Gauches arabes : la défaite et le déshonneur 2
Jean Cau était secrétaire de Jean-Paul Sartre avant de virer facho, sans perdre son style, ni le sens de la formule. Au lendemain de la défaite de la gauche française en 1974, il avait écrit « la gauche a le whisky triste et le café peu disert ». C’est une formule que l’on peut appliquer aux gauches du monde dit Arabe.
Pendant longtemps, ces mouvements ont espéré penser préparer l’irruption des masses sur la scène de l’histoire. Le jour où cela est arrivé, ce sont les Islamistes qui ont rafflé la mise, alors qu’ils n’étaient ni les initiateurs du mouvement, ni ses acteurs principaux.
Groggy, la gauche est. Pourtant, sa faiblesse est génétique, elle n’a jamais pu se sortir du piège des conditions historico-sociales. Alors que l’essence de la gauche est le mouvement ouvrier, les pays de la contrée étaient traversés par d’autres mouvances, pour la simple raison qu’ils n’étaient pas industrialisés. Dès lors, se faisait appeler «la gauche» tout mouvement d’opposition. Le panarabisme a été une tentation suicidaire, en particulier pour l’Afrique du Nord, terre Amazighe. Le Baâth est fasciste, pourtant, le rapport sur les relations internationales, du premier Conseil national de la jeunesse Ittihadia, en décembre 1975, rédigé par Ouchaleh, qualifiait l’Irak d’Al Bakr et de Saddam de «régime progressiste !» Pire, le même rapport trouvait beaucoup de qualités au régime de Kaddhafi. Anti-impérialisme, terme creux, nationalisme, sont devenus des valeurs cardinales de la gauche de cette sphère, au détriment d’un positionnement sociétal, difficile à trouver dans des sociétés où la modernisation n’a fait que transfigurer les archaïsmes, sans les défaire.
Les gauches du monde dit arabe, n’ont jamais réagi contre cette fiction. Le monde arabe est une création des orientalistes. La réalité c’est celle d’Etats-Nation, à divers degrés de maturité qui s’entrechoquent souvent. La meilleure des illustrations, c’est le Maroc, Etat-nation depuis un millénaire, et l’Algérie, nation qui s’est construite dans la lutte contre le colonnialisme.
Ni le Maroc, ni l’Algérie ne sont arabes, ils sont le produit d’un mélange, ont une identité plurielle au socle amazigh. Tout ce beau monde s’est rabattu sur la question palestinienne en la revendiquant comme « première cause nationale », en acceptant la confessionnalisation du conflit. La défaite de la gauche arabe est inscrite dans ses gènes. Au nom du réalisme, elle a préféré s’adapter aux conservatismes plutôt que de les combattre. Elle n’a jamais fait de la question de la femme un mot d’ordre central, elle refuse toujours de revendiquer la laïcité, s’enferme dans des illusions unitaires et alimente les réflexes identitaires. Une telle gauche ne pouvait diriger les masses.
Mais au lieu de voir l’émergence de forces de résistance, qui tirant le bilan, s’inscrivent dans un processus en faveur de la modernité, de manière cette fois-ci assumée, on assiste à l’inverse. Des partis communistes s’allient aux Islamistes en prétendant être «leur caution de gauche», d’autres, comme en Egypte, soutiennent les forces de l’ancien régime.
Le comble, ce sont les positions sur la crise syrienne. Il n’y a ni opposition syrienne, ni ALS. Les forces rebelles sont menées par des Islamistes radicaux, c’est un fait indiscutable. Mais au nom de quel principe un homme de gauche peut-il défendre le régime assassin d’El Assad ? La fable de la résistance à Israël, alors qu’il n’a jamais tiré un coup de feu pour libérer le Golan est stupide.
Churchill haranguait Chamberlain, après sa visite à Munich « vous voulez éviter la guerre, vous aurez la guerre et le déshonneur » et il a eu raison. Il est clair que la mouvance islamiste syrienne est la seule alternative crédible au régime criminel en place. C’est le choix du peuple Syrien, aux autres forces de s’organiser et de lutter pour qu’il en soit autrement. La gauche, elle, doit se souvenir d’un principe fondateur, celui du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Face à la déferlante islamiste, il y a deux attitudes qui sont à la fois suicidaires et honteuses. Ceux qui se couchent, qui mendient des strapontins, qui acceptent des alliances indignes, sont minables et ne méritent même pas un débat. Ceux qui préfèrent les anciens régimes, leurs supports, la non-démocratie, ne valent pas mieux. Il y a une autre voie, celle de la refondation d’une gauche laïque, égalitaire, résolument moderniste, ouvertement anti-islamiste. C’est la voie du courage, de l’honneur, mais aussi celle de la raison. On ne transforme pas une société par dol, en la manipulant mais en affrontant ses conservatismes et en disloquant ses archaïsmes.