Fiscalité et épargne Etat-fourmi ou Etat-cigale ?
Le mot épargne évoque surtout cette image de la fourmi travaillant durement, sans cesse, et consommant faiblement pour satisfaire ses besoins nécessaires et élémentaires, pensant toujours aux moments difficiles qui l’attendent dans le futur. A l’opposé de la cigale ne vivant qu’au présent, préférant l’oisiveté tout en s’appuyant sur la charité de la fourmi. Etat-fourmi ou Etat-cigale ? Quel rôle de l’Etat dans la mobilisation de l’épargne, indicateur de la bonne santé économique, mais aussi indispensable à l’investissement productif ? par Mohamed amine
Aussi bien au niveau d’un ménage ou d’une entreprise qu’au niveau d’une nation, le taux d’épargne reflète la solidité et la richesse d’une économie. Car l’épargne est d’abord cette partie non dépensée du revenu. Elle est, à l’opposé de l’endettement, un sacrifice récompensé financièrement par des intérêts qui s’ajoutent au capital non consommé. Mais la capacité d’épargne dépend surtout du niveau de revenu, et donc du pouvoir d’achat. Certes, ce rapport n’est pas mécanique. Il dépend aussi du comportement, du mode de vie choisi, selon que l’on opte pour une vie plus ou moins modeste, voire austère, ou une vie dans l’opulence. Selon que l’on privilégie le présent ou l’avenir. Le rapport entre la partie non dépensée du revenu et le revenu total exprime le taux d’épargne qui peut être calculé au niveau micro et macro économique. Le taux d’épargne nationale brute (ENB/PIB), d’après les estimations du Haut Commissariat au Plan, a été de 26,6% en 2013, marquant une légère amélioration par rapport à 2012 (25,5%). Au niveau institutionnel, l’épargne draine une partie des revenus, prélevée obligatoirement pour alimenter les caisses de retraite et les différentes mutuelles, dans le cadre d’une solidarité horizontale et verticale. Ce type d’épargne a actuellement tendance à s’effriter sous le double effet de la crise des caisses de retraite et de la libéralisation des modes de financement de ces caisses.
Epargne et financement : une relation dynamique
L’épargne permet aussi bien aux entreprises qu’à l’Etat, de disposer de sources de financement diversifiées. Cette disponibilité de l’argent épargné permet d’éviter à l’Etat de recourir à la création et à l’injection de monnaie et donc de maitriser l’évolution du taux d’inflation. Plus l’épargne est consistante, plus la marge de manœuvre est importante pour mener une politique volontariste d’investissement visant le renforcement des capacités structurelles de production (FBCF).
Pour cela, l’Etat dispose, entre autres, de la fiscalité pour contribuer à la création de conditions favorables à l’épargne. En matière d’épargne pour l’assurance retraite, la Loi de Finances de l’année 2015, tout en relevant le plafond d’exonération à 10% du revenu net global, au lieu de 6%, a limité l’exonération des salaires nets imposables à 50%, au lieu de la totalité. Ce pas en avant qui est en même temps un pas en arrière, reste à évaluer plus exactement en chiffres pour connaître le véritable impact de cette mesure.
Mais les exonérations fiscales les plus importantes en matière d’épargne ont été introduites par la Loi de Finances 2011. Il s’agit des différents plans d’épargne dans les domaines du logement, de l’éducation et de l’achat d’actions (capitaux mobiliers).
Le plan d’épargne logement : une pierre … deux coups
En ouvrant un Plan d’épargne logement (PEL), le titulaire de ce plan sera fiscalement exonéré au titre des intérêts générés par son épargne, à condition que les sommes déposées dans ce plan soient destinées à l’acquisition ou à la construction d’un logement à usage d’habitation principale. Le montant des versements et des intérêts y afférents, doivent être intégralement conservés pour une période égale au moins à 3 ans à compter de la date d’ouverture du plan. Le montant des versements effectués par le titulaire de ce plan ne doit pas dépasser 400.000 DH.
Ainsi, d’une pierre deux coups, l’avantage fiscal permet à l’Etat de drainer des flux financiers tout en favorisant l’accès à la propriété immobilière. Cette mesure, compte tenu du plafond indiqué, concerne surtout la classe moyenne dont le pouvoir d’achat est actuellement menacé sous le double effet de la décompensation et de la hausse de la fiscalité indirecte. Cette évolution aura certainement un impact sur le niveau de ce type d’épargne.
Le plan d’épargne éducation et le problème de l’école publique
Le Plan d’épargne éducation (PEE) est à situer dans un contexte de désengagement de l’Etat dans les secteurs sociaux dont l’enseignement. La dégradation progressive de l’école publique et la montée des écoles privées sont à l’origine d’une ponction importante dans les budgets des familles, surtout dans la classe moyenne. Le PEE permet au titulaire de ce plan de bénéficier de l’exonération fiscale à condition que les sommes épargnées soient destinées au financement des études des enfants à charge dans tous les cycles d’enseignement, ainsi que dans les cycles de formation professionnelle. Le montant des versements et des intérêts y afférents, doivent être intégralement conservés pendant une période au moins égale à 5 ans, à compter de la date d’ouverture du plan. Le montant épargné est plafonné à 300.000 DH par enfant.
