Fin de l’exonération : évasion fiscale en vue
Le gouvernement devra imposer les gros agriculteurs. Mais la mise en place d’un nouveau système ne sera pas facile. Ce sera probablement le chiffre d’affaires ou le résultat qui serviront de base. Dans tous les cas, l’évasion fiscale ne pourra être évitée avec le risque de division des exploitations pour échapper à l’impôt.
L
ors des Assises sur la fiscalité qui se sont tenues en avril 2013, toute l’attention était fixée sur le secteur de l’agriculture qui est revenu au moins une dizaine de fois dans les débats. Tout au long de ces Assises, c’est un avis particulièrement virulent qui s’est exprimé contre les largesses du Fisc vis-à-vis des agriculteurs. Le résultat de cet acharnement ne s’est pas fait attendre. SM le roi dans son discours de la Fête du Trône a confirmé la fin des privilèges dont bénéficiaient les gros investissements dans l’agriculture.
«Ayant à cœur de marquer Notre sollicitude pour cette catégorie de la population [les petits agriculteurs, ndlr], Nous continuerons à la faire bénéficier de l’exonération fiscale. Cette exemption cessera d’être en vigueur à la fin de l’année en cours pour les gros investissements agricoles, mais Nous la maintiendrons en vigueur pour la moyenne et la petite agriculture». En d’autres termes, les sociétés ou personnes physiques dont l’investissement a une taille importante devraient commencer à payer leurs impôts.
La distinction a toute son importance, puisqu’il y a certes quelques gros opérateurs ça et là, mais leur nombre reste faible. Les 14 millions de ruraux que compte le Maroc sont loin de s’être enrichis grâce à l’exonération fiscale instaurée au début des années 1990.
Quoi qu’il en soit, la Loi de Finances 2014 devrait mettre fin au privilège de l’exonération pour certains agriculteurs. Mais qui seront donc ces exploitants agricoles ? Sur quels critères devront-ils être choisis ? Que fera le Fisc en cas de sécheresse ? Ce sont autant de questions auxquelles il faudra répondre pour que le dispositif fiscal soit stable, efficace et équitable.
Rude tâche pour le Fisc
Pour le critère, les choix sont limités pour le gouvernement qui aura à proposer entre la superficie de l’exploitation, le chiffre d’affaires et la capacité bénéficiaire des entreprises agricoles. Néanmoins, quels que puissent être les critères, ils ne manqueront pas de faire grincer les dents. Théoriquement, l’option la plus facile serait de se baser sur la superficie en fixant un seuil à partir duquel, toute exploitation serait taxable. Ce critère aura le mérite d’exclure la plupart des exploitations agricoles. En effet, selon le ministère de l’Agriculture, 70% des exploitations ont une superficie inférieure à 5 ha et sont donc destinées à la subsistance.
Dans la pratique, on se rendrait vite compte qu’une superficie de 5 hectares dans une zone fertile comme celle de la Chaouia-Ouardigha, par exemple, vaut bien une cinquantaine d’hectares à Ouarzazate, beaucoup moins arrosé. De même, un champ dédié à la production de blé rapporte nettement moins que la plupart des autres spéculations agricoles. Donc, la superficie s’avérera être beaucoup moins pertinente que le chiffre d’affaires et le résultat pour servir de base. Si c’est le chiffre d’affaires qui est choisi, il est également clair que les marges et la volatilité sont loin d’être identiques d’une culture à l’autre et donc d’un agriculteur à l’autre. A chiffre d’affaires égal, les marges peuvent passer du simple au quintuple, entre la production de légumes et celle des fruits, entre les céréales et le lait, etc. Bref, ce ne sera pas si évident de se baser sur le seul chiffre d’affaires.
Il faudra alors aller vers le dernier critère possible, celui du résultat, ce qui suppose que les exploitations agricoles tiennent une comptabilité. Et là également, on n’est pas sorti de l’auberge. Près d’un quart de siècle d’exonération finit par installer le secteur agricole dans des pratiques qui frôlent l’informel. On en sait quelque chose avec des sociétés comme Unimer et Cartier Saada qui sont confrontées à ce phénomène dans leurs approvisionnements. Obligées d’acheter une partie importante de leurs matières premières agricoles auprès d’agriculteurs qui ne savent même pas ce que signifie une facture, elles tiennent des registres. Le Fisc aura donc du travail pour instaurer une culture de la comptabilité.
D’autres difficultés sont également en vue. La mise en place d’une fiscalité différenciée par la taille poussera à la scission des grosses exploitations en de petites tailles pour échapper à l’impôt. Là également, on voit que les services des impôts auront du travail pour détecter les auteurs de cette forme d’évasion fiscale.
En somme, quel que soit le bout par lequel le problème est pris, on risque d’être confronté à un véritable imbroglio fiscal qui viendra d’ailleurs s’ajouter à un autre, purement économique. La fin de l’exonération sera répercutée sur les prix pour sauvegarder les marges qui avaient été prévues dans les business plan. De ce fait, Bank Al Maghrib pourrait avoir du mal à contenir l’inflation en provenance des produits agricoles. En l’absence de modèle économétrique, il est difficile d’évaluer l’impact en fonction de la prochaine fiscalisation du secteur. Mais, ce ne sera pas sans effet sur l’augmentation des prix des denrées agricoles d’abord et des autres biens de consommations ensuite.
En outre, il se posera la question de la cohérence entre la suppression du régime d’exonération avec la mise en place des nombreuses subventions du plan Maroc Vert. L’Etat ne fera que prendre d’une main, ce qu’il offre d’une autre. Pourtant, c’est parce que l’on s’est rendu compte des difficultés du secteur que le plan Maroc vert est sous-tendu par une série de subvention et d’accompagnement.
Mais au-delà de tout ceci, se pose la question de savoir pourquoi les autres secteurs qui profitent des exonérations devraient continuer à être privilégiés par le législateur. On pense notamment au secteur de l’immobilier qui, dans le cadre de la production de logements sociaux, bénéficie de l’exonération de la plupart des impôts.
Quel que soit l’astuce du gouvernement pour faire passer la prochaine pilule de la fin de l’exonération, la tâche sera rude pour le service des impôts. Une belle partie de cache-cache se prépare à partir de l’année 2014 qui pourrait être l’année test. n
Mar bassine ndiaye