Fiscalité et Compétitivité : L’outil fiscal est-il déterminant ?
Le Maroc a, depuis longtemps fait le choix de l’économie de marché et la concurrence loyale est au cœur de cette économie. Néanmoins, cette concurrence n’a pas un sens darwinien. Le meilleur est encouragé à gagner tout en respectant les règles fixées par l’Etat pour tous. L’Etat est un arbitre régulateur. A travers la fiscalité, l’intervention de l’Etat peut être plus ou moins neutre et impacter négativement ou positivement la compétitivité des entreprises.
La compétitivité est d’abord une aptitude pour l’entreprise, un secteur ou l’ensemble des entreprises d’une économie, à faire face à la concurrence effective ou potentielle. La compétitivité correspond à une position dominante sur un marché interne et/ou international.
La compétitivité peut être atteinte à travers les prix, la qualité, le service après vente, la flexibilité, la réduction des coûts… Aujourd’hui, de plus en plus, l’arme principale de la compétitivité est l’innovation scientifique appliquée. Ce n’est plus le faible coût de la main d’œuvre. Les entreprises qui investissent dans la recherche et le développement se positionnent stratégiquement sur les marchés, aux niveaux national et international.
Qu’en est-il de la compétitivité dans la réalité socio-économique du Maroc ?
Au Maroc, l’obstacle principal au développement de la compétitivité réside dans l’économie de rente. La compétitivité dépend essentiellement des capacités internes de l’entreprise, plus que de l’effet de l’environnement. Sociologiquement, certains responsables d’entreprises ont pris l’habitude d’être soutenus, s’appuyant sur les béquilles offertes par «Maman Etat». Pour ces entreprises, l’accumulation du capital n’a pas pu se réaliser en même temps qu’un développement de la rationalité capitaliste. L’esprit de rente, le gain facile, a créé une dépendance vis-à-vis d’un Etat de nature patrimoniale. Cet Etat distribuait des avantages de manière directe (subventions, agréments…) ou indirecte (exonérations fiscales).
Dans cette situation, la concurrence ne peut être que biaisée. Au lieu de développer sa compétitivité, l’entreprise, dans cette réalité, cherchera à développer des relations occultes pour pouvoir s’assurer sa place au soleil.
Sur le plan fiscal, depuis les années 1960, plusieurs codes d’investissements sectoriels ont été adoptés et mis en œuvre en vue de favoriser tel ou tel secteur économique et, de manière générale, en vue de créer des conditions favorables à l’émergence d’un capital local.
L’Etat marocain a ainsi pendant longtemps, eu recours au levier fiscal pour impulser les activités créatrices de richesses. Cette orientation sera consacrée par la charte des investissements de 1996.
Mais, l’absence d’évaluation des politiques publiques ne permet guère d’apprécier l’impact effectif de ces mesures dérogatoires. A titre d’exemple, l’investissement public direct dans la construction des barrages, a certes permis d’atténuer les effets de la sécheresse, en particulier sur les grandes exploitations agricoles. Mais l’exonération agricole des revenus et bénéfices agricoles, de 1984 à 2014, n’a guère permis au Maroc d’assurer une sécurité alimentaire, tout au moins dans les produits stratégiques tels que les céréales, le sucre et les oléagineuses. C’est là, la principale explication du déficit structurel de la balance commerciale alimentaire.
Les obstacles et contraintes autres que la fiscalité sont plus déterminants en matière de compétitivité
Depuis le début des années 2000, il est apparu nécessaire de revoir cette orientation sur la base d’un constat qui a permis de relever le rapport non automatique entre les incitations fiscales et le développement de la compétitivité. Les exemples de contraintes, autres que fiscales, évoqués par les acteurs économiques, ont été repris lors de la présentation de la stratégie industrielle 2014-2020. Il s’agit notamment de :
– L’inadéquation entre le système d’éducation et de formation et le tissu économique dans son ensemble ;
– Le faible taux d’investissement en recherche et développement et donc le déficit en politique d’innovation et en progrès technique ;
– La prédominance d’activités économiques à faible valeur ajoutée ;
– Le déficit au niveau des infrastructures/logistique, malgré les progrès réalisés ces dernières années ;
– L’accès difficile au foncier destiné aux projets industriels ;
– La difficulté d’accès au financement surtout pour les PME et les TPE ;
– La faible coordination intersectorielle ;
– La concentration excessive des activités économiques dans le littoral ;
– La lourdeur et la complexité des procédures administratives ;
– La corruption et l’inefficacité du système judiciaire.
