’on peut difficilement intégrer dans la structure des EEPs et ce, dans la mesure où l’essentiel de leurs opérations et de leurs actifs sont détenus par des institutions ou des particuliers clients (CAM) ou des adhérents à un régime de retraite (CMR). A l’exception de sommes qui proviennent de dividendes, les résultats de beaucoup de ces entreprises ne sont pas versés en totalité ou en partie à l’Etat. Néanmoins, elles restent des redevables « clients » de l’administration fiscale comme les autres entreprises et versent à ce titre l’impôt sur les sociétés et la TVA sur leurs achats qu’ils « peuvent » récupérer difficilement, en raison de la persistance des effets du butoir. Le principal contributeur à l’IS des EEPs demeure l’OCP avec plus de 70% du montant total qui a atteint 3,9 milliards de dhs en 2014. Les deux graphiques(page 33), retracent l’évolution de la contribution des EEPs au titre des produits classés dans les recettes du budget et ceux qu’ils paient au titre de l’impôt sur les sociétés.

L’investissement des EEPs dépasse celui du gouvernement
Depuis quelques années, l’examen de la Loi de finances donne lieu à l’étalage de chiffres relatifs à l’investissement avec une distinction entre l’investissement budgétaire et celui opéré, en grande partie, par les Entreprises et établissements publics et subsidiairement par les communes territoriales. Si le budget de l’Etat ne représente qu’environ 30% des investissements publics, celui des EEPs dépasse généralement les 100 milliards de dhs. En 2016, il dépasserait les 108 milliards de dhs. Il est certes confortant de faire apparaitre l’effort d’investissement global de l’Etat dans les données de la Loi de finances, mais s’agit-il vraiment d’un investissement public au sens où il répond directement à une mission de service public  ayant une relation directe avec le quotidien des citoyens. Les investissements du groupe CDG d’Al Omrane ou de l’OCP, ne peuvent etre comparés à des investissements portant sur des équipements routiers ou hydrauliques. Les investissements d’Autoroutes du Maroc , de l’ONEE ou des régies et des Offices de Mise en Valeur Agricole ont un impact direct sur la vie des citoyens, alors que les investissements qui cherchent à développer une activité marchande dans le secteur du logement, à rentabiliser des actifs financiers ou à valoriser des ressources minières destinées à l’exportation, visent des objectifs qui ont un impact global sur l’économie du pays, au même titre que les investissements des acteurs économiques du secteur privé. Malgré les efforts faits pour consolider le rôle de l’investissement public, son rapport au PIB continue de reculer depuis 2012 en passant de 22,2% à 19% en 2015 et il n’atteindrait que 18,3% en 2016.

Les charges salariales demeurent importantes
Les charges du personnel des EEPs ont atteint en 2014 environ 31 milliards de dhs. Cette masse salariale constitue une des charges les plus importantes au niveau de l’exploitation. Le rapport sur les EEPs (2016) fait ressortir que six grandes entreprises et établissements publics représentent 60% de ces charges. Il s’agit de l’OCP, de la RAM, du Groupe de la CDG, de l’OFPPT, de l’ANCFCC (Conservation foncière) et de l’ONCF. Il faut noter à ce niveau, qu’une grande composante des établissements publics, à savoir les AREEF, (académies de l’éducation et de la formation) ne comptabilisent pas les charges de leur personnel affecté aux différentes institutions scolaires et même aux tâches d’encadrement administratif ou pédagogique. Le ministère chargé du secteur de l’éducation reste l’employeur de ce personnel. Le dualisme de la gestion financière et pédagogique est peut être une des raisons du blocage ou du ralentissement du processus de la réforme du secteur de l’éducation.

