Face aux cryptomonnaies qui s’installent en toute quiétude, le Renseignement devra-t-il s’inquiéter et réagir ? [Par Mehdi Hijaouy]
Les cryptomonnaies transfigurent la planète Finance et s’y installent en toute quiétude. C’est massivement, dans des volumes à donner le tournis, qu’elles circulent à travers le cyberespace. Baptisées aussi cryptodevises, monnaies cryptographiques, ou plus ordinairement dénommées cryptoactifs, elles sont disponibles à l’achat comme à la vente, à travers tout un écosystème offrant de considérables possibilités.
Sauf que les plus populaires et les plus rentables à miner, dont la valeur est jugée significative, se comptent sur les doigts d’une main. Ainsi, le Bitcoin (BTC), l’Ethereum (ETH), le Ripple, le Dash ou encore le Litecoin (LTC).
Entre effervescence planétaire et altération
En 2021, les niveaux des cryptoactifs avaient littéralement explosé, n’épargnant aucun des cinq continents. Partie des épargnants de nationalités différentes auront cédé aux promesses de gains des plus séduisantes, tandis que l’insidieux était là : la création de ces monnaies avec pour objectif de permettre à certains états le financement d’opérations spéciales, à la fois opaques et énigmatiques, à différents échelons, tant nationaux qu’internationaux.
Mais voilà qu’en ce début d’année 2022, la dynamique économique mondiale a du plomb dans l’aile, et les prévisions n’augurent pas du meilleur. Une pandémie dont on ne voit pas le bout, les énormes difficultés des chaînes d’approvisionnement, une inflation galopante avérée, une crise énergétique aigue, des banques centrales contraintes à modifier en permanence leurs politiques monétaires, autant de facteurs, lesquels combinés, fragilisent les économies mondiales et tout naturellement impactent le marché international des cryptomonnaies.
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Achetées et vendues sur des plateformes d’échanges (genre de places boursières virtuelles), et détenues sur des portefeuilles dédiés, les wallets, les cryptomonnaies, sont, contrairement aux devises traditionnelles, bien réelles, juste une preuve numérique de propriété stockée via une blockchain, nonobstant la régulation de ces monnaies virtuelles par certains pays, à travers leurs banques centrales et la promulgation d’une réglementation spécifique, les catégorisant en instrument alternatif à la monnaie classique. Ce qui n’échappe pas à la Chine, désireuse de mettre cela en œuvre, pour s’opposer à l’influence du dollar américain, sous toutes ses formes.
A ce titre, le baromètre du prestigieux cabinet d’audit et de conseils Ernst & Young, indique que ‘’plus de la moitié des banques en Suisse envisagent de lancer une offre de placement en cryptomonnaies dans les 3 prochaines années’’, et ce même si ‘’d’importantes incertitudes subsistent, notamment dans le domaine de la réglementation depuis la publication du document de consultation du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire en juin 2021’’.
Les cryptomonnaies au Maroc, à venir ?
Si inconvenante elle était il y a peu, la question des monnaies digitales, légales, interpelle de plus en plus de banques centrales, d’autant que la Banque des règlements internationaux encourage ces dernières à émettre des cryptomonnaies qu’elle désigne par ‘’Central Bank Crypto Currency’’ ou encore ‘’Central Bank Digital Currency’’.
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Qu’en est-il donc dans notre pays ? Quelle politique pour quel avenir ? Remémorons-nous la position de Bank Al Maghrib, il y a quelques temps, et son niet catégorique quant à autoriser le recours à ces formes de monnaies. Et penchons-nous sur la récente sortie de l’actuelle Ministre de l’Economie et des Finances, interpellée suite à l’usage massif de cryptomonnaies par des citoyens, usage pourtant clairement interdit par la réglementation en vigueur. Elle déclarait alors que le Groupe d’Action Financière sensibilisait les Etats pour ne pas recourir à ce type de monnaies, faisant référence à l’une de ses publications, une étude portant sur les mesures de vigilance à mettre en place par les pays pour être en conformité avec les recommandations émises.