Les principaux atouts du Maroc mis souvent en avant sont :
– Le faible coût de la main d’œuvre ;
– La jeunesse de la population marocaine ;
– La position géographique du Maroc ;
– La relative stabilité politique comparativement à d’autres régions.
Que représente réellement la fiscalité dans le développement de la compétitivité des entreprises ?
Chaque année, le manque à gagner fiscal global de l’Etat atteint une moyenne de 33 milliards de dirhams, soit presque 3,6% du PIB. En 2015, 57,8% des dépenses fiscales ont bénéficié aux entreprises, soit 18 553 millions de dirhams.
Ce potentiel de recettes fiscales aurait pu être destiné au renforcement des infrastructures de base, à la lutte contre la pauvreté, à la formation du capital humain… Le manque à gagner fiscal devrait par contre, se traduire par l’accroissement des investissements privés et la création de l’emploi. Tel n’a pas été le cas.
Face à ce constat, l’orientation stratégique actuelle de l’Etat dans le domaine des finances publiques est l’évaluation annuelle des dépenses fiscales dans la perspective de réduire les mesures dérogatoires en fonction de leur pertinence et de leur impact effectifs. Ce choix stratégique de la transparence budgétaire rejoint la préférence des appuis directs et ciblés, et aussi la démarche contrat programme, institutionnalisée par le partenariat public privé (PPP).
Le levier fiscal n’est plus perçu comme un instrument unique d’incitation et de développement de la compétitivité. Dans ce sens, Carlo Cottarelli, Directeur du Département des Finances publiques du FMI, a déclaré, lors des Assises fiscales d’avril 2013 :
« Alors comment penser la compétitivité fiscale ? A l’évidence, une démarche simpliste, consistant à réduire les taux d’imposition ou à offrir des avantages fiscaux plus attrayants que les autres pays, a ses limites ». Il affirme plus explicitement : «La fiscalité n’est qu’un des facteurs qui déterminent les décisions des investisseurs».
La prise de conscience des véritables obstacles au développement de la compétitivité, a d’ailleurs permis d’entamer des chantiers de réformes importants, tels que la réforme de la justice et la simplification des procédures administratives, en vue de contribuer à l’émergence d’un climat des affaires plus stable et plus attractif, aussi bien pour l’investisseur national que pour l’investisseur international.
Et avec l’intégration de l’économie nationale dans l’économie monde, le Maroc se trouve fortement exposé aux risques inhérents à la concurrence fiscale internationale. C’est ce qui pourrait expliquer cette tendance à la baisse continue des taux d’imposition en matière d’IS et d’IR.
Le tableau suivant récapitule cette baisse des taux de l’IS depuis 1986 :
Un taux réduit de 10% a été introduit en 2013 pour les sociétés réalisant un bénéfice fiscal net inférieur ou égal à 300.000 DH.
La Loi de finances 2016 a introduit deux nouveaux taux proportionnels applicables au résultat fiscal net. Les taux proportionnels en vigueur, en matière d’IS, sont les suivants :
NB. Pour les établissements et organismes financiers, le taux applicable en matière d’IS est de 37%.
Cette baisse a aussi concerné le taux marginal, en matière d’IR :
Mais « comparaison n’est pas raison ». La comparaison des taux d’imposition (à l’état brut) appliqués au niveau international dans différents Etats, est faiblement significative car, au-delà des taux affichés, les règles d’assiette déterminant les bases d’imposition sont souvent différentes d’un pays à un autre. En conséquence, le «taux facial» est différent du «taux effectif». C’est pour cela que l’OCDE ou l’UE procède, au préalable, à des corrections ou réajustements, avant de procéder à des études comparatives.
C’est aussi le cas des taux de pression fiscale dont le contenu exact du numérateur n’est pas identique pour l’ensemble des Etats, certains y incluant la totalité des prélèvements obligatoires, d’autres se limitant à la fiscalité relevant du budget général de l’Etat.
Ainsi, des corrections préalables sont indispensables pour procéder à des comparaisons valables et à des conclusions fondées.