L’endettement des EEPs pousse les ratios de la dette publique vers le haut
Les EEPs sont de grands débiteurs et leurs dettes connaissent des rythmes de croissance qui peuvent hypothéquer leurs performances dans l’avenir. D’un montant de 214,7 milliards de dhs, soit environ plus de 25% de la dette publique totale, dont le montant a atteint jusqu’au premier semestre 2015 environ 823 milliards de dhs, l’encours de la dette des EEPs connaitrait une évolution certaine en 2015 et 2016. Au niveau de sa composante intérieure, la dette garantie a atteint un montant de 20,4 milliards de dhs, contre 196 milliards de dhs d’origine extérieure. C’est cette dette qui fait passer le ratio de la dette par rapport au PIB à environ 80%. L’augmentation de son encours entre 2013 et 2014 est d’environ 29 milliards de dhs. La part des EEPs dans l’endettement extérieur du Maroc, dont le montant a atteint en 2014 environ 291,7 milliards de dhs est d’environ 52,2%. Cette situation s’explique par le rôle de plus en plus grand joué par les grands EEPs dans la réalisation des grands projets dans le pays et l’importance de leurs programmes d’investissement. Les acteurs de cette évolution sont l’ONEE, le groupe OCP, ADM, et groupe TMSA.

Des acteurs stratégiques du développement économique et social
Les EEPs sont qualifiés par le ministère de l’économie et des Finances (rapport sur les EEPs PLF 2016) d’acteurs majeurs de la politique économique et sociale. Qu’il s’agisse des tramways de Casablanca et de Rabat, des programmes d’électrification rurale, des CHU, des autoroutes, de la ligne à grande vitesse de l’ONCF, les EEPs sont présents et relèguent les ministères au rang de bailleurs de fonds exerçant une tutelle de forme et rarement efficace en matiere de contrôle et d’évaluation des réalisations et des performances. Les grands patrons des EEPs et surtout des plus importants, parmi eux, disposent de pouvoirs dépassant ceux des ministres. Les 100 milliards d’investissements des EEPs avec une masse salariale ne représentant qu’environ 27% celle de l’Etat, font de ce grand segment de la dépense publique une ère importante de développement du pouvoir des technocrates et aussi de bonnes pratiques dans la gestion.

Gouvernance et transparence : les défis à relever
La gouvernance des EEPs et la transparence de leur gestion, restent au centre des intérêts du ministère de l’Economie et des Finances à travers sa direction concernée (DEPP). Le souci de garantir une meilleure gestion des institutions qui forment l’édifice du secteur public, est toujours à l’ordre du jour. Il devient même stratégique avec les nouveaux rôles des EEPs. Contrôler, accompagner, évaluer, auditer les comptes et les résultats, programmer et assurer un pilotage stratégique à la hauteur des objectifs de l’émergence, que s’est fixé notre pays , sont des actes qui doivent recevoir un contenu concret. Le rapport sur les EEPs (PLF 2016) nous informe que le chantier de la gouvernance et du contrôle de l’Etat s’ouvrira en 2016 et qu’un projet de loi est dans le circuit d’approbation. La clarification du rôle de l’Etat, la professionnalisation et l’opérationnalisation des organes délibérants, la responsabilisation des organes de tutelle et l’amélioration du contrôle financier sont les principaux objectifs du projet de loi. Il n’y a pas meilleure déclaration sur l’évaluation de la gestion des EEPs depuis des décennies, que les objectifs susvisés de celle-ci. C’est presque d’un nouveau départ qu’il s’agit et non d’une consolidation d’une gestion qui aurait pu faire évoluer la pratique de la gestion publique au niveau des EEPs. Le contrôle de l’Etat est sans réels moyens, et parfois, sans réels pouvoirs devant certains grands patrons publics. Les 212 établissements publics dont certains obéissent à des logiques politiques comme les chambres professionnelles, les 44 entreprises publiques et les 442 unités des filiales ou participations, dont 236 sont détenues majoritairement, directement ou indirectement par le secteur public exigent une nouvelle vision en matière de contrôle et un renforcement de la réédition des comptes. La transparence n’est pas toujours relevée comme un acquis dans la gestion des EEPs et le développement de pratiques irrégulières a, dans beaucoup de fois, donné lieu à l’intervention du juge des affaires financières et à des sanctions exemplaires.

 
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