Cette mesure peut être perçue comme accompagnant la privatisation rampante de l’enseignement. Elle doit permettre aux parents de s’y préparer et de s’accommoder à cette situation. Certains groupes parlementaires vont même jusqu’à revendiquer la déduction fiscale, au niveau des revenus, des dépenses effectuées par les ménages pour leurs enfants dans l’enseignement privé. Cette demande, exprimée de manière récurrente, lors des récents projets de Lois de Finances, a été constamment écartée.
Le Plan d’épargne en actions (PEA) est plus ambitieux. Ce plan vise à drainer des ressources financières au profit des entreprises. Il prévoit l’exonération fiscale des revenus et des profits de capitaux mobiliers réalisés dans le cadre de ce plan constitué par des actions et des certificats d’investissement, inscrits à la cote de la bourse des valeurs au Maroc, émis par des sociétés de droit marocain, ou des droits d’attribution et de souscription afférents aux actions, ou encore aux titres d’OPCVM actions.
Cependant, sont exclus de cette exonération fiscale les titres acquis dans le cadre d’attribution d’options et de souscription ou d’achat d’actions bénéficiant de l’exonération de l’abondement supporté par la société employeuse, dans le cadre de l’attribution d’options de souscription ou d’achat d’actions par cette société à ses salariés décidée par l’Assemblée Générale extraordinaire. Cette exclusion découle du fait que ces titres bénéficient déjà de l’exonération fiscale. L’exonération fiscale du PEA est conditionnée par la conservation intégrale pendant une période égale au moins à 5 ans des versements et des produits capitalisés y afférents, à compter de la date d’ouverture dudit plan. Le plafond des versements est de 600.000 DH. Seuls les versements en numéraires sont autorisés pour constituer un PEA.
Le plan d’épargne entreprise (PEE) est un mécanisme permettant d’une part, aux salariés de devenir partie prenante au sein de l’entreprise, et donc d’être plus impliqués, plus intéressés au devenir et au succès de l’entreprise, et d’autre part à l’entreprise de disposer de ressources financières plus stables et moins onéreuses. Les deux parties, capital et travail, se retrouvent réciproquement gagnants, tout en amorçant un nouveau type de partenariat.
Qu’est ce que l’abondement ? Par abondement, il faut entendre le versement complémentaire de l’entreprise pour le compte d’un salarié lorsque celui-ci achète, dans le cadre d’un PEE, des actions au sein de l’entreprise où il travaille.
L’abondement accordé aux salariés dans le cadre du PEE est fiscalement exonéré dans la limite de 10% du revenu salarial annuel net imposable. La fraction de l’abondement excédant la limite susvisée, est considérée comme un complément de salaire, soumis à l’impôt sur le revenu dans les conditions de droit commun.
Le bénéfice de l’exonération fiscale de l’abondement est subordonné au respect de deux conditions :
Les versements et les produits capitalisés y afférents doivent être intégralement conservés dans ledit plan pendant une durée au moins égale à 5 ans à compter de la date d’ouverture dudit plan ;
Le montant des versements est plafonné à 600.000 DH.
Ces conditions ont ainsi été harmonisées avec celles prévues pour le PEA. En cas de non respect des conditions prévues, le montant de l’abondement est considéré comme un complément de salaire imposable aux conditions de droit commun.
Par ailleurs, les revenus et les profits de capitaux mobiliers réalisés dans le cadre d’un PEE sont totalement exonérés, dans les mêmes conditions que celles prévues pour le PEA. Les titres éligibles au PEE sont les mêmes que ceux indiqués pour le PEA. Et là aussi, sont exclus les titres acquis dans le cadre d’options de souscription ou d’achat d’actions de sociétés au profit de leurs salariés, car ayant déjà bénéficié des avantages fiscaux relatifs à l’abondement.
Si les conditions d’exonération fiscale des revenus et profits de capitaux mobiliers réalisés dans le cadre du PEE ne sont pas respectées, le profit net est soumis à l’impôt au taux de 15%, nonobstant l’application des majorations et amendes prévues par le CGI. L’organisme gestionnaire du PEE est fiscalement responsable du prélèvement et du versement de l’impôt au taux de 15% sur le profit net réalisé.
Plan d’épargne logement, plan d’épargne éducation, plan d’épargne action et plan d’épargne entreprise, autant de plans visant à favoriser la constitution de l’épargne, indispensable à l’investissement. Néanmoins, certains domaines, dans le contexte actuel économique mondial méritent un traitement fiscal spécifique et exceptionnel. C’est notamment, le cas de l’investissement en recherche et développement afin de contribuer à la création de conditions favorables à l’innovation et à la création scientifique et technologique. Un plan d’épargne recherche et développement (PERD) répondrait spécifiquement à l’une des principales priorités auxquelles est confrontée l’économie nationale, surtout lorsqu’il s’agit de TPE et de PME. Ce serait l’un des points nodaux consacrant un lien structurel entre la stratégie nationale de développement et la fiscalité.