Eurostat, organisme relevant de l’Union Européenne, a ainsi procédé à cette démarche pour faire des comparaisons entre les Etats membres de l’UE, en recourant à la notion de « taux d’imposition implicite » qui exprime des recettes fiscales cumulées, en % de la base d’imposition potentielle pour chaque type d’activité économique.
Ainsi, en 2012, la moyenne de ce taux en UE, a été de 36,1% pour l’impôt sur le travail et de 19,9% pour l’impôt sur la consommation. Parmi les Etats membres de l’UE, le taux le plus élevé pour l’impôt sur le travail a été de 42,8% en Belgique et en Italie. Pour le même impôt, le taux a été le plus bas à Malte, soit 23,3%. Pour l’impôt sur la consommation, le taux le plus élevé a été observé au Danemark, soit 30,9%, et le taux le plus bas, en Grèce, soit 16,2%.
Par rapport aux recettes fiscales totales (2012), la part des recettes fiscales provenant de l’impôt sur le travail (y compris les cotisations sociales), est d’une moyenne de 51% pour l’ensemble de l’UE. Cette moyenne n’est que de 28,5% pour l’impôt sur la consommation et de 20,8% pour l’impôt sur le capital.
C’est dire que, globalement, la principale source de prélèvements obligatoires est le travail. L’imposition du capital figure en troisième position, après celle sur la consommation, connue pour son caractère fortement dégressif.
Cette démarche comparative, a certainement l’avantage de mettre en lumière la concurrence fiscale entre les Etats tout en mettant en exergue l’aspect répartition de la charge fiscale et donc le principe d’équité fiscale.
De manière générale, avec la reprise économique au niveau mondial, il est actuellement constaté une tendance à la reprise de la croissance des recettes fiscales dans la zone de l’OCDE1 et ce, contrairement à certains articles de presse reprenant des arguments de l’idéologie néolibérale pour mettre en avant une concurrence fiscale agressive imposant aux Etats une révision en baisse des taux d’imposition sur le capital.
Le tableau suivant indique l’évolution du taux de pression fiscale (TPF) des pays de l’OCDE, depuis 1975 :
En 2012, le TPF le plus élevé a été observé au Danemark avec 48% et le plus faible au Mexique, avec 19,6%.
A noter cependant, que si au Mexique, les entreprises, et surtout les multinationales, bénéficient de taux d’imposition assez faibles, la population mexicaine, en général, souffre d’un manque drastique de services publics de qualité. Tel n’est pas le cas du Danemark où les taux d’imposition sont certes élevés, mais avec, en contrepartie des services publics de qualité et une égalité de droit d’accès pour l’ensemble de la population du Danemark.
Au Maroc, le débat engagé lors des ANF, en 2013, a permis de clarifier la relation entre la compétitivité et la fiscalité tout en exprimant les principales doléances des acteurs socio-économiques
L’accent a été mis sur les principaux aspects fiscaux obstruant le développement et la compétitivité des entreprises.
A cette occasion, les propositions suivantes ont été exprimées :
1. Mettre en place un pacte de stabilité fiscale : à ce niveau, il est surtout question de permettre aux entreprises d’avoir une meilleure visibilité à moyen et long termes; à ce niveau, il est surtout question de permettre aux entreprises d’avoir une meilleure visibilité à moyen et long termes;
2. Baisser la pression fiscale globale sur les entreprises : cette baisse peut être obtenue en élargissant l’assiette de l’impôt, principalement par l’intégration du secteur informel et la révision progressive des dépenses fiscales (action entamée surtout en matière de TVA) ;
3. La mise en place d’une fiscalité en adéquation avec les capacités contributives des entreprises : en fait, cette proposition a connu bien avant les ANF un début d’application en matière d’IS, avec notamment l’introduction du taux réduit de 10% pour les entreprises réalisant un résultat fiscal inférieur à 300 mille dirhams ;
4. Minimiser l’impact fiscal sur les opérations de restructuration du tissu économique : cette proposition a reçu un début d’application à travers l’exonération des plus values en cas de transformation d’une personne physique en personne morale, ou en cas de fusion ;
5. Généraliser le droit à déduction sur la TVA pour renforcer la neutralité de cette taxe ;
6. Résoudre le problème du butoir. Action entamée en 2014 et renforcée en 2016 ;
7. Améliorer les conditions de remboursement de la TVA ;
8. Réduire le nombre de taux de TVA: Action difficile, compte tenu des prod uits concernés, qui sont souvent des produits de large consommation.
