France. Zouhair Bennani, « le prince du supermarché marocain » qui inquiète
En France, Carrefour est un temple de la consommation jusqu’à devenir d’ailleurs une question de souveraineté. Pour preuve, en décembre dernier, le gouvernement français a même opposé un refus « clair et définitif » au rachat du géant de la distribution alimentaire français Carrefour par le canadien Couche-Tard. Pour autant, l’homme d’affaires marocain Zouhair Bennani, avec sa société Retail Holding et son enseigne Label’Vie, est en embuscade. Sa boulimie inquiète les Français, poussant le magazine français L’Express à enquêter sur la feuille de route en France de celui qu’il surnomme le « prince du supermarché marocain ».
« Zouhair Bennani, le Marocain qui veut récupérer un magasin carrefour par mois ». C’est le titre de l’enquête publiée récemment par L’Express, le magazine d’actualité français. Dans cette enquête, l’hebdomadaire explique comment l’homme d’affaires de 61 ans, qu’il surnomme le prince du supermarché marocain avec sa société Retail Holding et son enseigne Label’Vie, est en train de mettre la main en France, sans bruit, sur une grande partie des magasins du géant français de la grande distribution.
Commentant la photo du magasin Carrefour sis dans l’immense centre commercial Grand Littoral, non loin des quartiers Nord de Marseille, qui illustre l’article de son enquête, le magazine relève que « ces derniers mois, par le biais d’un système de location-gérance, l’homme d’affaires marocain Zouhair Bennani a mis la main sur plusieurs hypermarchés Carrefour ». « Dans les rayons de ce hypermarché Grand Littoral, toujours les mêmes promotions sur les bidons de lessives, les packs de bière ou les paquets de couches pour bébé. Mais s’ils continuent d’enfiler tous les jours le tee-shirt bleu azur du distributeur, les 400 employés de cet hypermarché de 16 000 mètres carrés ne travaillent plus vraiment pour le géant français de la distribution. Depuis début mai, leur direction n’est plus installée dans les grands bureaux vitrés du siège de Carrefour à Massy dans la banlieue sud de Paris, mais de l’autre côté de la Méditerranée, à Rabat, au Maroc », écrit encore L’Express qui précise que Zouhair Bennani a officiellement récupéré les clefs de ce temple de la consommation.
Outre cette nouvelle prise du patron de Label’Vie, le magazine relève que ces derniers mois, par le biais d’un système de location-gérance, Zouhair Bennani a aussi mis la main sur l’hypermarché Carrefour de Parinor à Aulnay-sous-Bois (312 salariés), ceux d’Echirolles en banlieue de Grenoble (320), de Vitrolles (462), de Port-de-Bouc (170) et de Bonneveine (150) dans la cité phocéenne. L’Express révèle qu’il serait en passe de signer Beaucaire, dans le Gard, et surtout deux autres fleurons de la grande distribution en Ile-de-France : Bercy et Belle-Epine. « Une razzia qui l’amènerait doucement vers les 2000 salariés… », martèle l’hebdomadaire.
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L’Express explique qu’il y a derrière l’arrivée de l’homme d’affaires marocain, une forme de restructuration de l’enseigne tricolore s’opère à bas bruit. Dans le rouge vif depuis plusieurs années, Carrefour Hypermarchés, la holding dédiée à ce segment, a encore perdu 424 millions d’euros en 2020 alors qu’elle réalise plus de 14 milliards d’euros de chiffre d’affaires net. Selon le magazine, à l’heure où le modèle de l’hyper est en plein doute, le géant français de la grande distribution a trouvé dans la location-gérance la solution pour se séparer d’une partie de ses hypermarchés les moins rentables. « Pas de fermeture de magasins. Pas de plan social, pas de vague pour celui qui, au cours des derniers mois a cherché à marier Carrefour avec son concurrent Auchan ou avec le canadien Couche-Tard », fait constater l’hebdomadaire qui précise que Carrefour reste propriétaire des murs, il transfère par la même occasion tout le risque au gestionnaire qui pendant la durée du bail (en général un an renouvelable quasi tacitement ) verse une redevance sur le chiffre d’affaires réalisé (entre 1% et 2% selon le magazine).