Et c’est à contrario de cela qu’est allée Madame le Ministre, lors de la séance des questions orales à la Chambre des représentants en évoquant l’éventuelle opportunité d’établir un cadre légal relatif à l’utilisation de ces monnaies. Voilà qui est donc dit et qui a conduit son Ministère et la Banque Centrale –Bank Al Maghrib –à faire équipe pour étudier l’opportunité d’intégration de ces monnaies, à travers leurs avantages et inconvénients.
Une équipe qui ne compte pas des acteurs nationaux stratégiques, incontournables, entre autres les Services de Renseignement, et cela aurait été à raison : leurs indéniables compétences pour apporter à l’édifice en construction la brique ‘’évaluation des risques sécuritaires afférents au domaine’’, un domaine des plus exposés à la cybercriminalité et qui va bien au-delà des aspects purement financiers, monétaires et bancaires.
Cybermonnaies, vulnérabilité et intelligence sécuritaire
Devenue monnaie de plus en plus négociée lors de cyberattaques, monnaie des plus convoitées par les organisations terroristes, dont les jihadistes liées à Daech, Al-Qaïda, la pseudo Rasd, le bitcoin ne cesse d’alerter les agences de Renseignement les plus rôdées. Le MOSSAD engage des experts en cryptomonnaies, la CIA travaille sans relâche sur des projets dédiés aux monnaies virtuelles, le GUOANBU appuie la Chine pour maîtriser la plus grande partie des opérations et centres de données de ces monnaies, la France alloue à la DGSE des moyens considérables, avec un budget de 880 millions d’euros, pour prendre en charge dans les conditions les plus efficaces et opérantes tout ce qui, de près ou de loin touche au cyber et au champ de l’information….
Tout cela nous enseigne, au final, que ces domaines sont devenus les sphères régaliennes des puissants Services de Renseignement. Dans cette perspective, l’Intelligence Sécuritaire s’intéresse forcément et de manière plus que significative, aux monnaies virtuelles et numériques. Elle invite les pays ‘’agiles’’ à l’extrême vigilance quant aux énormes risques liés à l’introduction de cette forme de monnaies, tout en incitant leurs Services de Renseignement à profondément s’impliquer pour contrer ces risques, sachant que la cryptomonnaie a généré 14 milliards de dollars de fraude en 2021. Un tel bilan ne peut qu’interroger et conforter l’approche sécuritaire.
Quid du continent africain
L’Afrique est désignée, selon de récentes études, comme l’un des continents qui recourt massivement à l’utilisation des cryptomonnaies. Ainsi :
-Une Afrique subsaharienne identifiée comme la région qui se procure un volume conséquent de cryptomonnaies, devant l’Amérique du nord.
-Des résidents de nombreux pays africains, limitrophes, n’hésitent pas à user de ces monnaies, pourtant prohibées par leurs législations nationales.
Un pareil constat milite inconditionnellement en faveur de la création d’une monnaie virtuelle africaine. Si ce constat est aussi suggestion, elle devrait être prise au sérieux, précisément par l’Union Africaine, à l’image du très sérieux projet européen de monnaie virtuelle, lancé depuis quelques temps par la Banque Centrale Européenne, avec le concours de 19 Etats membres de la Zone Euro. Un projet qui serait confié au Royaume du Maroc pour le piloter et donner ainsi naissance à une sorte de Dirham africain numérique.
Par Mehdi Hijaouy, expert en Securité, Sûreté, Renseignement et Intelligences économique et stratégique. Fondateur du Washington Strategic Intelligence Center, Mehdi Hijaouy est titulaire d’un Executive MBA en «Stratégie d’Influence, Négociation et Guerre Psychologique» – École de Guerre Économique (EGE), Paris et d’un Executive MBA en «Management des Risques, Sûreté Internationale et Cybersécurité » – EGE, Paris.