Les quatre dernières propositions ont un impact important sur les capacités d’autofinancement des entreprises et donc sur leur compétitivité. Toutes ces propositions ont connu un début d’application dès la LF de l’année 2014, avec des résistances en 2015 et 2016, notamment en matière de transparence dans les transactions marchandes et de pénalisation effective de la fraude fiscale.
En réponse à ces doléances, les principales mesures introduites depuis 2014 et impactant positivement la compétitivité des entreprises, peuvent être récapitulées comme suit :
• La déductibilité fiscale des indemnités de retard afférentes aux délais de paiement ;
• L’institution d’un traitement fiscal spécifique à l’auto-entrepreneur, mesure visant à contribuer à l’intégration du secteur informel ;
• L’institution de l’obligation d’un registre pour les forfaitaires en matière d’IR, mesure allant dans le sens du développement de relations basées sur la transparence et la confiance entre les contribuables et l’Administration fiscale ;
• Application du taux de 10% ou de 20% à certains produits auparavant exonérés ou soumis à des taux réduits, mesure allant dans le sens de la réduction progressive du nombre de taux en matière de TVA ;
• La suppression de la règle de décalage et le remboursement de crédit de taxe cumulé, mesure favorable à la trésorerie des entreprises, et renforçant la neutralité de la TVA ;
• La fiscalisation du secteur agricole, mesure visant en même temps l’équité fiscale et le renforcement de la compétitivité globale intersectorielle, l’élargissement de l’assiette et la réduction des dépenses fiscales ;
• L’institution d’une procédure en matière d’accord préalable sur les prix de transfert.
La Loi de finances de l’année 2016, dans la continuité des Lois de finances des années 2014 et 2015, a intégré des mesures directement ou indirectement favorables au développement de la compétitivité des entreprises. Les taux d’imposition proportionnels applicables selon le résultat fiscal net réalisé, constituent l’une des mesures phares de cette Loi de finances. Cependant, le vœu de la CGEM a été de mettre en place un barème progressif. Les taux proportionnels introduits comportent un risque important en matière de fraude. Et la fraude est l’un des principaux facteurs pouvant biaiser la compétitivité des entreprises.
Le nouveau traitement fiscal de la cotisation minimale, introduit en 2016, est défavorable aux entreprises sincères et réellement en difficulté.
Les mesures fiscales pouvant impacter fortement le développement de la compétitivité des entreprises sont relatives à la TVA. Ces mesures visent surtout à renforcer la neutralité de cette taxe en généralisant le remboursement des crédits. Le secteur agroalimentaire pourra bénéficier de la récupération de la «TVA non apparente» correspondant à la TVA incluse dans les produits agricoles livrés aux entreprises industrielles par les agriculteurs fournisseurs, dont l’activité est hors champ d’application en matière de TVA. Voilà une mesure tant attendue qui pourra booster le secteur agroalimentaire. Ce dernier s’est engagé, en contrepartie à accroître les investissements et à contribuer à la création de l’emploi.
Mais les mesures les plus importantes dans la Loi de finances de l’année 2016, visent en particulier :
– La généralisation progressive de la dématérialisation des télé procédures fiscales. Ce qui permettra de hisser les entreprises au Maroc aux standards internationaux ;
– L’application modulée des sanctions fiscales en tenant compte de la gravité de l’infraction fiscale ;
– La simplification des recours et la réduction des délais en matière de contrôle et de réponse de l’administration fiscale.
Presque trois ans après les Assises fiscales de 2013, l’intégration des recommandations issues de cette rencontre est à mi-chemin.
Cependant, la situation actuelle des finances publiques fait appel à de nouvelles approches privilégiant la transparence et la contractualisation/responsabilisation entre les divers acteurs du secteur public et du secteur privé sur des objectifs et des résultats à définir. Tel est l’esprit du partenariat public privé (PPP). Le renforcement de la cohérence des politiques publiques est conditionné par cette innovation des méthodes de gestion budgétaire.
(1) Voir notamment le site http://www.oecd.org/tax/revenue-statistics.htm.