Toujours d’après L’Express, Carrefour aurait ainsi en tête de se séparer d’une quarantaine d’hypers sur les 200 que compte l’enseigne. Est-ce à dire que le Marocain va tout reprendre. Selon l’auteur de l’enquête qui cite la direction de Carrefour, Zouhair Bennani, qui a négocié cet accord avec le groupe marocain pendant près de deux ans, ne reprendra pas tous ces magasins mais « il a une vraie ambition. Il veut se développer sur le marché français et il est aussi très intéressé par des supermarchés de centre-ville ».
Dans cette même veine, l’hebdomadaire rappelle qu’entre Bennani et le géant français, c’est une longue histoire qui remonte à 2009, année au cours de laquelle Zouhair Bennani qui a déjà fait son trou dans la grande distribution au Maroc, a frappé un grand coup en signant avec le groupe tricolore un contrat de franchise : tous ses magasins marocains baptisés Label’Vie sont alors renommés Carrefour. Le résultat est que relève L’Express, en une décennie, Zouhair Bennani fait prospérer la marque française dans le Royaume. « Il crée les Carrefour Gourmet, sorte de Monoprix local branché et luxueux, situés dans les quartiers huppés des grandes villes ; développe les Carrefour Market, un réseau de plus de 170 supermarchés et Atacadao, une chaîne de grossistes low cost où viennent s’approvisionner les petits épiciers mais aussi les familles nombreuses », ajoute-t-il, précisant également à cette occasion que c’est fort de son succès avec Carrefour que Bennani a signé d’autres contrats de franchise avec Kiabi, Burger King ou encore Virgin.
Poussant son enquête jusqu’au bout, L’Express a tenté de décrypter la méthode du PDG de Retail Holding qui consiste, selon lui, en « la chasse au coût et l’approvisionnement au meilleur prix ». Pour le magazine, Zouhair Bennani qui n’hésite pas à se déguiser pour aller inspecter ses magasins est un as du sourcing, prêt à bouder les grandes centrales d’achat et à privilégier les circuits courts. D’ailleurs, poursuit-il, l’approvisionnement a été un des points clefs de la négociation avec Carrefour. Du coup, Bennani n’est pas tenu de passer obligatoirement par la centrale d’achat de Carrefour. L’Express qui cite une source bien au fait du contrat, souligne qu’ « en reprenant la main, il espère faire baisser de 10% à 15% ses coûts d’approvisionnement ». Ce que d’ailleurs Riad Laissaoui, directeur général de Retail Holding, la maison-mère marocaine, a confirmé à L’Express : « En effet, nous avons la possibilité de déclencher un sourcing spécifique ».
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L’enquête révèle aussi, que pour se lancer en France, Zouhair Bennani a entrepris un raid éclair puisque les statuts de sa société française, baptisée « Retail Holding Europe », n’ont été déposés que le 28 juin 2021 au greffe du tribunal de Caen. « Une semaine auparavant, il avait effectué un dépôt de fonds de 50 000 euros sur un compte de la Société générale pour créer sa société dont il a confié la gestion administrative à un proche collaborateur, Rachid Hadni, avec une feuille de route ambitieuse : récupérer « un magasin par mois », selon L’Express qui cite une source proche du dossier. Une volonté que semble confirmer Riad Laissaoui, qui d’après le magazine a indiqué que le groupe marocain a entamé avec Carrefour un plan ambitieux qui vise un développement de ses activités en France, et potentiellement dans d’autres pays d’Europe.
Il ressort de l’enquête, que le groupe de Zouhair Bennani a déjà apporté sa touche marocaine quant à la gestion des magasins sur le terrain. Selon L’Express, pour le moment, chaque établissement sera géré comme un indépendant, avec quelques spécificités importées. « Fini le chef de rayon unique, une personne en contrôle trois minimum. A l’inverse, pas question de laisser les clients peser eux-mêmes leurs produits comme c’était le cas à Echirolles. Dans l’Isère, le magasin vendait pour 30 000 euros de fruits et légumes chaque semaine, mais constatait un trou de 3000 euros dans sa caisse », révèle le magazine. « Les équipes de Zouhair Bennani ont remis une personne à la pesée et, abracadabra, la balance est remontée ! », ajoute-t-il, précisant que dans chaque magasin, la direction est remaniée et passe les comptes à la paille de fer.
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Pour autant, selon l’hebdomadaire, il reste tout de même à connaître les véritables envies de Bennani en France. Certains imaginent une « hallalisation » de ses hypermarchés Carrefour, souligne le magazine qui signale que les hypermarchés cédés par le groupe français sont souvent situés en périphérie des grandes villes, dans des quartiers où les populations d’origines étrangères sont importantes.